CfP: Actualités de la pensée anarchiste en géographie

Call for papers, deadline 15 June 2021 (in French)

Le Réseau des Géographes Libertaires (RGL) est fondé en 2010 pour faire le lien entre monde académique et mouvement social en privilégiant une entrée analytique spatiale, territoriale et environnementale. Ce réseau entend relier la science géographique et les approches anarchiste et libertaire, ces dernières n'étant pas vues de façon dogmatique mais considérées comme des postures critiques et des pensées libres. 

Le RGL s’attache ainsi à prolonger les liens historiques entre anarchie et géographie, qui remonte aux origines de la discipline, dans la lignée des écrits de Reclus, Kropotkine ou Metchnikoff ; et à promouvoir une géographie qui s’affranchit des frontières disciplinaires (entre sciences sociales, et au-delà) et qui ne se réduit pas à un courant désigné et délimité par un épithète, qu’il soit celui de « sociale », « physique », « culturelle », « radicale » ou « politique ».

En 2014, le RGL proposait une définition, non arrêtée, d’une perspective anarchiste en géographie : « Une perspective anarchiste en géographie analyse, et dénonce, les formes spatiales du pouvoir, que celles-ci soient particulièrement coercitives et visibles, ou faiblement. Elle interroge les espaces où se déroulent actuellement les résistances à ce pouvoir. Elle réfléchit sur les modes géographiques d’organisation qui permettent de substituer au pouvoir (autoritaire) une puissance — ou une capacité — libertaire.

Une perspective anarchiste de la géographie peut libérer celle-ci d’un carcan verticaliste et lui substituer une lecture horizontale du monde, démontant les systèmes hiérarchiques et valorisant les tentatives horizontales d’émancipation humaine dans l’espace.

Elle n’a pas une vision statique et fétichiste de la nature. Elle s’interroge sur les limites supposées de la biosphère et de la terre, elle questionne le retour du malthusianisme en science comme en politique. Elle réfléchit sur une mésologie qui soit sociale.

Elle n’est pas l’esclave de la technique, mais elle ne tombe pas non plus dans une critique aveugle ou tronquée de la technologie. Elle se met au service non des dominants, en leur fournissant des outils d’analyse et de contrôle, des discours et des lectures du monde, mais au service de la société, du peuple. Elle le fait non pas de l’extérieur ou d’en haut, mais en son sein, en franchissant et en dépassant la barrière académique ».

Dans le prolongement des réflexions menées par le RGL, l’objectif de ce numéro est de tendre collectivement à la définition et au recensement des pratiques, toujours en construction, d’une géographie libertaire ou anarchiste, qui rende compte de sa richesse et de sa diversité comme garantie d’évitement du dogmatisme théorique. Par ailleurs, si ce numéro est proposé et coordonné par le RGL, il n’est en aucun cas envisagé d’en faire un numéro rassemblant uniquement des textes de membres du RGL. Ainsi, toute personne se reconnaissant dans l’appel qui suit est invitée à proposer sa contribution.

Le regain de la pensée anarchiste, un mouvement de fond dans les sciences sociales, en géographie et dans la société.

On assiste depuis plusieurs années à un net regain des pensées et des pratiques anarchistes au sein des mouvements sociaux ; au succès des thèses issues de l’écologie sociale, du communalisme et du municipalisme libertaire (Bookchin, 1982 ; 1995 ; 2020) ; à une intensification des luttes impliquant des occupations et des appropriations de l’espace ; et à des expériences d’autogestion menées à différentes échelles territoriales, du Rojava au Chiapas en passant par les piqueteros argentins.

Le monde académique s’est également réemparé de la pensée anarchiste, si bien qu’un « anarchist turn » des sciences sociales a pu être évoqué (Blumenfeld, Bottici, Critchley, 2013). C’est notamment dans les disciplines géographiques et anthropologiques que cette résurgence a pu être repérée récemment, après un premier retour dans les années 1970 au sein de la géographie radicale[1]. Cette résurgence se manifeste dans des ouvrages (Graeber, 2004 ; Pelletier, 2013 ; Scott, 2014 ; Springer, 2016 ; Macdonald, 2018), des numéros de revue (ACME, 2012 ; Antipode, 2012 ; Journal des anthropologues, 2018 ; Mouvements, 2020), des colloques et des conférences (« Anarchisme et sciences sociales », 2018 ; « Commun.e.s. Actualité du municipalisme libertaire », 2018 ; « 2ème Conférence Internationale des Géographes et Géographies Anarchistes et Libertaires », 2019). 

