CfP: Pratiques de solidarité et critique sociale

Call for papers, deadline 17 April 2020 (in French)

Pratiques de solidarité et critique sociale

Colloque organisé les 24 et 25 novembre 2020

Université Clermont Auvergne - CHEC

Le mot « solidarité » a une histoire : élaboration latine post Antiquité, il se rattache aux premières communautés chrétiennes et à la pensée chrétienne du social fondée sur les évangiles (saint Paul) et les Pères de l’Eglise. La notion de solidarité traverse tout le XIXe siècle. Elle s’appuie sur le vocabulaire juridique – l’obligation (in solidum signifiant solide, uni) qui, selon l’article 1202 du code civil de 1804, est définie comme « un engagement par lequel les personnes s’obligent les unes aux autres et chacune pour tous ». Elle se diffuse dans les milieux progressistes de la première moitié du XIXe siècle, puis dans la philosophie républicaine et dans les sciences sociales. A la fin du XIXe siècle, dans le cadre de la question sociale, la notion acquiert une grande visibilité avec le radical Léon Bourgeois, concepteur du « solidarisme », qui la juge pertinente pour éviter les excès du libéralisme et la menace du marxisme. Dans la pratique, elle fut aussi au cœur du mutuellisme et des Bourses du Travail créées par Fernand Pelloutier. Au XXe siècle, elle est fortement présente dans le mouvement ouvrier mais aussi dans les milieux « catholiques de gauche » s’engageant dans la décolonisation et pour le développement des pays du Tiers-Monde ».

 

Ce colloque ne vise pas à refaire l’histoire de ce concept mais à s’interroger sur l’usage ou le non usage que font les historiens et historiennes de la notion de solidarité et à se demander comment le mot solidarité peut devenir « transpériodique ».

Il a aussi pour but de montrer en quoi des pratiques de solidarité, productrices de liens sociaux et parfois de décloisonnement social, sont porteuses d’une dimension critique multiforme. Il s’appuie sur plusieurs postulats :

- Faire une histoire des pouvoirs de la critique vue d’en bas, c’est-à-dire une histoire attentive aux acteurs en marge des constructions politiques (que l’on songe à l’élite de la plèbe dans la République romaine des premiers siècles, aux étrangers dans les cités à l’époque hellénistique) ou, à l’époque contemporaine, à des « acteurs ordinaires » qui ne sont pas toujours invisibles et/ou inaudibles sur la scène politique et médiatique (par exemple les ouvriers ou les paysans) mais auxquels on ne laisse pas la parole de manière suffisamment prolongée pour comprendre les ressorts profonds de leur critique. Dans cette histoire attentive aux formes de critiques produites par des acteurs ordinaires, nous voulons étudier les manières dont des individus – hommes et femmes de différentes générations – souvent éloignés des constructions théoriques, se saisissent de termes et de notions « braconnés » au gré de discussions informelles dans des lieux « populaires » (cafés au XIX et au XXe siècles..) ou privés (maisons des tribuns de la plèbe) ou bien encore auprès de « passeurs » pour « agir », autrement dit s’engager dans le cadre d’une solidarité à la fois locale, nationale voire internationale.

- Évaluer les pouvoirs de la critique, non pas seulement dans l’ordre discursif mais aussi dans l’ordre des pratiques sociales. En ce sens, nous proposons de réfléchir à la « critique mise en pratique » et pas forcément mise en mots ainsi qu’à la critique artistique, qu’elle soit monumentale (époque grecque, hellénistique et romaine) ou picturale, cinématographique et théâtrale.

 

- Envisager à la fois la solidarité morale, la solidarité sociale, la solidarité internationale sans pour autant occulter la solidarité « ordinaire » (au sens de Michel de Certeau), autrement dit le sentiment de « sympathie » qui conduit à l’entraide et peut concerner tout individu indigné, dans une situation donnée, par une forme d’injustice.

 

Si nous proposons une définition des pratiques de solidarité, celle-ci est provisoire – à questionner et à approfondir :

 « Toute forme de participation (individuelle ou collective) visant la défense ou la promotion d’une cause, produisant des compagnonnages politiques, sociaux, religieux et culturels, sur un temps court ou un temps long, à l’échelle locale, nationale et internationale, et générant une critique des pouvoirs. »

 

À partir d’études de cas explorant des situations de pratiques de solidarité, nous voulons examiner les modalités de la construction de la critique sociale ordinaire, les modes d’appropriation des discours critiques. En somme, les processus de co-construction sont au cœur de notre réflexion et invitent à étudier les rencontres entre acteurs sociaux différents.

 

1 Les pratiques de solidarité horizontale contre l’ordre social

 

L’objectif est d’examiner les pratiques de solidarité « horizontale » contribuant à des regroupements d’acteurs situés à l’intérieur ou en dehors du corps des citoyens (individus dénués de droits, étrangers, esclaves dans l’Antiquité et à l’époque moderne en contexte frontalier dans le monde méditerranéen) ou bien dans les milieux populaires au sens large du terme (entre artisans et ouvriers pendant des événements révolutionnaires tels que la Révolution Française, 1848, et la Commune de 1871 ; au XXe siècle, la participation et le soutien des paysans au mouvement ouvrier lors de la grande grève des mineurs en 1963 ou inversement celui des ouvriers aux paysans pour le Larzac) ; ou bien encore dans les situations d’exil politique (les réfugiés politiques royalistes en Europe au début du XIXe siècle ou des réfugiés d’Amérique latine en Europe dans les années 1970).

