CfP: La Mobilisation du Droit par les Mouvements Sociaux et la Société Civile

Call for papers, deadline: 15 October 2017 (in French)

 

> Argumentaire

La question des usages du droit par des mouvements engagés dans des mobilisations sociales a longtemps été négligée par la sociologie des mouvements sociaux. Ce désintérêt s’explique, sans doute en partie, par la disqualification qui a largement frappé le droit au cours du 20ème siècle dans le champ de la sociologie bien qu’il ait représenté un objet d’étude privilégié pour certains fondateurs de la discipline, tels Durkheim et Weber. Mais sous l’influence de Marx, puis de Bourdieu, nombre de sociologues n’ont vu dans le droit qu’une mystification destinée à masquer les inégalités et rapports de force ainsi qu’à reproduire la domination économique et sociale.

Aujourd’hui, le changement est notable : les recherches sur le recours au droit par des mouvements sociaux sont devenues foisonnantes. Elles concernent des cas d’étude très variés, ancrés au sein de pays et contextes divers. Cette évolution scientifique correspond à une évolution sociale : dans des Etats où le droit a pris une place prépondérante, dans des sociétés travaillées par leur propre judiciarisation, le recours aux règles juridiques et aux institutions chargées de les concevoir ou de les mettre en œuvre est devenu un élément important du répertoire d’action de nombreux groupes de revendication. Cette évolution traduit également un changement de regard sur l’objet « droit » lui-même. Quoique les positions adoptées sur ce plan soient très diverses, on observe une plus grande prise au sérieux du phénomène juridique, de sa pluralité interne, de ses ambivalences et une attention plus marquée au sens que les normes et procédures juridiques peuvent revêtir pour les citoyens non juristes qui s’en saisissent.

Le champ de recherche que constitue désormais l’étude des usages du droit par les mouvements sociaux et la société civile demeure toutefois très morcelé. Entre les sociologues des mouvements sociaux, les juristes intéressé.e.s par les sciences sociales, les ethnologues du droit ou encore les anthropologues du politique, le dialogue reste entravé par le poids des barrières entre disciplines et sous-disciplines. Ainsi, les cadres théoriques et méthodologiques des un.e.s et des autres divergent ; plus regrettable, elles.ils ne portent au mieux qu’un regard distant sur leurs travaux respectifs.

Certaines innovations conceptuelles – ainsi, les notions de cadrage juridique des causes ou de structures d’opportunités juridiques (et non plus seulement politiques) – pointent pourtant l’intérêt et la fécondité du dialogue entre les disciplines sur ces objets. Dans cette perspective, ce colloque poursuit trois objectifs principaux :

1. Saisir la diversité et la richesse de cette évolution en rassemblant, par-delà les frontières disciplinaires et géographiques, des analyses empiriques et théoriques inédites relatives aux usages militants du droit et de l’institution judiciaire ;

2. Promouvoir un dialogue entre chercheurs. chercheuses travaillant sur ces questions à partir de disciplines et de méthodologies différentes ;

3. Baliser le champ et établir un bilan critique de ces usages du droit ainsi que des enjeux scientifiques que pose cette évolution.

> Modalités de soumission

Renseignements pratiques

  • Cet appel s’adresse aux sociologues, juristes, philosophes, anthropologues, politologues, criminologues, historien.ne.s, etc. qui s’intéressent aux mouvements sociaux et à la société civile en général, à l’étude des usages militants du droit en particulier.

Les propositions de contributions (max. 500 mots) sont à envoyer, en français ou en anglais, pour le 1er octobre 2017 à l’adresse électronique suivante : arc-strategic-litigation@ulb.ac.be.

Veuillez inclure votre nom et affiliation institutionnelle ainsi qu’un court CV. Les personnes seront informées de l’acceptation ou du refus de leur proposition pour le 15 octobre 2017.

