Cette Journée d'Etudes portera sur les liens entre violence et politique dans l'Amérique Latine contemporaine (XX-XXIème). Nous nous proposons d'examiner le phénomène de la violence comme élément structurant du politique dans le sous-continent, qu'il s'agisse d'une violence d'"en haut" (contrôle, répression exercés par l'Etat), d'"en bas", sous une forme extrême ou diffuse. Nous nous interrogerons sur les modalités de manifestation et d'expression de la violence, ainsi que sur les buts qu'elle peut servir. Les transmutations de la violence à l'œuvre actuellement seront également analysées (porosité croissante entre violence politique et criminalité, débordement du cadre étatique, narcoEtat).
Jeudi 28 mai 2020 à l’Université Paris Est Créteil
Présentation
Dans le cadre du projet innovant 2019-2021 « Manifestations et expressions de la violence en Amérique Latine (XX-XXIème) », porté par les universités Sorbonne Nouvelle-Paris 3, Paris-Est Créteil, Tours et Mont Blanc Savoie et soutenu par l’Institut des Amériques.
Alors que l’Amérique Latine connaît depuis plusieurs mois une vague de protestations sans précédent questionnant l’héritage politique et les mécanismes démocratiques en vigueur dans les pays du sous-continent (Chili, Argentine, Bolivie, Colombie), d’autres pays traversent des crises institutionnelles et humanitaires au long cours, à l’instar du Venezuela et du Nicaragua, manifestations qui se caractérisent par une recrudescence de la violence, élément structurant de la vie et de l’histoire politique de cette région du monde.
Qu’elle provienne « d’en haut » (contrôle et répression exercés par l’Etat), « d’en bas » (mouvements protestataires, soulèvements populaires, formes particulières de mobilisation de la société civile), qu’elle prenne une forme plus diffuse (guerre de basse intensité, répression voilée dans des régimes démocratiques) ou extrême (guerres civiles centraméricaines), la violence poursuit différents buts qui vont de la défense d’intérêts privés à des tentatives de réorganisation et/ou de redistribution du pouvoir. Elle pose, toujours, la question de son irréductibilité dans le champ politique, ce dernier étant, par nature, agonistique. La violence pourrait en ce sens être entendue comme un élément structurant du politique, son expression soulevant la question de la place de la force et de ses usages comme régulateurs des conflits, ainsi que celles des normes juridiques et institutionnelles visant à les borner.
Frappant les sociétés à différents niveaux, la violence présente des effets et conséquences multiples, tant en termes de bilan humain (disparus, déplacés, génocide des populations indiennes, etc.) que d’un point de vue socio-économique et environnemental. En effet, elle constitue une réponse de plus en plus fréquente aux tensions liées à la remise en question du modèle de développement capitaliste et de son impact sur l’environnement, la biodiversité et les conditions climatiques planétaires (répression, assassinats de défenseurs de la nature, etc.).
Si, historiquement, l’Amérique Latine a souvent été considérée comme un « laboratoire politique » pour le reste du monde, lieu de l’expérience de la « délégalisation » de la vie politique (pendant les périodes de dictatures), du contournement systématisé de la légalité au XXème (contra, escadrons de la mort), voire de sa dénaturation via des mécanismes de violence extrême tels que le terrorisme d’Etat, ces dernières années nous laissent entrevoir une double évolution des manifestations de la violence.
En premier lieu, on observe un phénomène de balancier entre un « retour » réel ou souhaité de la violence - à l’image de la nostalgie ouvertement exprimée par Jair Bolsonaro pour la période des dictatures brésilienne et chilienne ‑, et des tentatives de liquidation de l’héritage de cette même période, dont le processus d’adoption d’une nouvelle Constitution au Chili constitue une illustration significative.
En second lieu, se produit un phénomène de transmutation de la violence qui se manifeste par une porosité croissante de la frontière entre violence et criminalité. S’opère ainsi un déplacement de la violence à proprement parler politique vers une violence exercée par des forces et acteurs débordant largement le champ d’action de l’Etat, à l’instar des organisations criminelles qui tentent d’en pénétrer les structures pour le convertir en « narcoEstado ».
