Ce colloque international entend rassembler des chercheurs·euses spécialistes de la gestation pour autrui depuis plusieurs champs disciplinaires (philosophie, sociologie, anthropologie, psychologie, droit, bioéthique) et depuis différents contextes culturels, socio-économiques et juridiques (européen, américain, indien, israélien, etc.). Son hypothèse directrice est que dans le contexte d’une circulation transnationale de la gestation pour autrui, une description et une évaluation adéquates de cette pratique nous oblige à reconfigurer les catégories conceptuelles traditionnellement mobilisées dans la réflexion normative sur sa légitimité – notamment celles d’autonomie et de vulnérabilité, de travail et de responsabilité, de maternité et de filiation.
Argumentaire scientifique
Les travaux de recherche portant sur la gestation pour autrui, que ce soit en France ou dans le monde anglo-saxon, relèvent aujourd’hui de plusieurs disciplines des sciences humaines et sociales : philosophie, sociologie, anthropologie, psychologie, droit, bioéthique, études de genre et études postcoloniales. Cette interdisciplinarité n’empêche pas de dégager des axes d’analyse majeurs qui permettent d’émanciper la réflexion du seul débat contradictoire. Typique de la première génération de la recherche consacrée à la GPA, celui-ci s’interrogeait principalement sur la légitimité morale de la commercialisation marchande du travail reproductif des femmes au sein des pays occidentaux. Tout en ayant produit des désaccords féconds entre féministes, ce débat « pour ou contre » a souvent mobilisé des catégories conceptuelles et normatives considérées comme évidentes et tenant peu compte des relations sociales, économiques et politiques d’interdépendance entre les protagonistes impliqué.e.s dans la circulation désormais transnationale du travail reproductif. Par contraste, la seconde génération de la recherche articule la réflexion normative à ses enjeux politiques et géopolitiques en termes de justice. L’hypothèse qui oriente ses travaux est que la division mondialisée du travail reproductif en général et de la GPA en particulier nous oblige, pour être adéquatement écrite et évaluée, à reconfigurer ces catégories. C’est notamment le cas de celles d’autonomie et de vulnérabilité, de travail et de responsabilité, de maternité et de filiation. Le présent colloque, qui sera la première manifestation scientifique de ce type organisée en France, entend ainsi rassembler des chercheurs/euses spécialistes de la GPA depuis différents champs disciplinaires comme depuis différents contextes culturels, socio-économiques et juridiques, afin de questionner, d’élaborer et de prendre la mesure d’une telle reconfiguration. Il s’organise autour de trois axes thématiques distincts, auxquels les propositions devront s’articuler.
Axe 1 : Enjeux éthiques de la gestation pour autrui
Ces enjeux, relatifs au consentement des gestatrices, se formulent dans le prolongement de la critique féministe du principe libéral d’autonomie en éthique biomédicale, accusé d’être trop « mince » pour prendre en compte les contraintes qui pèsent sur les choix reproductifs auxquels les femmes sont confrontées. Mais cette critique est à double tranchant, car elle peut paradoxalement conduire à minorer l’agentivité des femmes et à légitimer une position paternaliste à leur égard. La reconnaissance de leur oppression et de leur vulnérabilité valide ainsi le traditionnel dispositif patriarcal de contrôle de leur corps et leurs capacités reproductives. Illustrant ce paradoxe de façon particulièrement aiguë, la GPA rend nécessaire d’articuler à nouveaux frais des notions d’autonomie reproductive et d’autonomie sociale, mais aussi de repenser la valeur critique des arguments de l’oppression et de la vulnérabilité. Dans la psychologie morale contemporaine, cette double exigence se noue dans l’analyse du problème des « préférences adaptatives » (initialement formulé par Jon Elster et renouvelé par Amartya Sen). Sans exclure d’autres approches, le colloque privilégiera ce problème central dans le débat féministe sur l’acceptabilité morale de la GPA.
