CfP: Syndicalisme et environnement

Call for papers, deadline 31 October 2022 (in French)

 

Argumentaire

La question environnementale a rarement été au cœur des préoccupations des recherches en sciences sociales qui portent sur les organisations et les pratiques syndicales. Pourtant, de manière plus ou moins indirecte, toutes les chercheuses et tous les chercheurs qui se sont intéressés aux organisations syndicales ont pu observer des débats ou des pratiques qui présentent une dimension environnementale. En ce sens, cet appel se veut ouvert à ceux et celles qui étudient les organisations syndicales, les relations professionnelles et les mouvements sociaux, qu’ils et elles aient déjà travaillé ou non sur les enjeux environnementaux auparavant.

Depuis plusieurs années, les organisations syndicales expriment fréquemment leurs préoccupations pour différents enjeux environnementaux. La lutte contre des sources de pollutions industrielles, la décarbonation des activités productives, la critique ou les contre-propositions face à la communication « verte » de certaines entreprises, les réflexions et les mobilisations engagées sur la compatibilité d’ambitions de transformation sociale et de réduction des inégalités avec la défense d’une transformation écologique de l’économie fondée sur un développement durable et des « emplois verts » sont autant de sujets sur lesquels les positions syndicales se précisent et deviennent plus audibles depuis une décennie. Les oppositions binaires qui ont longtemps prévalu dans l’analyse des relations entre le mouvement syndical et les acteurs qui revendiquaient le monopole des enjeux environnementaux tendent à s’émousser. Par suite, s’estompent aussi les oppositions simplificatrices (« emploi » contre « environnement », « syndicalisme » contre « écologie politique », « travail » contre « nature », etc.) qui réactivaient subrepticement l’antagonisme entre un pôle assigné à l’archaïsme et des forces s’identifiant à la modernité. Le « dilemme » emploi contre environnement, longtemps présenté comme une évidence, est désormais étudié comme une construction historique. Cette démarche permet ainsi d’éclairer les facteurs qui ont pu, et peuvent encore, conduire des organisations syndicales à consentir à ce dilemme. Ce faisant, il devient également possible de mieux comprendre les conditions dans lesquelles certains syndicalistes ont contribué à remettre en cause ce dilemme, en prêtant une attention aux trajectoires biographiques de ces militants, qui agissent parfois aux marges de leurs organisations.

L’historicisation de ces tensions ouvre la voie au renouvellement de l’étude des relations des organisations syndicales aux enjeux environnementaux. La définition de ces derniers ne saurait être excessivement restreinte, car l’histoire environnementale a démontré l’existence d’une variété d’environnementalismes. Les conceptions de « l’environnement », de la « nature », du « climat » sont distinctes et se transforment selon les groupes sociaux, les aires géographiques et les périodes considérées. Plutôt que de partir d’une définition figée et ahistorique, ce colloque invite à explorer les voies singulières de la construction de conceptions des relations aux écosystèmes qui furent propres aux organisations syndicales. Celles-ci n’ont pas attendu l’élaboration de concepts adéquats et l’invention d’administrations publiques dédiées pour se préoccuper du cadre de vie des classes populaires ou des contextes pathogènes qui altéraient la santé des travailleurs et des travailleuses.

Pour l’heure, l’historiographie environnementale du syndicalisme s’est davantage concentrée sur les décennies de haute croissance (des années 1940 aux années 1980). Si quelques travaux éclairent des actions syndicales au tournant des dix-neuvième et vingtième siècle ou les enjeux environnementaux liés aux désindustrialisations des dernières décennies, nombre de chantiers de recherche restent à ouvrir ou à étendre sur ces périodes. L’historiographie existante permet toutefois de souligner la nécessité de considérer le mouvement syndical dans la diversité de ses orientations, pratiques et ancrages pour analyser les dynamiques à l’œuvre dans la construction des positions et des actions de ses composantes. D’une part, les préoccupations environnementales ont parfois pu susciter des de distinctions au sein du champ syndical national ou territorial. D’autre part, dans une même organisation, les positions peuvent varier selon les branches, les territoires et les échelons concernés, comme au gré des trajectoires biographiques des militant.es.