Cette actualité sociale et académique invite à répondre collectivement aux questions suivantes : Existe-t-il une géographie spécifiquement anarchiste, des géographes anarchistes ou des pratiques et approches anarchistes de la géographie ? Quelles seraient alors les spécificités d’une géographie libertaire, tant dans les postures théoriques, les angles d’analyses et les méthodes empiriques ? Les réponses apportées à ces questions font débat au sein même du RGL. Certain.es d’entre nous estiment qu’il est urgent de structurer ces cadres théoriques et méthodologiques particuliers, souvent dispersés et implicites ; d’autres contestent l’idée d’une spécificité théorique et méthodologique, considérant qu’il s’agit surtout de postures et d’objets privilégiés par des « géographes » anarchistes (Pelletier, 2019).

Un numéro entièrement anonymisé

Soucieux de s’opposer aux logiques d’individualisation, de course aux publications, d’incessante évaluation et de mise en compétition des chercheur.es, ainsi qu’à ses traductions bibliométriques, le RGL a adopté, non sans en avoir vivement débattu, le principe d’un numéro entièrement anonymisé. Le but n’est pas de gommer le principe de responsabilité individuelle, mais de sortir, au moins le temps d’un numéro de revue académique, d’une démarche concurrentielle pour proposer un travail collectif. Sans que cela ne constitue un critère de sélection ou d’évaluation, les articles collectifs sont recommandés pour favoriser cette logique d’anonymat. 

Le RGL est conscient des implications d'une telle démarche, en particulier pour les chercheur.es précaires pour lesquel.les toute publication est bonne à prendre dans un contexte de forte compétition académique. Proposer un numéro anonymisé constitue ainsi une modalité supplémentaire de dénonciation et de lutte contre ces injonctions, qui pèsent d'autant plus lourdement sur les chercheur.es précaires et non-titulaires[2]. 

Axes thématiques

Les contributions proposées pourront se référer particulièrement à l’un des axes suivants, ou en croiser plusieurs à travers des réflexions théoriques, des analyses réflexives et des études de cas. 

1) Les fondements théoriques d’une géographie anarchiste 

Ce premier axe invite à réexplorer les fondements théoriques de l’anarchie pour en mesurer les apports géographiques. Comment ces fondements théoriques de l’anarchisme se traduisent dans l’espace ? L’anarchisme permet-il de formaliser un imaginaire spatial alternatif, et de repenser des notions géographiques comme celle de territoire (Ince, 2012) ou d’échelle (Springer, 2016) ?

L’anarchisme s’attaque historiquement à toutes les formes de domination, sans se réduire à celles issues de l’exploitation économique et du pouvoir étatique, considérant que la domination peut se manifester dans l’ensemble des rapports sociaux, qu’ils soient de classe, de race, de genre, etc. L'anarchisme reconnaît ainsi « le capitalisme, l'impérialisme, le colonialisme, le néolibéralisme, le militarisme, le nationalisme, le classisme, le racisme, l'ethnocentrisme, l'orientalisme, le sexisme, l'âgisme, le capacitisme, le spécisme, le carnisme, l'homophobie, la transphobie, la souveraineté et l'État comme des systèmes de domination imbriqués » (Springer, 2012, p. 1614). Pour autant, la critique de l’autorité, centrale dans la pensée anarchiste, passe avant tout par celle de l’Etat, en tant que structure autoritaire de soutien, de régulation et de perpétuation des rapports de domination capitalistes et des inégalités qui en résulte. L’anarchisme, qui « répudie le gouvernement de l'homme par l'homme, quelle que soit la forme qu'il prend » (Kropotkine, 1898, p. 59), appelle ainsi au renversement de toutes les formes de pouvoir. L’exploration des fondements théoriques d’une approche anarchiste pourra donc être mise en perspective dans la manière dont elle se différencie des théories marxistes dominantes de la géographie radicale, particulièrement (mais pas seulement) dans leurs conceptions différentes du rapport à l’Etat. 

Par ailleurs, les liens entre les pensées anarchistes et féministes sont très denses au moins depuis la seconde moitié du XIXème siècle, notamment avec des auteures comme Emma Goldman, Louise Michel et Voltairine de Cleyre, mais aussi dans les années 1930 comme en témoigne la fédération anarcha-féministe des Mujeres Libres espagnoles durant la révolution sociale espagnole. Plus récemment, les mouvements afro-féministe, le féminisme décolonial, intersectionnel, les courants queer, transféministes ou encore écoféministes, apportent un nouveau souffle aux pratiques et idées libertaires. Quels sont les liens et l’influence des gender studies, des courants féministes et queer sur les pensées anarchistes et leurs évolutions ? Et de manière réciproque quel est le rôle des approches anarchistes ou libertaires dans les courants féministes ?