Axe 2 : Enjeux sociaux et politiques de la gestation pour autrui
Alors qu’il est habituel d’appréhender la GPA en termes de commercialisation d’une partie de son corps, l’analyse au prisme de la catégorie du travail permet d’éviter la moralisation attenante pour inscrire cette pratique dans la continuité du travail de care qui, transversal aux espaces domestiques et marchands, participe à la reproduction des inégalités de genre, de classe et de race. Les féministes matérialistes avaient déjà dégagé, dans les années 1970, les limites de la division marxiste entre travail productif et travail reproductif. Conceptualisée comme travail de production biologique et affective de la vie humaine, la GPA problématise la catégorie même de travail reproductif et engage une modalité inédite de valorisation capitaliste. Incommensurable avec une telle valorisation, la reconnaissance du travail des gestatrices semble exiger la mobilisation d’un concept relationnel et asymétrique de responsabilité (développé par Robert Goodin et Iris M. Young). Les notions traditionnelles de responsabilité causale, morale et légale ne peuvent en effet prendre en charge les situations inédites d’injustice générées par la circulation transnationale du travail de care, que le colloque s’attachera à cartographier et caractériser.
Axe 3 : Enjeux anthropologiques de la gestation pour autrui
Sous sa forme moderne, la GPA implique potentiellement trois mères physiquement et juridiquement distinctes : génétique, gestationnelle et sociale. Cette démultiplication de la maternité remet à elle seule en cause trois paradigmes anthropologiques naturalistes : celui de la reproduction humaine, celui de la parenté et celui de la différence des sexes. De conserve avec d’autres techniques de reproduction assistée mais avec une charge symbolique plus forte solidaire d’une psychologie normative de la grossesse, la GPA nous oblige à historiciser ces paradigmes, à interroger les processus de leur validation juridique et à repenser l’opposition de la nature et de l’artifice. Déjà largement engagées par l’anthropologie de la reproduction de tradition anglo-saxonne (Helena Ragoné) et l’anthropologie féministe (Paola Tabet), ces réflexions sont aujourd’hui précipitées par la diffusion des biotechnologies. Le colloque examinera notamment la valeur heuristique de la GPA pour l’anticipation des bouleversements de nos représentations de la maternité entraînés par leurs développements futurs, et en particulier par la réalisation du projet scientifique d’ectogenèse ou d’utérus artificiels.
Modalités de soumission
Cet appel à communication s’adresse aux jeunes chercheurs seulement : doctorants, post-doctorants et assimilés, qui représenteront environ 1/3 des participant.e.s au colloque. Selon le nombre et la pertinence des propositions reçues, les communications feront l’objet d’une présentation individuelle de 30 mn maximum ou bien d’une présentation de 20 mn seulement dans le cadre d’une table-ronde. Les communications peuvent être tenues en français ou en anglais, mais une compréhension des deux langues est indispensable pour la participation au colloque.
Les propositions anonymisées ne devront pas dépasser 8000 signes (espaces compris), elles seront accompagnées d’une brève bibliographie indicative. Elles sont à adresser au format pdf à l’adresse mail suivante : marlene.jouan@univ-grenoble-alpes.fr. Le texte du message comprendra le titre de la proposition, l’axe thématique privilégié, ainsi que l’affiliation académique et les coordonnées de l’auteur. Un accusé de réception sera envoyé.
Comité scientifique
Les propositions seront évaluées par un comité scientifique composé comme suit :
Jean-Philippe Deranty (Philosophie sociale et politique, Université Macquarie, Australie),
Jean-Yves Goffi (Bioéthique, Université Grenoble Alpes, France),
Samia Hurst (Bioéthique, Université de Genève, Suisse),
Sandra Laugier (Philosophie morale, Université Paris-Sorbonne, France),
Catriona Mackenzie (Ethique, Université Macquarie, Australie),
Emmanuel Renault (Philosophie sociale, Université Paris-Nanterre, France).
Le colloque donnera lieu à publication d’actes et à ce titre, les communications seront à nouveau évaluées pour une sélection.
Calendrier
15 septembre 2016 : date limite (prolongée) pour l’envoi des propositions
15 octobre 2016 : notification des acceptations
8-10 mars 2017 : tenue du colloque
15 mai 2017 : date limite pour l’envoi des communications revues pour publication
30 juin 2017 : notification des acceptations pour publication
Les frais de transport, d’hébergement et de restauration seront pris en charge, mais un soutien des laboratoires de rattachement des auteurs sera bienvenu.
Université Grenoble Alpes
Grenoble, France (38)