Les études existantes ont porté prioritairement sur les pays anciennement industrialisés (Europe occidentale, Amérique du Nord, Japon et Australie). Le colloque traitera principalement de l’espace français, mais n’exclut pas des contributions se situant au-delà de ces frontières. D’une part, et dans une perspective comparative, des travaux sur d’autres pays seront bienvenus. D’autre part, nombre d’actions syndicales invitent à prendre en compte la part des circulations transnationales. Ainsi en va-t-il du rôle des organisations internationales (organisations du syndicalisme international et européen, Organisation internationale du travail) sur la diffusion accélérée des pratiques et des savoirs militants dans les alertes sur la toxicité du chlorure de vinyle monomère au cours des années 1970. A contrario, le poids de certaines organisations syndicales dans des secteurs industriels stratégiques (par exemple, les mineurs d’amiante dans les pays d’extraction) a pu contribuer à freiner des prises de positions syndicales. La construction de ces positions doit toutefois être analysée de manière approfondie, afin de reconstituer les débats, et de redonner une voix aux syndicalistes qui portèrent des propositions minoritaires ou minorisées. De même, des approches attentives aux contacts noués entre certains militants permettront de mieux éclairer les expériences de coopération entre des organisations de travailleurs qui s’efforcent de répondre au développement des échanges de marchandises liés à la globalisation économique, par exemple à propos du transfert de déchets toxiques ou d’infrastructures démantelées des pays industrialisés vers le Sud (dockers et douaniers confrontés aux toxiques, etc.).

Ce colloque ambitionne de susciter et d’affiner les études sur les acteurs qui ont contribué à ce que les syndicats s’emparent des questions environnementales, mais aussi des séquences où cette prise en compte fut difficile, voire conflictuelle, en leur sein. Ce faisant, les communications contribueront à inscrire les trajectoires syndicales dans les controverses actuelles sur la façon dont le constat du réchauffement climatique interroge l’écriture de l’histoire. En effet, les critiques formulées à l’encontre de la notion d’Anthropocène (ère géologique caractérisée par la transformation du climat par les êtres humains) ciblent l’idée d’une humanité homogène, propre à invisibiliser les responsabilités sociales différenciées, ainsi que l’inégale exposition aux conséquences du réchauffement planétaire. Les contre-propositions conceptuelles (Capitalocène, Plantaciocène) intègrent, à l’inverse, les inégalités sociales dans ce processus climatique. De ce point de vue, face aux grands récits, souvent surplombants, ce colloque entend aussi redonner leur place aux capacités d’agir des militant.es face à des phénomènes globaux.

Si ce colloque invite prioritairement à étudier les militant.es et structures syndicales, les communications proposées devront porter une attention à la diversité des acteurs avec lesquels les syndicalistes interagissent. Ces derniers composent toujours avec l’évolution des discours et pratiques des employeurs, ainsi qu’avec une réglementation étatique et des normes (européennes et internationales) qui évoluent. En parallèle, les relations entre structures syndicales et associations (ou collectifs militants) sont extrêmement variables : qu’elles soient pacifiées ou conflictuelles, elles contribuent toujours à façonner les réflexions et pratiques syndicales. 

Sur ces bases, plusieurs axes se dégagent :

Pour une ouverture chronologique et une pluralité de

Les travaux existants portent surtout sur l’après-1945, il y aurait donc un intérêt à travailler les décennies antérieures. Cette ouverture permettrait d’interroger la manière dont les enjeux environnementaux ont été pensés par les différentes cultures syndicales, ainsi qu’aux différentes échelles des organisations syndicales. Il s’agit aussi de proposer une réflexion de plus longue durée, non seulement sur les césures dans les représentations de l’environnement au sein des syndicats, mais également d’envisager ce qu’il en était dans les organisations et les mouvements ouvriers pré-syndicaux.

Cette ouverture chronologique paraît indispensable pour historiciser les conceptions syndicales, indépendamment des concepts et vocables mis en avant : « nature », « environnement », « écologie », etc.

Il convient aussi de mieux éclairer la diversité des chronologies d’émergence de préoccupations environnementales en fonction des territoires, des professions ou des branches. Sur ce point, l’étude des débats au sein des organisations du syndicalisme international et européen apporteront des éclairages bénéfiques. Il sera également intéressant d’éclairer la manière dont certains syndicalistes envisagèrent les conditions d’un recours plus régulier aux réglementations européennes ou aux normes internationales en matière d’environnement, en formulant des propositions parfois inconfortables au regard des pratiques majoritaires dans leurs organisations.