Enfin, depuis le XIXe siècle, la diffusion des idées anarchistes s’exerce notamment par la mobilité, contrainte ou volontaire. Qu’elle soit liée à la pratique du voyage et de l’exploration géographique, à l’exil et à la clandestinité[3] ou à une condition de migrant[4], la circulation des savoirs et discours anarchistes a alors permis de structurer une communauté militante à l’échelle internationale, et de dessiner une géographie libertaire avec ses pôles comme Bruxelles, Londres ou Genève. Partant de ce constat, un certain nombre de questions émerge : qu’en est-il aujourd’hui de la circulation transnationale des théories anarchistes ? Observe-t-on une spatialité privilégiée et un ancrage territorial particulier ? Ou, au contraire, un processus de transmission réticulaire ? Par ailleurs des angles morts subsistent et méritent d’être creusés : l’anarchisme est-il seulement urbain et occidental ? Quelles influences ou interactions depuis les campagnes ou depuis ce que les universitaires nomment les « Suds » ? Quels liens peuvent être tissés entre la pensée anarchiste et les subaltern studies ?

2) Matérialisation et spatialisation des idées libertaires

La place des institutions, dont la figure dominante est l'Etat de droit, et les rapports à l'espace que ces formes sociales induisent, ont très largement occupé les approches de géographie anarchiste. L’Etat est une construction récente à l’échelle des sociétés (Clastres, 1974, Graeber, 2009) et des spatialités humaines. En tant qu’organisation spatiale fondée sur une délimitation territoriale et l’exercice de la violence, l’Etat n’est donc historiquement qu’une forme parmi d’autres de la vie sociale : de quelle manière le pouvoir de l'État (et donc les manières qu'il a de dominer) est-il ancré dans l'espace voire fondé sur ce dernier ? En retour, comment un projet politique émancipateur se distingue-t-il nécessairement d'une gestion étatique du territoire ? Quelles organisations socio-spatiales non hiérarchiques et alternatives à l’Etat peuvent-elles être imaginées aujourd’hui dans une logique d’émancipation ? Des approches libertaires de l’institution, assumant tout ce qu’il peut y avoir d’incertain et de fragile dans l’expérience sociale, ce que Boltanski nomme « contradiction herméneutique » (Boltanski, 2009), peuvent-elles émerger ?

Bien que l'Etat se soit imposé comme standard dans les formes d’organisation collective, Kropotkine (1902) a démontré la valeur de l’entraide et de l’aide mutuelle pour le progrès collectif de l’ensemble des espèces, en opposition au darwinisme social et au malthusianisme. Face au risque de saturation de la présence d’espèces animales sur un même espace, des phénomènes d’adaptation ou de migration donnent en effet naissance à des reconfigurations territoriales (Angaut, 2009) pour préserver et faire perdurer la logique de la coopération et du soutien mutuel. Comment le principe de la coopération peut nourrir un projet politique qui redéfinisse les relations sociales selon une perspective égalitaire ? Sur quelles bases spatiales la théorie de l’entraide peut-elle se fonder ?

La pensée anarchiste cherche donc à explorer des formes d'organisation ou d'institution d'humains et de non humains alternatives aux formes dominantes. Les principes anarchistes ont par exemple guidé ou inspiré la création de spatialités distinctes ou de « géographies autonomes » marquées par la volonté de fonder des « formes collectives non-capitalistes de politique, d’identité et de citoyenneté » (Pickerill, Chatterton, 2006, p. 1). De telles initiatives remontent aux expériences anciennes des « colonies » (Beaudet, 2006) et ont pu s’exprimer avec une intensité variable dans des mobilisations très récentes (mouvements Occupy et Indignados, Zones A Défendre, Nuit Debout, Gilets Jaunes, etc.) ou plus anciennes. Ce fut le cas lors des années 1990, pendant lesquelles les free parties ont par exemple pu être assimilées à des « zones d’autonomie temporaire » (Bey, 1991). Comment ces espaces se mettent-ils en place et fonctionnent-ils ? Quelles appropriations physiques et symboliques des lieux entraînent-ils et quelles stratégies spatiales mettent-ils en œuvre ? De quelle manière des communautés politiques engendrent-elles des territorialités spécifiques, basées sur une co-présence physique ? De plus, de nombreux collectifs féministes et anarcha-féministes sont actifs localement (en milieu urbain comme rural) et attestent de formes alternatives de pratiques spatiales, par exemple dans le mouvement squat espagnol (collectif Eskalera Karakola) ou en Bolivie (collectif Mujeres Creando). Comment la matérialité et l’ancrage de ces mouvements féministes renouvellent les pratiques spatiales de l’anarchisme ?

