Définie comme la tendance à la monopolisation des activités politiques principales par des individus vivants pour et de la politique, se consacrant à temps complet à des activités dont ils tirent leurs moyens matériels d’existence, la professionnalisation du politique témoigne, dès la fin du XIXe siècle, de l’émergence d’un « nouvel entrepreneur politique ». Ainsi, au moment même où s’invente la politique moderne et se construisent les principes mêmes de la légitimité politique démocratique, les femmes restent pour de longues années exclues du jeu politique et demeurent aujourd’hui encore des outsiders dans cet espace. Il s’agira, dans le cadre de ce colloque international, d’étudier d'une part les mécanismes historiques et sociologiques qui contribuent à construire un ordre politique genré, et d’autre part la manière dont les femmes ont, malgré leur exclusion du champ politique légitime, acquis les savoir-faire et les savoir-être utile à la subversion des règles du jeu politique.
22/23 octobre 2025
Sciences Po Lille/IRHIS (ULille, Campus Pont de Bois)
Argumentaire
Définie comme la tendance à la monopolisation des activités politiques principales par des individus vivants pour et de la politique, se consacrant à temps complet à des activités dont ils tirent leurs moyens matériels d’existence[1], la professionnalisation du politique témoigne, dès la fin du XIXe siècle, de l’émergence d’un « nouvel entrepreneur politique »[2]. Ainsi, au moment même où s’invente la politique moderne et se construisent les principes mêmes de la légitimité politique démocratique, les femmes restent pour de longues années exclues du jeu politique et demeurent aujourd’hui encore des outsiders dans cet espace[3]. Le processus de professionnalisation se fait donc sans les femmes et consacre une vision masculine des rôles politiques et des qualités y afférant[4]. Le métier politique a été construit par et pour les hommes et valorise des compétences, des savoir-faire et des savoir-être produits d’une socialisation masculine. Au-delà de leur exclusion de l’espace politique représentatif, les femmes se sont vues de fait interdire l’apprentissage des règles de la politique « légitime », tout en se voyant opposer une figure genrée du représentant politique conforme au modèle d’une masculinité hégémonique, bourgeoise, blanche et hétérosexuelle[5]. Cette exclusion historique pèse aujourd’hui encore sur les difficultés que rencontrent les femmes à atteindre les postes les plus convoités comme celui de président de la République par exemple ou encore de Première ministre [6].
Les travaux sur la féminisation du métier politique ont été nombreux ces dernières années[7]. Ils ont cherché à comprendre les logiques qui conduisent – en dépit des dispositifs paritaires - à la difficile inclusion des femmes dans l’espace politique. Ils ont aussi mis au jour l’existence d’un ordre genré en politique qu’il convient désormais de mieux définir. La question de la fabrique du métier politique (et des représentations qui le dominent) demeure finalement peu étudiée. L’objectif du colloque est donc d’engager des analyses sur les difficultés du métier politique à devenir un « métier de femme », et par ce biais de revenir sur les processus historiques de construction d’excellence à l’œuvre dans l’espace politique et ses transformations. Qu’est-ce qui aujourd’hui définit un « bon » professionnel de la politique ?
Qu’est-ce que cette définition doit à l’histoire de la construction du rôle de « représentants » ? Et en quoi ces normes d’excellence professionnelles « genrées » participent-elles de l’inclusion ou de l’exclusion des femmes politiques et ce, à différents moments donnés de l’histoire ? Comment les femmes, en dépit de leur exclusion de fait, ont-elles finalement trouvé des espaces d’acquisition des savoir-faire politiques et des manières de peser sur l’espace de la représentation politique ?
La réflexion s’inscrit d’abord dans le renouveau des études sur la féminisation du champ politique, depuis deux décennies. Elle se penche plus particulièrement sur le métier d’élue et n’est pas sans faire écho au profond renouvellement de l’histoire des femmes, entendue sur un plan historiographique, depuis les années 1970. La seconde « vague » féministe, et à travers elle la dénonciation des pesanteurs d’une société encore marquée par le patriarcat et la domination masculine, nous rappelle tant la place réservée aux absentes d’une histoire au masculin façonnée depuis le XIXe siècle, que l’influence des women studies qui, visant à remplir les silences de l’histoire, entendent remédier « aux silences patriarcaux du passé »[8]. Il convient également de ne pas négliger l’influence des gender studies dès les années 1980, particulièrement dans l’histoire des rapports de pouvoir.
Il s’agit ensuite de rappeler que la vision du « métier politique » par le prisme du genre ne peut s’extraire d’un cadre chronologique qui, au-delà de sa nature éminemment politique et de la place prépondérante accordée aux Grands Hommes du roman national français, se superpose en partie à une périodisation des féminismes, et notamment par le biais des termes – de « vagues » ou de « générations » – communément employés pour désigner un cycle de mobilisation féministe correspondant à un contexte particulier[9]. La temporalité retenue, du mouvement suffragiste de la fin du XIXe siècle à l’actuel mouvement MeToo, propose à ce titre une approche non pas pluridisciplinaire, à laquelle on pourrait reprocher de contribuer à un morcellement du propos, mais véritablement interdisciplinaire dans son épistémologie et dans sa méthodologie, favorisant une démarche comparatiste permettant de prendre en compte les dynamiques, les ruptures et les échanges au sein d’un cadre hexagonal qui renvoie à une cristallisation d’une multitude de représentations, de significations, d’images correspondantes aux enjeux politiques et aux conflits idéologiques qui marquent la période[10].