  • La conférence sera suivie d’une publication sous forme de numéro spécial qui sera soumis à une revue internationale avec comité de lecture. Certains articles pourront également être publiés sur www.opendemocracy.net/openmovements. L’acceptation des propositions n’implique pas automatiquement leur sélection pour publication, qui fera l’objet d’un processus d’évaluation distinct.
  • Le colloque fera l’objet d’une traduction simultanée (français/anglais).
  • Les propositions peuvent préciser si leur.s auteur.e.s nécessite.nt un financement et/ou d’autres demandes de besoins spécifiques pour participer au colloque. Certaines des propositions pourront faire l’objet d’un soutien financier de la part de l’organisation du colloque dans les limites des budgets disponibles.

> Thématiques

Le colloque articulera cinq thématiques pour autant de panels se déroulant en séance plénière. Dans chacun des panels, une personne experte du champ interviendra pour discuter les présentations. Elles seront réunies lors d’une table-fonde finale pour tirer les conclusions générales du colloque. Les cinq personnalités suivantes ont confirmé leur présence à ce titre :
  • Dr. Boaventura de Sousa Santos – Centro de Estudos Sociais (Coimbra) ;
  • Dr. Bruno Frère  – Université de Liège ;
  • Dr. Liora Israël – Ecole des hautes études en sciences sociales (Paris) ;
  • Dr. Michael McCann – Law, Societies & Justice Program (Washington) ;
  • Dr. Shalini Randeria – Institut für die Wissenschaften vom Menschen (Vienne).

1. Le recours au droit et à l’institution judiciaire : une action collective parmi d’autres ?

Le répertoire d’action collective dans lequel puisent quotidiennement les groupes organisés a, pour certains d’entre eux, désormais fait une place à des activités juridiques de nature diverse. Si l’action en justice en est la manifestation la plus visible, l’usage du droit peut prendre d’autres formes, de l’invocation d’arguments juridiques dans des négociations jusqu’au plaidoyer en faveur d’un changement législatif ou d’une nouvelle convention internationale. Ce passage au droit opéré par certains groupes militants soulève plusieurs questions : comment le recours au droit s’articule-t-il avec les activités militantes plus traditionnelles ? Dans quelle mesure la mobilisation du droit transforme-t-elle (ou pas) le contenu des revendications et les rapports de force au sein du mouvement ? Comment sur le terrain, les militant.e.s de base travaillent-elles.ils (ou pas) avec les professionnel.le.s du droit ? Pour paraphraser Brigitte Gaïti et Liora Israël, ce panel visera à comprendre « ce que le droit fait à la cause et ce que la cause fait au droit et à ses acteurs ». Ces questions pourront être abordées à travers l’étude de cas variés illustrant le développement des usages du droit dans les mobilisations. Enfin, ce panel pourra également interroger ce que l’étude du droit fait à l’étude des mouvements sociaux. Se focaliser sur le juridique pour étudier l’activité militante introduit-il des biais dans l’analyse sociologique ? Plus généralement, quels sont les défis et l’impact de la prise en compte du droit par les sciences sociales lorsqu’il s’agit d’analyser l’action des mouvements sociaux ?

2. Revisiter les notions de succès et d’échec d’un mouvement social à la lumière des expériences de mobilisations du droit

Gagner un procès ou obtenir une nouvelle loi est-il synonyme de gagner une cause ? A l’inverse, une action militante peut-elle être un succès malgré une défaite sur le plan juridique ? Pour certains, une victoire judiciaire ou législative marque la réussite éclatante d’une mobilisation. Pour d’autres, un succès sur le terrain du droit ne satisfait pas forcément les aspirations d’un mouvement social et peut générer des effets pervers. D’autres encore font observer que l’issue d’une action en justice ou d’une campagne en faveur d’une réforme du droit n’épuise pas la question de l’apport de la mobilisation du droit à un mouvement social : même en cas de défaite judiciaire ou législative, cet apport peut se traduire par un acquis en termes d’empowerment, d’apprentissage collectif ou de publicité donnée à une cause. Ces discussions rejoignent l’un des débats majeurs de la sociologie des mouvements sociaux de ces dernières années : que signifient les concepts de succès et d’échec pour un mouvement social ? Si l’on admet qu’une part importante du succès des mouvements sociaux réside dans l’impulsion d’un débat public, de changements culturels ou même de transformations subjectives liées à l’expérience du mouvement, comment de tels éléments s’articulent-ils avec des stratégies de recours au droit ? Se prêtant tout particulièrement aux analyses comparées, ce panel sera aussi l’occasion de se demander dans quelle mesure l’analyse des dimensions juridiques des stratégies militantes permet de compléter les paradigmes dominants sur ce point dans l’étude des mouvements sociaux.