La ville, en tant que lieu de maximisation des logiques néolibérales et creuset des résistances à celles-ci, constitue un décor propice à l’analyse de la pensée anarchiste telle qu’elle peut être « en train de se faire » au sein des multiples luttes urbaines contemporaines. Et l’urbanisme, qui correspond à un projet de disciplinarisation de l’espace et de transformation des villes en centres de l’accumulation capitalistique, peut également contenir des potentialités émancipatrices, présentes dans l’histoire urbaine avec les cités libres du Moyen-âge et dans les écrits de penseurs tels Lewis Mumford, Patrick Geddes ou Colin Ward. Il apparaît donc pertinent d’explorer les conditions actuelles de mise en œuvre d’un « urbanisme libertaire » et les principes d’aménagement qui pourraient en découler à différentes échelles.

Si la critique de la propriété remonte aux premiers écrits anarchistes (Proudhon, 1840) et aux premières manifestations de l’anarchisme comme pratique, à travers le mouvement des diggers suite aux lois d’enclosure, elle trouve aujourd’hui des prolongements dans le mouvement des communs qui, à travers différentes approches, requestionnent les usages de l’espace (Dardot, Laval, 2014 ; Jourdain, 2020). L’analyse proudhonienne de la propriété comme « vol » et comme « liberté » se réactualise-t-elle dans les approches prenant pour objets les droits d’usage, la gestion collective et coopérative des ressources, les territorialités alternatives, la production coopérative ou les logiciels libres, etc. ? 

L’anarchisme conçoit ensuite la liberté comme la participation à l’organisation collective selon un principe d’association volontaire. Le fédéralisme, auquel Proudhon (1863) et Bakounine (1895) ont consacré des ouvrages, est central dans la pensée anarchiste et a fait l’objet d’élaborations concrètes lors, par exemple, des Communes de Paris, de Lyon, de Toulouse, de Narbonne ou de Marseille en 1870-1871. Que ce soit par la formation d’une « association d’égoïstes » (Stirner, 1845), d’une « communauté par séparation » et d’une « société des sociétés » (Landauer, 1911), d’une « confédération de communes libres » ou « Commune des communes » (Bookchin, 2002), quelles sont les spatialités que supposent les différentes formes d’organisation sociale anarchiste ? 

La politique préfigurative, qui vise à incarner la construction de sociétés désirées dans la pratique vivante du mouvement social, est un autre élément constitutif de l’anarchie. La perspective révolutionnaire[5] qui en découle est alors nécessairement processuelle, à l’opposé de l’eschatologie marxiste. Cela amène à penser la manière dont cette conception processuelle influe sur les dimensions spatiales et temporelles de la pratique révolutionnaire. De quelle manière les modes d’organisation sociale et spatiale envisagés pour l’avenir s’ancrent dans le présent ? Quelles pratiques préfiguratives peut-on repérer dans les luttes sociales contemporaines ? 

Les initiatives qui se réclament de l’anarchie sont également caractérisées par la mise en œuvre d’une démocratie directe, qui s’oppose aux rapports hiérarchiques et promeut les relations horizontales comme modalité indispensable de prise de décision. Elle consiste à « mettre en place des réseaux horizontaux au lieu de structures descendantes comme les États, les partis ou les entreprises ; des réseaux basés sur les principes d'une démocratie décentralisée, non hiérarchique et consensuelle » (Graeber, 2002, p. 70). Quelles sont les modalités (assemblées, référendums, coopératives autogérées, etc.) de mise en œuvre cette démocratie directe ? Cette dernière n’étant pas qu’une pratique et un processus, mais aussi une spatialité, comment les principes anarchistes affectent les luttes sociales locales ? Et comment ces dernières, par leurs spécificités, reformulent et ré-inventent ces principes ? Qu'en est-il des pratiques collectives et des formes de luttes qui s'ancrent dans des principes anarchistes ou libertaires, sans pour autant s’en revendiquer ? 