Il s’agira enfin de montrer que l’absence des femmes des institutions politiques ne signifie pas pour autant leur totale invisibilité dans le champ politique, et plus encore leur renoncement ou leur incapacité à s’approprier les savoir-faire du professionnel de la politique, et ce en dehors même de l’espace politique stricto sensu ? Bien que cantonnées à l’espace privé dans un XIXe siècle décrit comme « le siècle du triomphe de la virilité »[11], les femmes contribuent à leur manière à une professionnalisation du politique en marche. Le regard qu’elles portent sur une activité politique exclusivement masculine, et plus encore leur politisation croissante, participe ainsi à la construction sociohistorique d’une masculinité d’une part, et d’une féminité d’autre part, toutes deux encastrées dans l’ère de la modernité. L’ambition vise alors à décrypter, pour mieux les reproduire (et les contourner par la suite), les mécanismes masculins de compétition conférant aux hommes les ressources et les aptitudes nécessaires à asseoir leur domination politique ; en somme, et en des termes plus actuels, leur assurer une intégration dans le « royaume des hommes »[12] qui suppose abnégation et parfois de douloureux sacrifices. Cette entrée en politique « par la marge » voire par effraction suppose alors de saisir y compris au travers de cas singulier comment des femmes s’imposent en politique et comment, elles mettent en œuvre des stratégies de contournement des normes de genre qui s’imposent à elles, et ce quelles que soient les conditions d’ouverture du champ politique.
Les communications pourront s’inscrire dans deux axes principaux, le premier étudiera les mécanismes historiques et sociologiques qui, d’hier à aujourd’hui, contribuent à construire un ordre politique genré. Le second s’intéressera davantage à la manière dont les femmes ont, malgré leur exclusion du champ politique légitime, acquis les savoir-faire et les savoir-être utiles à la subversion des règles du jeu politique.
1) La construction historique d’un ordre politique genré
Le premier axe pourra accueillir les travaux qui, à la fois du point de vue des institutions, mais aussi des acteurs et actrices politiques, contribuent à une analyse de la fabrique d’un ordre politique genré. Comme le fait Juliette Rennes13 lorsqu’elle étudie comment la Troisième République joue la nature contre le mérite pour interdire l’accès des femmes aux professions à diplômes, il s’agit ici d’étudier les dispositifs qui historiquement ont conduit à exclure les femmes du jeu politique et à justifier cette exclusion. Si les débats sur le difficile accès des femmes au droit de vote sont emblématiques des mécanismes de naturalisation des qualités féminines comme fondement de leur exclusion de la citoyenneté, d’autres cas pourront être mobilisés et étudiés. Comment dans les discours publics, mais aussi dans les prises de parole privées sont définies la légitimité et illégitimité d’un personnel politique[13] féminin ? Comment au cours du temps se dessinent comme dans d’autres métiers des normes d’excellence professionnelle qui conduisent à exclure les femmes du « bon » gouvernement ? Si les sources politiques (débats parlementaires), ou les sources de presse nous renseignent sur ce processus d’inclusion et d’exclusion de la féminité en politique, d’autres matériaux (fictions, récits biographiques) pourront être mobilisés pour saisir ce qui hier comme aujourd’hui dessine les fondements de la légitimité politique.
2) Les apprentissages « genrés » des savoir-faire et savoir-être en politique
Le second axe de notre colloque privilégiera les travaux qui permettent de saisir comment les femmes, malgré leur exclusion de l’ordre politique légitime, peuvent à leur manière en subvertir les règles. Si la participation des femmes aux mobilisations féministes ou non constitue le creuset de leur apprentissage politique, d’autres espaces moins conventionnels pourront aussi été étudiés. Comment se produit l’apprentissage politique du métier dans les marges et comment peut-on les saisir ? À titre d’exemple, les près de neuf mille feuillets qui composent la correspondance de la marquise Arconati-Visconti – misogyne, fière de l’être, aux antipodes de toute pensée féministe –, émanant de correspondants tous masculins, simples relations ou amis intimes, signés de grands noms de la politique ou de la vie intellectuelle[14], nous invitent à élargir notre champ d’études. Les travaux qui proposent d’explorer les chemins de traverse de l’accès au champ politique en particulier ceux qui proposent de nouvelles sources pour analyser le métier politique pourront être soumis. La presse féminine, les archives privées de celles qui ont soutenu une « maisonnée politique »[15], les journaux intimes17 de celles qui aspirent à une carrière politique sont autant de matériaux qui pourront renouveler l’analyse des stratégies mise en œuvre par de nouvelles entrantes (ou du moins celles qui aspirent à rentrer) pour changer les règles d’un jeu auquel on refuse qu’elles participent.