Enfin, la violence sociale se politise et fait office de contre-pouvoir dans un certain nombre de cas. Elle devient une manière « de faire de la politique d’une autre façon » (Braud), qu’il s’agisse de questionner le (dys)fonctionnement du système politique en vigueur ou de politiques économiques perçues comme profondément iniques (Equateur). Mais elle fait également l’objet d’une délégitimation par les mots, reflétant l’opposition entre une violence qui serait « légitime » car bornée et codifiée dans ses usages, et une violence transgressive voire orgiaque (Maffesoli) prenant la forme d’un déferlement d’actes incontrôlables.
Nous proposons d’articuler cette réflexion autour de plusieurs axes :
- violences institutionnelles et étatiques : héritage, liquidation ou reproduction de formes endémiques et/ou historiques de la violence en Amérique Latine ; Etat de droit, terrorisme d’Etat et narco-Etat.
- violence, légalité et groupes armés : acteurs légaux et paralégaux de la violence (armées nationales, milices, paramilitaires, guérillas), statut et rôle ; acteurs illégaux (gangs, maras, mafias, cartels) comme acteurs ou conséquences de la violence politique.
- violences diffuses et violences extrêmes : guerres de basse intensité et conflits armés ouverts, enjeux politiques, héritages et conséquences humaines, sociales, environnementales actuelles.
- violence et société civile : articulation entre société civile, conflictualité et violence ; conséquences sociales de la violence (déplacements de population et migrations, conséquences environnementales, sécurité publique), rôle de la société civile dans la résolution des conflits (Colombie), modalités et enjeux des soulèvements populaires.
- mutations de la violence : violence politique et criminalité, dépassement du cadre étatique dans l’expression et le traitement de la violence ; discours et représentations de la violence.
Nous vous invitons à nous faire part de vos propositions, de 500 mots maximum accompagnés de 5 mots-clefs et d’une bio-bibliographie succincte, en français, espagnol, anglais ou portugais.
avant le 25 mars 2020
en nous les adressant aux courriers électroniques suivants :
La durée des communications sera de 20 minutes.
Les notifications d’acceptation vous seront adressées le 5 avril.
Une publication des communications sous forme d’articles est prévue à l’issue du cycle de journées d’études.
La présentation du projet et les interventions de notre première journée (septembre 2019) sont à votre disposition sur notre page : http://www.univ-paris3.fr/2019-2021-projet-innovant-expressions-et-manifestations-de-la-violence-en-amerique-latine-20e-21e--546705.kjsp?RH=1505727285324
Responsable de la journée
- M. Baptiste LAVAT, MCF, Université Paris Est Créteil
Équipe organisatrice
- Carlos Tous (Univ.Tours)
- Julio Zárate (Univ. Mont Blanc Savoie)
- Elsa Deville Guardiola (Univ. Sorbonne Nouvelle)
Bibliographie indicative
- Arendt Hannah, Du mensonge à la violence, Paris, Pocket, 1972 [1969]
- Baby, Sophie et Compagnon, Olivier. Violencia y transiciones políticas a finales del siglo XX. Europa del Sur-América Latina, Casa de Velázquez, 2017.
- Barrios Medina, Frida Carolina. “El Estado y la vulnerabilidad ante la violencia”, Espiral, vol. 26, num. 74, 2019, pp. 235-241.
- Belay, Raynald ; Bracamonte, Jorge (éds). Memorias en conflicto. Aspectos de la violencia politica contemporánea, Lima, IFEA / IEP, 2004.
- Belmonte, Florence, Benmiloud, Karim, Imparato-Prieur, Sylvie (éd.). Guerres dans le monde ibérique et ibéro-américain, Actes du XXXVe congrès de la S.H.F., Berne, Berlin, Bruxelles, Francfort-sur-le-Main, New York, Oxford, Wien, Peter Lang, 2015.
- Benjamin, Walter. Para una crítica de la violencia y otros ensayos, Madrid, Taurus, 1991.
- Bernardez Rodal, Asunción (ed.). Violencia de género y sociedad: una cuestión de poder.
- Braud Philippe, Violences politiques, Le Seuil, 2018
- Lander, Edgardo (comp.). La colonialidad del saber: eurocestrismo y ciencias sociales. Perspectivas latinoamericanas, Buenos Aires, CLACSO, 1993.
- Fajnzybler, Pablo ; Lederman, Daniel ; Loayaza, Norman (éds). Crimen y violencia en América Latina, Bogotá, Ed. Banque Mondiale et Alfaomega, 2001.