Il existe enfin une influence déterminante de la tradition anarchiste et libertaire dans le développement et la formation de la pensée environnementaliste (White, Kossof, 2011), et plus largement dans la réflexion sur les liens entre nature et société, puis sur l’interconnexion des phénomènes sociaux et naturels : « l’Homme est la nature prenant conscience d’elle-même » (Reclus, 1905, p. 2). Quels sont les héritages de cette pensée reclusienne des milieux dans les débats écologiques actuels, qu’ils aient trait à l’utilisation et à la répartition des ressources, au réchauffement climatique, à la préservation des espaces naturels et des paysages ou à l’entraide des communautés végétales, humaines et animales ? La pensée reclusienne invite également à se saisir, particulièrement à une époque où les crises (migratoires, sanitaires, environnementales, …) se succèdent rapidement, de concepts comme les échelles, les centres et les périphéries, le progrès et le regrès, ou encore les frontières, dont Reclus dénonçait l’absurdité et imaginait la dissolution à travers l’idée de « frontière mobile » (Ferretti, 2011).

Cet axe entend donc rassembler des travaux qui portent sur des thématiques classiques de la pensée anarchiste, et d’autres qui mobilisent la pensée anarchiste pour analyser un certain nombre de champs récurrents de la géographie critique (rapports aux lieux, gentrification, ségrégation, logement, ruralité, temporalités, pratiques récréatives, risques, numérique, durabilité, post-colonialisme[6], etc.). Précisons que l’inventaire proposé dans cet appel ne prétend aucunement à l’exhaustivité et invite à se saisir d’objets décalés.

Enfin, cet axe est ouvert à des réflexions portant sur l’actualité récente liée à la pandémie de Covid-19. Le printemps 2020 a bousculé nos vies intimes, nos manières de travailler et de consommer, de percevoir l’espace urbain, ainsi que notre relation au politique, qu’il soit institutionnel ou informel. La catastrophe, racontée comme une « simple » crise, a dévoilé les mythes, les illusions et les vulnérabilités d’un système socio-économique qui se raconte comme l’aboutissement de la civilisation. Dans la tragédie grecque, catastrophé correspond au moment où la trame se dévoile, où les intrigues se dénouent avec la conscience que la catastrophe ne naît pas d’un jour à l’autre mais qu’elle est l’issue d’une longue histoire (Villanueva, Cobian, 2019), produite par des valeurs et des imaginaires, des choix et des ajustements. La réponse à cette situation, non pas générée directement par le système économique capitaliste mais par son système-monde, n’a suscité que des interventions autoritaires de la part des Etat-nations (Imperiale, Vaclay, 2019 ; 2020) : manipulation de l’information et déni de la réalité au début de l’épidémie, puis confinement et violence policière justifiés par un état d’urgence sanitaire, et enfin mise en place de l’application Stopcovid comme réponse technicienne, non pas en raison d’une urgence sanitaire mais face à la montée de la contestation sociale.

Nous souhaitons ainsi rendre compte et mettre en avant les expériences qui ont, dans le contexte de la pandémie de Covid-19, dû faire face à la situation en choisissant par exemple des formes d’auto-organisation. Et d’autres qui se sont saisies du contexte pour s’engager dans la construction d’un monde humainement désirable basé sur l’entraide et solidarité (Solnit, 2010 ; Tomassi, Forino, 2019). Un grand nombre d’initiatives, notamment en milieu urbain (par exemple en Italie avec le Brigate di solidarietà attiva à l’échelle nationale, le Brigate volontarie per l’emergenza à Milan, le Gruppo di Mutuo Aiuto à Rome, mais aussi en France à Marseille, à Paris ou à Lyon, etc.), ont démontré qu’il était possible de recourir à l’autogestion pour répondre à une situation de crise de manière efficace et ciblée sur les véritables besoins des populations ; tandis que l’appareil techno-bureaucratique établissait des normes liberticides, absurdes et inutiles. Nous voudrions donc également analyser et valoriser l’ensemble de ces réponses citoyennes et militantes, qu’elles aient été circonscrites au contexte de crise où qu’elles se soient maintenues dans l’après-crise. Que disent ces différentes initiatives, et leurs pérennités variables, de la création de nouveaux rapports de force et marges de manœuvre dans et contre un monde techno-totalitaire ?

Enfin, l’existence d’un racisme institutionnel, dont l’actualité récente rappelle qu’il s’agit d’une réalité structurelle, invite à critiquer de nouveau le rôle de l’Etat et à analyser dans une perspective géographique le passage « de la question sociale à la question raciale » (Fassin D., Fassin E., 2009), à travers l’étude des violences et bavures policières, de la répression des manifestations et des mouvements sociaux, des émeutes urbaines, de la stigmatisation et de la discrimination vécues au quotidien par les populations racisées, etc.