Modalités de contribution
Les projets de communication sont à envoyer à l’adresse suivante colloquemetierpolitique@gmail.com
avant le 31 janvier 2025.
Les réponses seront données durant la 2e quinzaine du mois d’avril 2025.
Afin de faciliter le travail des discutantes et des discutants, les communications sont attendues pour le 15 septembre 2025.
Comité d’organisation
- Sandrine Lévêque (Sciences Po Lille, Université de Lille, CERAPS)
- Julien Rycx (Sciences Po Lille, Université de Lille, IRHIS)
- Thierry Truel (Université de Bordeaux, CEMMC et Lab-E3D)
Comité scientifique
- Catherine Achin, PU science politique (Université Paris Dauphine, IRISSO)
- Aurélie Audeval, PU junior histoire contemporaine (Université de Lille, IRHIS)
- Fanny Bugnon, MCF histoire contemporaine (Université de Rennes, TEMPORA)
- Fanny Gallot, MCF histoire contemporaine (Université Paris-Est Créteil, CRHEC)
- Alban Jacquemart, MCF science politique (Université Paris Dauphine, IRISSO)
- Eric Phélippeau, PU science politique (Université Paris Nanterre, ISP)
- Florence Tamagne, MCF histoire contemporaine (Université de Lille, IRHIS)
- Sidonie Verhaeghe, MCF science politique (Université de Lille, CERAPS)
Notes
[1] Gaxie (Daniel), Les professionnels de la politique, Paris, PUF, 1973.
[2] Offerlé (Michel) [dir.], La profession politique, XIXe-XXe siècles, Paris, Belin, 1999.
[3] Bard (Christine), Pavard (Bibia), « Femmes outsiders en politique. Introduction », Parlement[s], Revue d'histoire politique, 2013/1 (n° 19), p. 7-15. Riot-Sarcey (Michèle), Histoire du féminisme, Paris, La Découverte, 2006 [2002] ; Scott (Joan W.), La citoyenne paradoxale. Les féministes françaises et les droits de l’homme, Paris, Albin Michel, 1998
[4] Tellier (Philippe), « Professionnalisation politique », in Catherine Achin, Laure Bereni, Dictionnaire. Genre et science politique, Paris, Presses de Sciences Po, 2013.
[5] Arambourou (Clément), Paoletti (Marion), « La virilité mise à mâle », Travail, genre et sociétés, 2013/1 (n° 29), p. 149-152 ; Connell (Raewyn), Masculinities, Cambridge, Polity Press, Sydney, Allen & Unwin; Berkeley, University of California Press, 1995 (ouvrage traduit et publié en 2014 sous le titre Masculinités. Enjeux sociaux de l'hégémonie, Paris, Éditions Amsterdam).
[6] Matonti (Frédérique), Le genre présidentiel. Enquête sur l’ordre des sexes en politique, Paris, Éditions La Découverte, 2017 ; voir le récent témoignage d’Elisabeth Borne (Vingt mois à Matignon, Paris, Flammarion, 2024).
[7] Achin (Catherine) et alii, Sexes, genre et politique, Paris Economica, 2007. Navarre (Maud), Devenir élue. Genre et carrière politique, Rennes, PUR, 2015.
[8] Zemon Davis (Nathalie), «Women and the world of the “Annales”», History Workshop Journal, 33, 1992, p. 121.
[9] Bergès (Karine), « Remous autour des vagues féministes », in Féminismes du XXIe siècle : une troisième vague ?, Rennes, PUR, « Archives du féminisme », 2017, p. 11-27.
[10] Verhaeghe (Sidonie), Vive Louise Michel ! Célébrité et postérité d’une figure anarchiste, Vulaines-sur-Seine, Éditions du Croquant, 2021.
[11] Corbin (Alain), Courtine (Jean-Jacques) et Vigarello (Georges) [dir.], Histoire de la virilité. Volume II, Le triomphe de la virilité. Le XIXe siècle, Paris, Le Seuil, 2011.
[12] Bachelot (Roselyne), Fraisse (Geneviève), Deux femmes au royaume des hommes, Paris, Hachette, 1999. 13 Rennes (Juliette), Le mérite et la nature. Une controverse républicaine : l'accès des femmes aux professions de prestige 1880-1940, Paris, Fayard, 2007
[13] Offerlé (Michel). Illégitimité et légitimation du personnel politique ouvrier en France avant 1914, in Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 39ᵉ année, N. 4, 1984. pp. 681-716.
[14] Poulain (Martine), Marie Arconati-Visconti. La passion de la République, Paris, PUF, 2023.
[15] Gris (Christelle), Femmes d’élus. Sociologie d’un second rôle, Le Bord de l’eau éditions, 2021, p. 10. 17 Pensons aux Mémoires de Louise Michel, au Journal longtemps disparu d’Hubertine Auclert, aux Mémoires d’une européenne de Louise Weiss ou encore aux Combats de Simone Veil).