CfP: La mise en migration du monde. Mobilité et migration à l’ère de la globalisation. Perspectives pluridisciplinaires

Call for papers, deadline 15 October 2022 (in French)

 

« Le progrès technologique, la multiplication des moyens de communication, la professionnalisation et l’institutionnalisation des transports spécialisés dans les migrations ainsi que la mise en place de réseaux solides ont transformé les migrations en une mise en relation d’un ici et d’un ailleurs ». [WITHOL de WENDEN, 2010 : 111]

Contexte

D’après le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) « Le nombre de personnes contraintes de fuir les conflits, la violence, les violations des droits humains et les persécutions a franchi la barre des 100 millions pour la première fois », dont six millions d’Ukrainiens (ONU Info, 23 mai 2022), soit plus de 13 % de la population nationale. Cette conjoncture de déplacements forcés contribue à l’amplification, au moins d’un point de vue médiatique et tout à fait légitiment, du traitement pathologique des mouvements des masses, entretenu depuis les vagues de réfugiés syriens de 2015[1]. En témoigne la récurrence de l’expression « crise migratoire ».

Toutefois, depuis quatre décennies se dessine parallèlement une logique structurelle vers l’internationalisation de la mobilité de masse [BADIE, WITHOL de WENDEN, 1994]. L’extension extra-occidentale de ce mouvement, qui fit irruption au XIXe siècle [BADE et al. 2011], aboutit aujourd’hui à la « globalisation humaine » [WITHOL de WENDEN, 2009]. En effet, à mesure que s’estompait les grandes idéologies – superstructures – après 1989, s’observait le parachèvement des infrastructures qui participent du gouvernement du monde [QUET, 2022]. Dès lors que celles-ci conduisent à « la fin des territoires » [BADIE, 1995] voire à la « fin de l’espace et du temps » [ROSENAU, 2003 : 239].

Par de-là leur complexité, les théories classiques des migrations [PICHE, 2013] participent pour l’essentiel de la « pensée d’État » [BOURDIEU, 2012], par la mobilisation a priori des catégories produites par l’État dont Abdelmalek Sayad soulignait les limites [SAYAD, 1999]. La migration est alors envisagée, in fine, soit comme un marché de main d’œuvre entre « push » et « pull » [BLANC-CHALEARD, 2001], soit au travers du critère de l’« intégration » ; Soit enfin au prisme interétatique des institutions internationales. Dans une approche souvent binaire – Nord-Sud – ces théories tendent à réduire le champ migratoire à trois protagonistes, l’État de départ, l’État d’arrivée et l’individu-migrant. Elles traitent généralement des dispositions à envoyer et, surtout, à accueillir le migrant, sans toujours prendre au sérieux les dispositifs migratoires. Elles se demandent souvent pourquoi l’individu migre ? Et, rarement : comment voyage-t-il ? À rebours de l’injonction à la mobilité sous-jacente à la mondialisation [BADIE, 2009], elles prennent en charge le migrant et rarement sa mise en migration. Elles entretiennent ainsi une sorte de paradoxe de la main visible [FOX 2003 ; KEELING, 2012 ; FEYS, 2013 ; QUET, 2022][2].

En convoquant la mobility turn [URRY 2000 ; ALLEMAND et al., 2006], on se donne le moyen de saisir « Homos mobilis » [AMAR, 2016] comme cet acteur issu de l’alliance entre capital de mobilité et mobilité du capital. Il renvoie vers un processus de mise en migration du monde par l’appropriation de la mobilité à des populations entières, qui donna naissance à la migration de masse au XIXe siècle et, aujourd’hui, étendu à l’échelle du globe. Le mouvement migratoire actuel résulte largement de cette révolution de la mobilité dans le cadre intégré du « village planétaire » [McLUHAN, 1967], engendrée et portée par le capitalisme globalisé. Par sa vulnérabilité, le migrant potentiel est certes à l’affût des possibilités de fuite, « bouger pour s’en sortir » [LE BRETON, 2005], mais il est réellement mis en mobilité par des filières et des organisations internationales de la migration, qui tirent avantage d’une certaine « mort de la distance » [CAIRNCROSS, 2001].

Dès lors notre colloque voudrait interroger la question migratoire sous l’angle de la nouvelle division internationale du travail et de domination dans laquelle ceux qui maîtrisent et contrôlent les moyens infrastructurels et logistiques des technologies de l’information et des communications (TIC) mettent les autres en relation et en migration à des fins économiques et/ou géopolitiques.