3) Apports méthodologiques et pédagogiques de l’approche anarchiste pour la science géographique

Une approche anarchiste de la géographie suppose la pratique d’une recherche militante, qui s’appuie sur des outils et des méthodologies conventionnels. Néanmoins, ces outils peuvent être subvertis, acquérir une portée militante et être mis au service des luttes sociales, comme c’est le cas de la cartographie. Si cette dernière a de tout temps constitué un instrument de domination, l’émergence d’une contre-cartographie, définie comme critique ou radicale (Mogel, Baghat, 2007), populaire (Bunge, 1971), autonome (Casa Cortes, Cobarubbias, 2007) ou encore sociale (Almeida, 1994), est venue contester cette hégémonie historique de la carte comme usage exclusif des puissants.

Par ailleurs, l’approche anarchiste privilégie une démarche inductive, partant de la réalité sociale ou de la géographie réelle des mouvements sociaux et d’une éventuelle « réalité anarchiste du terrain ». L’attention portée à cette dernière amène à traiter la question du pouvoir et de la domination par le bas et à observer l’émancipation individuelle et collective, voire l’anarchisme, en train de se faire ici et maintenant. Quelle est la réalité anarchiste du terrain ? Que nous apporte l’approche anarchiste pour construire et analyser nos terrains ? Qu’est-ce que l’anarchisme apporte à nos méthodes empiriques, à nos outils et à nos pratiques, pédagogiques comme de recherche ? Quelles nouvelles pratiques qui découlent des liens entre féminismes et anarchisme peuvent être repérées dans les domaines de la recherche et de l’enseignement ?

Enfin, l’approche anarchiste considère indispensable de ne pas limiter la critique sociale au domaine des idées, et d’articuler l’analyse théorique à une contestation en actes. L’adoption d’une posture militante et engagée dans la pratique de la recherche implique alors une réflexion sur les enjeux de positionnalité.

Formats et modalités pratiques

Au-delà du format classique de l’article scientifique, des propositions prenant la forme d’entretiens avec des collectifs militants, de podcasts, de reportages photographiques sur des mouvements sociaux, de journaux de terrain ethnographiques, de prises de positions militantes, etc., sont également attendues ; qu’elles émanent de chercheur.es titulaires ou précaires, d’étudiant.es, de professionnel.les, d’activistes, etc. Ces propositions pourront être rédigées en différentes langues. Enfin, les coordinateurs.trices du numéro laisseront la possibilité aux auteur.es qui le souhaitent de publier un texte féminisé.

Toutes les propositions de contributions seront à envoyer pour le 15/06/2021

à l’adresse suivante : numerorgl@riseup.net 

Les auteur.es peuvent contacter les coordinateurs.trices pour faire part de leur intention de proposer un article et poser toutes questions qui leur semblent nécessaires.

Par ailleurs, si ce numéro est proposé et coordonné par le RGL, il n’est en aucun cas envisagé d’en faire un numéro rassemblant uniquement des textes de membres du RGL. Ainsi, toute personne se reconnaissant dans l’appel qui suit est invitée à proposer sa contribution.

Évaluation

Elles seront relues par deux évaluateurs.trices extérieur.es à la revue, membres du RGL ou non.

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Notes

[1] La revue Antipode consacre un numéro à l’anarchisme et à ses liens à l’environnement en 1978.

[2] Dans la période actuelle de mobilisation contre les politiques et projets de réformes de l’ESR, les signatures ou candidatures collectives et communes (comme Alex ou Camille Noûs) apparaissent aussi comme des modalités de dénonciation des dysfonctionnements de l’Université de et la Recherche. L’idée d’une signature unique et systématique a toutefois été écartée pour témoigner de la diversité des approches.

[3] Suite aux « lois scélérates » de 1893-1894 en France, mais aussi en Italie à partir des années 1870.

[4] C’est le cas d'Emma Goldman, d’Errico Malatesta ou d’Alexander Berkman.

[5] Malatesta parlait de « gradualisme révolutionnaire ».

[6] Les rapprochements du post-colonialisme avec la pensée anarchiste semblent évidents si l’on considère que tout Etat-nation engendre un processus de colonisation intérieure (Abelès, 1984), et que tout post-colonialisme est donc nécessairement post-étatique. 

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