 

2 Pratiques de solidarité et critique du désordre mondial : la notion d’injustice

 

Dans une perspective diachronique et transnationale, cet axe vise à explorer les pratiques de solidarité et la critique d’un désordre mondial qui peut prendre la forme d’une contestation des « impérialismes ». Dans l’Antiquité, on pense à certains phénomènes comme la piraterie ou les révoltes serviles à grande échelle. Dans la seconde moitié du XXe siècle, on peut étudier les pratiques de solidarité à l’égard du « Tiers-monde » (et particulièrement l’Amérique latine) dans les sphères politico-religieuses propices aux hybridités intellectuelles entre message évangélique et marxisme. On entend appréhender le recours à la justice comme un « pouvoir » de la critique d’un ordre social injuste. De ce fait, on déboucherait sur une critique du désordre mondial prenant la forme d’une contestation des impérialismes.

 

3 Pratiques de solidarité et critique sociale artistique: désordre social et mondial

 

Tout en voulant conserver une vision diachronique, nous voulons croiser des études de cas relevant de divers domaines artistiques.

Dans le domaine cinématographique et théâtral du XXe siècle, il s’agit de comprendre les motivations des collectifs d’artistes mais aussi les initiatives individuelles qui s’insurgent et/ou veulent témoigner du désordre social et mondial aux côtés des acteurs ordinaires et militants. En somme, nous souhaitons saisir comment ils s’insèrent dans les mouvements sociaux.

En quoi leurs créations peuvent-elles être considérées comme des armes efficaces de la critique sociale ? Selon quelles modalités scéniques ou esthétiques, les œuvres théâtrales ou cinématographiques retenues se singularisent-elles ? Peut-on observer des modèles récurrents, voire des invariants dans les formes scéniques et filmiques proposées ? Quels sont les contextes de réception de leurs œuvres ? Comment mesurer l’impact de leurs productions sur les scènes à la fois politiques et médiatiques ?

Il s’agit d’examiner des formes de théâtre politique et/ou révolutionnaires,  des films militants, de fiction et documentaires qui exprimeraient une critique sociale et une critique des impérialismes (impérialisme américain et colonialisme), dans l’épanouissement de la période de décolonisation jusqu’au mouvement de la contre-culture des années 70 en Europe, en Afrique et aux États-Unis.

 

Nous aurons le plaisir d’accueillir la professeur Anna Pellegrino de l’Université de Bologne, qui assurera une conférence plénière.

 

Le colloque aura lieu à la Maison des Sciences de l’Homme de Clermont-Ferrand. Les frais d’hébergement des participants seront pris en charge par le centre organisateur du colloque. Le comité organisateur accueillera les propositions de jeunes chercheurs, de chercheurs confirmés comme celles de doctorants. Une publication des actes après une double expertise des textes est prévue. Les propositions de communications doivent être accompagnées d’un résumé de 300 mots accompagnées d’une courte bio-bibliographie de l’auteur. Merci d’adresser vos propositions à ces trois adresses simultanément, pour le 17 avril 2020 :

Caroline.Lardy@uca.fr, Laurent.Lamoine@uca.fr, Nathalie.Ponsard@uca.fr

 

 

Comité scientifique

Laurence Américi, Aix-Marseille université

Baptiste Buob, chargé de recherche CNRS, LESC-Université de Nanterre

Jeremy Foa, Aix-Marseille université

Vincent Flauraud, université Clermont-Auvergne

Marianne Jakobi, université Clermont-Auvergne

Stéphanie Maillot, université Clermont-Auvergne

Caroline Moine, université Versailles St-Quentin-en-Yvelines

Arnaud Paturet, chargé de recherche CNRS

Natividad Planas, université Clermont-Auvergne

Luisa Veloso, université de Lisbonne  

 

Comité d’organisation

Laurent Lamoine

Caroline Lardy

Nathalie Ponsard

 

Bibliographie sélective

Justyne Balasinski et Lilian Mathieu, Art et contestation, Rennes, PUR, 2006.

Marie-Claude Blais, La solidarité. Histoire d’une idée, Paris, Gallimard, 2007.

Christian Biet et Olivier Neveu, Une histoire du spectacle militant (1966-1981), l’Entretemps, 2007.

Luc Boltanski, De la critique. Précis de la sociologie de l’émancipation, Paris, Gallimard, 2009.  

Céline Combette, In solidum teneri. La solidarité en droit privé romain, thèse de droit, dirigée par Jean-Luc Coriat, Clermont-Ferrand, 2007.

Nicolas Delalande, La lutte et l’entraide. L’âge des solidarités ouvrières, Paris, Editions du Seuil, 2019.  

Émile Durkheim, De la division du travail social, 1893. ED PUF. Coll « Quadrige », 1991.

Zabunyan Elvan, Black is a Color : une histoire de l’art africain-américain contemporain, Paris, Dis Voir, 2004.

Célia Keren, L'évacuation et l'accueil des enfants espagnols en France : cartographie d'une mobilisation transnationale (1936-1940), thèse sous la direction de Laura Lee Downs, 2014.

Catherine Le Grand-Sébille et Françoise Zonabend, "Faire société avec les morts", Études sur la mort 2012/2 (n° 142), p.11-30.

Caroline Moine, « Votre combat est le nôtre ». Les mouvements de solidarité internationale avec le Chili dans l’Europe de la Guerre froide », Monde(s), vol. 8, no. 2, 2015, pp. 83-104.

Serge Paugam, Repenser la solidarité, Paris, PUF, 2007.

Sabine Rousseau, La colombe et le napalm. Des chrétiens français contre les guerres d’Indochine et du Vietnam 1945-1975, Paris, CNRS Éditions, 2002

Evelyne Toussaint (dir.), La fonction critique de l’art. Dynamiques et ambiguïtés, Bruxelles, La Lettre volée, 2009.

Michel Wieviorka dir., Les solidarités, Paris, Editions Sciences humaines, 2017.

 

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