Plus spécifiquement, le regard migratoire de notre colloque porte sur les principaux points suivants :

  1. De la nécessité de décrire le fait migratoire contemporain. Celui-ci se caractérise par un entrelacs multidimensionnel de données politiques, juridiques institutionnelles, économiques, sociaux et surtout technologiques aujourd’hui, mais également par une chaîne d’acteurs devenue plus dense et déployés à l’échelle de la planète. Sa compréhension nécessite par suite une description plus fine des processus à l’œuvre ainsi que de l’ensemble des parties prenantes, au-delà de l’univers officiel des Etats.
  2. De la compréhension du contexte de « la fin de la géographie » [O’BRIEN, 1992] qui appelle par ricochet au dépassement du présentisme [ELIAS, 2003 ; HARTOG, 2003] dans lequel les théories migratoires classiques tendent à se replier [PICHE, 2013 : 52 ; APRILE, DIAZ, 2021 : 7]. Elle engage alors à envisager les migrations contemporaines dans leur genèse. Aussi, à côté de leur socio-genèse, rend-elle incontournable leur part de techno-genèse amorcée en Europe à partir des années 1840 avec les débuts de généralisation de la logistique de locomotion motorisée, notamment à vapeur – navire et train – [BROMWELL, 1855 ; MARNOT, 2006 ; FEYS, 2013 ; DARWIN, 2020].
  3. De l’appréhension du monde comme société globale aux sciences humaines et sociales post-nationales et post-disciplinairesLe siècle de la mobilité et des flux révèle l’entrée de plus en plus prononcée dans un monde post-wesphalien [BADIE, 1995] et même post-wébérien[3]. De façon générale, dans la mesure où la plupart des grandes problématiques contemporaines (réchauffement climatique, pandémie…) ont partie liée avec la mobilité et les flux globaux, le paradigme de la mobilité marque l’avènement des sciences humaines et sociales au croisement du local et du global. [DE SWAAN, 2022 ; CAILLE, DUFOIX, 2013 : 5]. L’articulation de nos actions à l’échelle globale en dépit de leur caractère très localisé n’est-elle pas l’une des leçons de la Covid-19 ? La migration de masse forme l’un des sites privilégiés de ce tournant et nécessite une perspective post-nationale et pluridisciplinaire [WITHOL DE WENDEN in RUDE-ANTOINE, ZAGAMARIS, 2005].

Objectifs du colloque

L’objectif général du colloque est d’engager un regard nouveau sur les migrations contemporaines. L’idée est de les considérer dans une perspective de compétition mondiale pour le contrôle des flux humains engendrée et alimentée par le jeu de la globalisation ; laquelle met en scène non plus exclusivement l’Etat et le migrant mais aussi et, peut-être, surtout un ensemble d’entrepreneurs et d’infrastructures logistiques. Ces derniers vont des multinationales des télécommunications à Facebook et WhatsApp, en passant par les diasporas, les opérateurs de transfert de fonds, des filières internationales et autres intermédiaires, tous reliés et portés par l’univers numérique que représente le couteau suisse qu’est le smartphone, en vue du contrôle des flux économiques et financiers en jeu. En amont, selon l’ONU, les flux issus de la traite des migrants sont annuellement de l’ordre de 7 milliards de dollars, tandis que, en aval, d’après la Banque mondiale, les transferts de fonds des migrants supplantent désormais aussi bien l’aide publique au développement que les investissements directs étrangers (IDE).

Ce nouveau regard sur les migrations vise plus spécifiquement à ne plus les considérer uniquement comme des dynamiques pathologiques mais également, eu égard à leur ampleur et à leurs enjeux, comme la résultante de la logique de la globalisation, consubstantielle des mobilités et des flux. Dans cette perspective, il importe de retenir que la gouvernance de la globalisation signifiera simultanément la régulation du marché de la mobilité en général et de la migration en particulier à l’exemple de celui du tourisme, dans une finalité de sécurité et de prospérité partagée, notamment par la prise en compte de l’ensemble des acteurs publics et privés, formels et informels. Il s’agira alors de mettre fin à l’exception qui fait que les crimes de la migration soient, à peu près, les seuls crimes de masse sans prise en charge internationale dédiée. Car à côté des flux financiers brassés et convoités, le bilan humain de la mise en migration du monde et, en particulier des Africains, relève d’une véritable hécatombe silencieuse qu’il convient de comprendre pour y mettre fin. En effet, ses victimes sont probablement parmi les plus importantes hors conflits armés depuis 1945 ; elles sont chiffrées notamment par l’ONU à 20.000, uniquement en Méditerranée entre 2014 et 2020 [ONU Info, 6 mars 2020].

Enfin, le renouvellement de la compréhension migratoire ouvre de nouvelles voies de recherches sur le concept de la mise en migration du monde, avec une focale appuyée sur l’Afrique centrale, selon une perspective pluridisciplinaire et comparative. Il s’agira notamment de proposer de bâtir une plateforme de production régulière de données et d’analyses autour de groupes de recherches.