3. Globalisation des luttes et circulation des pratiques juridiques 

La mobilisation croissante du droit, au service des causes les plus diverses et dans les contextes les plus variés, s’inscrit dans un mouvement plus large de globalisation et de transnationalisation qui affecte tant les mouvements sociaux que les concepts et pratiques juridiques eux-mêmes. Le discours des droits humains, en particulier, arrimé à un vaste réseau de textes et procédures nationaux et internationaux, constitue désormais une référence privilégiée pour des mouvements situés aux quatre coins de la planète. Ce sont aussi les formes d’usages militants du droit qui se mondialisent, telle la pratique du « contentieux stratégique » (strategic litigation). Les mouvements qui portent ces actions sont eux-mêmes engagés dans des processus de transnationalisation : des causes nées dans des contextes locaux sont fréquemment portées devant des instances nationales ou internationales. Ces phénomènes enchevêtrés soulèvent de nombreuses questions : comment ces normes, discours et pratiques circulent-elles d’un contexte militant à l’autre ? Quelles réappropriations, transformations ou « vernacularisation », pour reprendre l’expression de Sally Engle Merry, subissent-elles dans ce processus ? Qui sont les acteurs et actrices de cette circulation ? Plus particulièrement, comment rendre compte de l’appropriation mondialisée du discours des droits humains parmi les sphères militantes ? Mais quelles sont aussi les résistances que ce discours et ces pratiques génèrent auprès de certains groupes organisés ?  

4. Comment comprendre le refus du droit et de l’action en justice par certains groupes militants ?

Si une compréhension plus fine des usages militants du droit et de l’action en justice passe inévitablement par leur étude théorique et empirique, nous faisons le pari que les motifs et les effets de ces usages peuvent également se donner à voir, en creux, lorsque, précisément, il n’y est pas fait recours dans le cadre d’une action collective. Quels sont les groupes qui n’utilisent pas le droit et pour quels motifs ? S’il s’agit-il d’un choix revendiqué, quelles sont les raisons, idéologiques ou stratégiques, qui le motivent ? Ces groupes peuvent-ils constituer le foyer d’autres formes de normativités alternatives au droit étatique ? Les théories empruntées au pluralisme juridique ou à la critique du droit peuvent-elles nourrir l’analyse des mouvements sociaux ? Telles sont les principales interrogations qui animeront ce quatrième panel.

5. Entre ordre juridique et désordre social : le droit, toujours outil de répression des mouvements sociaux 

Le constat du recours croissant au droit par de nombreux mouvements sociaux et organisations de la société civile ne doit pas faire perdre de vue que le droit a été et est encore utilisé comme instrument de répression des groupes militants. Au Nord comme au Sud de la planète, les exemples récents abondent de cas dans lesquels les codes et les juges ont été convoqués pour contrer des mobilisations. Ce dernier panel sera consacré à l’étude des stratégies, usuelles ou inédites, par lesquelles les autorités publiques ou des organisations privées usent du droit et de l’institution judiciaire contre les mouvements sociaux. Ce sont aussi les formes de résistances mises en place, avec ou sans la contribution de professionnel.le.s du droit, contre ces pratiques qui retiendront l’attention. On s’intéressera également aux concepts et méthodes permettant de rendre compte de ces phénomènes.

> Comité scientifique

  • Marie-Laurence Hébert-Dolbec
  • Geoffrey Pleyers
  • Julie Ringelheim
  • Annemie Schaus
  • Barbara Truffin
  • Laura Van den Eynde

> Lieux

av. Franklin Roosevelt 50
Bruxelles, Belgique (1050)

 

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