Mobilisations et revendications articulant santé au travail et santé environnementale

Il existe déjà un grand nombre de travaux sur les enjeux de santé au travail, et quelques études qui se proposent d’articuler santé au travail et santé environnementale. Ces dernières études restent à approfondir, par exemple :

  • les trajectoires biographiques de syndicalistes, et/ou de groupes de syndicalistes qui restent méconnus (ainsi des militants très investis sur les dossiers santé ou environnement sont-ils encore peu présents dans le Maitron) ;
  • des organisations peu étudiées jusque-là, telle la fédération CGT de la chimie et sa campagne PSE (« précarité, sécurité, environnement ») ;
  • des mobilisations particulières connues, mais insuffisamment analysées mettant au jour les liens noués entre syndicalistes et associations « spécialisées » en santé ou environnement (mobilisations autour des industries de l’aluminium ; action syndicale face aux enjeux sanitaires et environnementaux des marées noires du Torrey Canyon 1967, de l’Amoco-Cadiz en 1978, expériences menées dans le secteur Fos-Etang de Berre, etc.) ;
  • des activités qui, à l’exemple du nettoyage des lieux de travail et de résidence, posent le double problème des conditions de leur mise en œuvre et des relations des travailleuses et travailleurs de ce secteur avec les bénéficiaires et usagers.

L’action syndicale face aux enjeux environnementaux à l’heure de la désindustrialisation de certains territoires

L’historiographie des désindustrialisations s’étoffe depuis quelques années, et constitue un secteur de la recherche dynamique en histoire sociale. Les travaux en cours couvrent prioritairement la période allant de la décennie 1970 à nos jours, mais il serait pertinent d’accueillir des communications portant sur des processus antérieurs de déprises industrielles.

  • Examiner les conflits sanitaires et environnementaux dans les territoires et sur les sites désindustrialisés (vallées de l’aluminium dans les Alpes et les Pyrénées, verriers de Givors, usines de filage-tissage – Amisol – ou de broyage d’amiante, zones pétrochimiques de la Basse-Seine et pétro-sidérurgiques de Fos-Berre, etc.).
  • Etudier les positions syndicales face à la décontamination des résidus et déchets d’anciennes activités industrielles (terrils et haldes, pollution des sols, etc.).
  • Etudier l’action syndicale face aux transferts de déchets toxiques vers les pays du Sud, ou le démantèlement d’infrastructures dangereuses réalisés dans ces pays (navires, machines, décontaminations, etc.).
  • Etudier les relations et/ou tensions entre les organisations syndicales et les associations (ou collectifs) constitués pour porter certaines causes en matière de santé environnementale et/ou de reconnaissance des victimes de maladies industrielles (collectifs de riverains d’incinérateurs ou d’usines polluantes, association rassemblant les familles de victimes de maladies industrielles dans ou hors travail, etc.).
  • Comment les organisations syndicales se positionnent-elles face aux transformations des territoires, notamment après la disparition de certaines activités industrielles (particulièrement pour la période qui débute après les années 1970 : volonté d’entretenir la mémoire du passé industriel, positionnement à l’égard des initiatives et acteurs de patrimonialisation ou de « verdissement » d’anciens sites, etc.).

Projets et prises de positions syndicales sur les enjeux de transformation écologique des activités productives

Ces enjeux sont parfois étudiés au prisme des positions nationales (fédérales ou confédérales). Il serait intéressant de se rapprocher des territoires ou des entreprises directement concernés afin d’étudier la manière dont certains événements cristallisent les prises de position. Cette analyse territorialisée doit permettre d’identifier plus finement les différents acteurs (diversité des positions syndicales, alliances ou conflits entre structures syndicales et associations, relations avec les pouvoirs publics, les élus et les collectivités locales, etc.), avec mention particulière pour les institutions représentatives du personnel. Sur tous ces aspects, l’élargissement comparatif dans le temps et l’espace – au moins celui de l’Europe – aiderait à mieux évaluer l’éventuelle singularité des organisations syndicales françaises.

Parmi les thèmes et terrains possibles et souhaitables, l’étude des positions et actions syndicales, éclairées au besoin par les imaginaires nationaux, on retiendra :

  • les transitions énergétiques ;
  • l’évolution des systèmes de transports ;
  • les politiques de régulation des risques industriels ;
  • les politiques et mobilisations autour de la gestion des déchets toxiques ;
  • les transformations des circuits agro-alimentaires, y compris sous l’angle des relations entre syndicats ouvriers et syndicats paysans et, parfois, d’associations de consommateurs ;
  • l’aménagement du territoire et l’urbanisme dans leurs rapports avec la sphère du travail (bassins d’emplois, articulation des zones d’activités et de résidence, politiques du logement et du transport, etc.) ;
  • les controverses et prises de position sur les initiatives labellisées dans le domaine de la « responsabilité sociale et environnementale » des entreprises et au regard de leur communication verte ;
  • les débats sur les politiques de l’emploi dans un contexte où les mutations des activités productives sont davantage conditionnées par des critères environnementaux et par la prise en compte des limites planétaires ;
  • les débats sur la redéfinition du sens du travail à l’heure de la crise écologique, et/ou en intégrant une dimension écologique dans le travail

