La Revue d'Études Décoloniales, en vue de la sortie de son numéro 4, invite les chercheurs, enseignants, militants et/ou toute autre personne intéressée à proposer des contributions sur la thématique suivante : « Colonialité du pouvoir » en circulation / en exercice dans les espaces francophones. Ce numéro vise à décrire et à penser la colonialité du pouvoir (hiérarchisation de la société et du monde à partir de la race) en pratique dans les espaces francophones (tant dans les relations entre la France et les anciennes colonies, qu'entre la France et l'Outre-Mer, ou à l'intérieur même de la société française).
Compte tenu des contextes politiques et sociaux nationaux et internationaux, la REDa choisi de s’adresser pour ce numéro aux militants comme aux universitaires, aucitoyen engagé ponctuellement dans une lutte comme au « professionnel » du combat. Nous voulons montrer comment circule la « colonialité du pouvoir » entre la France et les anciennes colonies, entre la France et l’Outre-mer, mais aussi à l’intérieur même de l’Hexagone.
Pour cela, nous partons des idées suivantes :
50 ans après la décolonisation, la « colonialité du pouvoir » — autrement dit, ce système de hiérarchisation de la société qui a pour pivot la « race »- continue de structurer les pratiques étatiques et les imaginaires des anciennes métropoles, qu’il s’agisse de leur façon d’administrer leurs populations ou du rapport qu’elles entretiennent avec leurs anciennes colonies.
- Dans l’Hexagone, les populations d’origine coloniale, les enfants de l’immigration, souffrent de traitements discriminatoires, pour ce qui est de leur accèsà l’emploi ou du plein exercice de leurs droits ; la répression frappant toujours plus etplus durement Noirs et Arabes.La gestion française des conflits sociaux fait apparaître des méthodes testéespendant la période coloniale, comme l’ont récemment démontré les pratiquesde la police française (lors de Nuit debout, pendant le mouvement des GiletsJaunes, avec les jeunes de Mantes la Jolie, etc.) La particularité étant
l’extension de ces méthodes, jusque là réservées aux groupes racisés, à toutela population.Quant à ceux qui dénoncent cet état de fait, ils sont assimilés à des individusdangereux pour la nation par les forces réactionnaires traditionnelles, mais aussi par tout un éventail de politiques, intellectuels et personnalités médiatiques qui vont jusqu’à leur reprocher, comme en témoigne récemment« l’appel des 80 intellectuels », de mettre en danger les fondements mêmes de la république.
Pointer le néocolonialisme de la politique française en Afrique relève de l’évidence. Or, s’il est difficile de nier la continuité coloniale des interventionsmilitaires et économiques de la France en Afrique, certainesinstitutions, comme la Francophonie ou les agences françaises dedéveloppement, sont rarement questionnées. Cette coopération internationale, qui rassemble une aire culturelle francophone, n’est pourtant pas si neutre. En fait, pour l’ancienne puissance colonisatrice, elle est aussi le moyen géopolitique et stratégique de maintenir une influence et une présence dans de nombreux pays sous couvert d’aide à la recherche scientifique. En Afrique, nous pouvons mentionner son emprise sur les recherchesscientifiques à mener (au travers le financement de certaines études orientéessur des thèmes particuliers), sur les rapports au culturel (francocentrisme), surles démocratisations, sur les chemins du développement (voir le rôle du francCFA). Par ailleurs, la constitution, valorisation et instrumentalisation d’une éliteafricaine francophile relèvent d’une inspiration coloniale. En effet, la fabrication de cette « élite » a été encouragée par des stratégies colonialesd’éducation et de domestication, des différenciations et hiérarchisations quiont abouti à des catégories telles que celles des « évolués ». Ce terme est d’ailleurs encore employé dans certaines sociétés africaines pour désignerdes anciennes/nouvelles générations d’intellectuels africains ayant eu l’expérience de formation occidentale et au même temps par certainsintellectuels africains ayant vécu l’expérience coloniale pour se différencier des Autres. Or, comme on peut le percevoir, ce terme concentre des aspectscontemporains de « la colonialité du pouvoir ».
Concernant les territoires d’outre-mer, les exemples ne manquent pas, depuis des décennies, de traitement discriminatoires, d’abandon, dont sont victimesles populations locales, qui ne jouissent pas des mêmes droits ni du même niveau de vie que les autres citoyens français. Sans compter la violence d’une « colonialité à la française » qui s’exerce dansles POM et les DOM-ROM. Ainsi, pour ne citer qu’eux, l’épisode sanglant quia endeuillé la Nouvelle-Calédonie à la fin du 20e siècle ; les événements deGuadeloupe il y a 10 ans ; de Mayotte l’an dernier ou, récemment, en Guyane.
Ce numéro 4 se veut une contribution à la lutte actuelle des antiracistes de tous ces pays et à la compréhension du rôle essentiel de la « colonialité dupouvoir » dans les pratiques des gouvernements modernes.Nous appelons à produire des contributions portant notamment sur :
- La Francophonie, instrument au service du contrôle français.
- La gestion des populations françaises sur le modèle colonial (armes, méthodes,modèles de la police, formes de répression, restriction des libertés).
- L’apparition d’une nouvelle ligne abyssale sur le territoire français, visible par exemple dans l’extension du terme « radicalisation », lui-même ancré dans une épistémè raciste.
- La politique migratoire françaiseLe référendum calédonien et l’invisibilisation des résistances en Nouvelle Calédonie et dans les autres POM et DOM-ROM.
- La « colonialité du pouvoir » dans les sciences sociales africaines.
- La gestion des populations africaines en Afrique sur le modèle colonial français(violence, répression, châtiment, manipulations).
- Les pratiques scolaires discriminantes dans l’éducation nationale à Mayotte.
- La dimension « décoloniale » du mouvement des gilets jaunes à la Réunion ouailleurs.
- Le rapport entre l’État français et les autochtones pour ce qui est de la question extractiviste en Guyane.
A noter que nous ne publions pas seulement des articles de type universitaire,mais également des dossiers, des lettres, interviews, débats, vidéos, audios,etc.Dans le cadre de la pluralité des langues à laquelle nous aspirons, militant pour unetraduction interculturelle et contre l’épistémicide ambiant, les contributions bilingues(français-créole, français-wolof, français-kanak, etc.) sont particulièrement bienvenues.
Calendrier
Les propositions d’articles (un résumé de 20 lignes) doivent être envoyées àadmin@reseaudecolonial.org
avant le 30 avril 2019.
Comité organisateur
- Claude Bourguignon Rougier
- Sebastien Lefèvre
- Paul Mvengou Cruz Merino
- Laura Nguyen
- Hamissou Rhissa Achaffert
- Maria Thedim-Goirand