Axes thématiques – non exhaustifs – du colloque

1 – Mondialisation et migrations, perspectives historiques

2 – Réseaux socio-numériques et filières internationales de migration clandestine

3 – Enjeux géopolitiques et (géo) économiques des migrations internationales à l’ère de la mobilité globale

4 – Migrations et nouvelles formes de criminalité et d’insécurité

5 – Etats, nations, cultures, religions à l’ère de la mobilité : représentations du monde dans un contexte de globalisation humaine

6 –Liberté, liberté de circuler et d’établissement dans les espaces communautaires

7 – Gouvernance régionale et mondiale de la migration au XXIe siècle

Modalités de soumission

Les propositions de communications de cinq (05) pages maximum (texte + bibliographie + notice biographique en police Time New Romans 12) sont attendues à l’adresse suivante : cerdip.uob@yahoo.com

au plus tard le 15 octobre 2022

Les réponses aux propositions de communications seront notifiées aux auteur.es le 31 octobre 2022.

Le colloque se tiendra à Libreville, les 8 et 9 décembre 2022.

Prise en charge et frais de participation au colloque

Les auteur.es des propositions retenues doivent s’assurer de la prise en charge du déplacement et du séjour à Libreville. À titre exceptionnel, en fonction de la contribution des bailleurs de fonds, partenaires du colloque, le Comité d’organisation pourra prendre en charge certains frais. Les modalités de cette éventuelle prise en charge seront notifiées aux bénéficiaires. Toutefois, le cas échéant, des communications pourront se faire par visioconférence.

La participation au colloque est soumise à l’acquittement de frais ainsi répartis :

* Professionnel.les : 50 000 Franc CFA

* Enseigants-chercheur.es : 30 000 Franc CFA

* Doctorant.e.s : 10000 Franc CFA

* Une sélection des communications fera l’objet d’un numéro spécial de la revue du CERDIP

Organisation

Colloque international organisé par le Centre d’Études et de Recherches en Droit et Institutions Politiques (CERDIP) de la Faculté de Droit et des Sciences Économiques de l’Université Omar Bongo (UOB) Gabon en collaboration avec l’Institut Français du Gabon (IFG)

Comité d’organisation

  • Pr Jean-Claude JAMES, Directeur du Cerdip
  • Pr Alexis ESSONO OVONO, Coordonnateur scientifique du Cerdip
  • Apoli Bertrand KAMENI, Maître-Assistant, Trésorier du Cerdip
  • Darlane MENGUE M’ENGOUANG, Assistante, Secrétaire générale du Cerdip
  • Serges MEYE NDONG, Maître-Assistant, Coordonnateur de la revue du Cerdip
  • Mme Raphaëlle GAUTHIER, Attachée de Coopération Universitaire et Linguistique de l’IFG

Comité scientifique

  • Pr Bertrand BADIE (Sciences Po Paris)
  • Pr Marc-Louis ROPIVIA (Université Omar Bongo)
  • Pr Albert ONDO OSSA (Université Omar Bongo)
  • Pr Jean Jacques EKOMIE (Université Omar Bongo)
  • Pr Pierre NZINZI (Université Omar Bongo)
  • Pr Clotilde Chantal ALELA (Université Omar Bongo)
  • Pr Nadine MACHIKOU (Université Yaoundé II)
  • Pr Papa OGO SECK (Université Gaston Berger)
  • Pr Jean-François OWAYE (Université Omar Bongo)
  • Pr Étienne NSIE (Université Omar Bongo)
  • Pr Charles MBA OWONO (Université Omar Bongo)
  • Pr Hervé NDOUME ESSINGONE (Université Omar Bongo)
  • Pr Alain ONDOUA (Université Yaoundé II)
  • Pr Médard MENGUE BIDZO (Université Omar Bongo)
  • Pr Gabriel ZOMO YEBE (Université Omar Bongo)
  • Pr Pierre KAMDEM (Université de Poitiers)
  • Pr Rémy BAZENGUISSA (École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris)
  • Pr Auguste NGUELIEUTOU (Université de Douala)
  • Pr Djedjro Francisco MELEDJE (Université d’Abidjan)
  • Pr Ndiaw DIOUF (Université Cheikh Anta Diop)
  • Pr Mahaman TIDJANI ALOU (Université Abdou MOUMOUNI)
  • Pr Alain KENMOGNE SIMO (Université de Yaoundé II)
  • Pr Victor Emmanuel BOKALLI (Université de Ngaoundéré)
  • Pr Thérèse ATANGANA-MALONGUE (Université de Yaoundé II)
  • Pr Yvette KALIEU ELONGO (Université de Dschang)
  • Pr Dieunedort NZOUABETH (Université Cheikh Anta Diop)
  • Pr Serge BIGNOUMBA (Université Omar Bongo)
  • Pr Serge LOUNGOU (Université Omar Bongo)
  • Pr Jean Sylvain NDO NDONG (Université Omar Bongo)

Notes

[1] Wihtol de Wenden Catherine, « En Europe, le plus grand mouvement de réfugiés depuis 1945 », La Croix, 25 septembre 2015, p. 12-13.

[2] Voir aussi Le Monde, 20 juin 2018, p. 1.

[3] « Illegal migration : No passport required », The Economist, July 25th 2020, p. 29.

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