Réflexions syndicales autour des enjeux de définition de ce que sont les besoins sociaux

On s’interrogera ici sur la façon dont la définition des besoins sociaux peut participer d’une réflexion sur les enjeux environnementaux et sur la manière dont les syndicalistes incluent les critères environnementaux dans l’analyse de l’évolution subie ou souhaitée des activités (reconversions de secteurs industriels, planification de l’économie, etc.). Plutôt que d’éclairer des positions figées ou théoriques, cet axe invitera davantage à éclairer l’évolution de positions militantes au fil d’une trajectoire d’expériences. Là encore, il conviendrait de mieux cerner :

  • le profil des syndicalistes qui élaborent ces propositions, ainsi que les lieux et instances où ils les font (faire la part du rôle des permanents confédéraux et des militants d’entreprises, des responsables régionaux, des militants plus ou moins investis dans les structures interprofessionnelles, etc.), puis les présentent (CHSCT, CE, CSE, CESE, CESER, etc.) ;
  • les relations nouées en ces occasions avec d’autres mouvements sociaux et écologistes, syndicats paysans, experts, intellectuels et théoriciens de l’écologie politique, etc.) ;
  • les initiatives syndicales relatives aux pratiques de consommation, à l’accès aux loisirs ou aux activités culturelles, dont certaines furent l’occasion de soulever des enjeux environnementaux ;
  • les situations et les événements qui cristallisent l’élaboration de propositions (en faisant la part de propositions formulées dans l’urgence de réponses apportées aux menaces pesant sur des entreprises et des branches, de solutions émergées dans la foulée de mobilisations qui portaient initialement sur d’autres revendications, etc.), et de contributions syndicales à d’éventuels projets de transformations et réformes politiques.

Conditions de soumission

Les propositions de communication (2500 signes maximum) sont à envoyer

pour le 31 octobre 2022

à Stéphanie Meunier (ihs@cgt.fr) en précisant bien la période traitée et les sources utilisées.

Ce colloque est organisé en partenariat avec le Centre d’histoire sociale des Mondes contemporains (Université Paris 1, UMR 8058), Triangle (Université Lyon 2, UMR 5206), Pacte (Sciences Po Grenoble, UMR 5194) et l’Institut CGT d’histoire sociale.

Ce colloque se tiendra en région parisienne, en novembre 2023 (les dates exactes seront précisées ultérieurement).

Comité d’organisation

  • Jérôme Beauvisage (IHS CGT) ;
  • Renaud Bécot (Sciences Po Grenoble, PACTE) ;
  • David Chaurand (IHS CGT) ;
  • Francis Combrouze (IHS CGT) ;
  • François Duteil (IHS CGT) ;
  • Gilbert Garrel (IHS CGT) ;
  • Nicolas Hatzfeld (Université d’Evry, IDHES) ;
  • Anne Marchand (Giscop93, CHS) ;
  • Michel Pigenet (Université Paris 1, CHS) ;
  • Judith Rainhorn (Université Paris 1, CHS).

Comité scientifique

  • Gérard Alezard (IHS CGT) ;
  • Jérome Beauvisage (IHS CGT) ;
  • Renaud Bécot (Sciences Po Grenoble, PACTE) ;
  • Emmanuel Bellanger (Université Paris 1, CHS) ;  
  • Sophie Béroud (Université Lyon 2, Triangle) ;
  • Francis Combrouze (IHS CGT) ;
  • David Chaurand (IHS CGT) ;
  • François Duteil (IHS-CGT) ;
  • Marion Fontaine (Sciences Po Paris, CHSP) ;
  • Gilbert Garrel (IHS CGT) ;
  • Eric Geerkens (Université de Liège) ;
  • Marie Ghis Malfilatre (PACTE) ;
  • Nicolas Hatzfeld (Université d’Evry, IDHES) ;
  • Gwenola Le Naour (Sciences Po Lyon, Triangle) ;
  • Anne Marchand (Giscop93, CHS) ;
  • Michel Pigenet (Université Paris 1, CHS) ;
  • Barbara Prost (Université Paris 1, CHS) ;
  • Judith Rainhorn (Université Paris 1, CHS) ;
  • Alphonse Véronèse (IHS CGT) .
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