Coordination
Hélène Quashie (IMAF/LARTES-IFAN)
Argumentaire
Ce numéro thématique engage des réflexions au croisement des études de genre et des migrations à partir des intimités interraciales, hétérosexuelles comme homosexuelles. Il interroge les modalités de rapports de pouvoir (liés à la classe, la race, l’âge, le genre, la nationalité) qui sont reproduites, contournées ou renversées dans les dynamiques de l’intime, en articulant celles-ci aux contextes sociaux, économiques et politiques dans lesquels elles s’inscrivent. En portant attention à des intimités transnationales interraciales liées à des migrations qualifiées vers des pays du Sud et de l’Est global, ce numéro accueillera des propositions d’articles qui n’ancrent pas leur terrain de recherche dans des contextes (post)touristiques (Bantman-Masum, 2016), jusqu’ici les plus étudiés. Malgré leur apport incontestable, ces travaux donnent souvent à voir des configurations spectaculaires (Geoffrion, 2017b), associées à des écarts d’âge et/ou de classe, qui nourrissent des enjeux de moralisation et laissent les intimités interraciales plus ordinaires dans l’ombre de la production des savoirs. Ce dossier thématique souhaite pallier cet aspect.
Des migrations transnationales face à des (re)configurations intimes postcoloniales
Les intimités hétérosexuelles et homosexuelles sont ici considérées sous des formes variées, qui mêlent sentiments, sexualités, arrangements domestiques et modèles familiaux transnationaux. Elles comprennent des situations de vie commune, partagée ou à distance, des mariages, des contextes de séparation temporaire ou définitive, et des divorces. Les formes de ces relations sont fonction des choix des partenaires, ainsi que des registres normatifs et juridiques des États dans lesquels ils.elles résident (Fresnoza-Flot, Keomanichanh, 2022).
Plusieurs travaux ont analysé les dynamiques d’intimités interraciales qui impliquent un.e partenaire venu.e du Nord, installé.e dans un pays du Sud ou de l’Est global. Ces recherches montrent que le genre exerce une influence sur les destinations géographiques, les formes relationnelles et les expériences migratoires (Croucher, 2013). Des villes d’Afrique de l’Ouest et d’Asie du Sud-Est (Fouquet, 2011 ; Bottero, 2013 ; Jaisuekun, Sunanta, 2022), comme de pays post-soviétiques et d’Asie de l’Est (Farrer, 2010), semblent davantage attirer des hommes occidentaux qui nouent sur place des intimités interraciales. D’autres zones urbaines d’Afrique de l’Ouest et de l’Est voient, à l’inverse, des femmes occidentales investies dans des relations avec des partenaires locaux (Salomon, 2009b ; Desprès, 2015ab ; Cauvin-Verner, 2016 ; Dragani, 2018). Les analyses de ces intimités ont souligné des dynamiques genrées qui permettent à des femmes blanches de faire l’expérience d’un « sentiment de pouvoir et de contrôle » (Croucher, 2013) et à des hommes blancs de retrouver une masculinité dominante (Farrer, 2010 ; Bottero, 2017 ; Jaisuekun, Sunanta, 2022 ; Valente Cardoso, 2023, Sizaire, 2024). Ces intimités dessineraient donc une « géographie genrée du pouvoir » (Mahler, Pessar 2001) associée à une blanchité hégémonique à l’échelle internationale.
Toutefois, il n’y a pas que des acteurs.trices blanc.hes qui circulent dans les strates sociales internationalisées et qui s’installent dans des pays du Sud et de l’Est global (Arab, Moujoud, 2024 ; Balizet, 2024 ; Gueye, Quashie, 2024). Tou.tes ne partent pas non plus d’Occident (Kim, 2025). De plus, l’articulation des dynamiques genrées avec les processus de racialisation constitutifs de ces intimités reste encore à explorer. Cette articulation n’efface en rien l’attachement émotionnel réciproque des partenaires (Geoffrion, 2016), qui peut perdurer en dépit de rapports de domination et de différenciation. Enfin, on note qu’une cartographie des désirs se superpose à un canevas postcolonial, incarné par les flux migratoires qu’attirent les pays du Sud et de l’Est global (Benson, 2013 ; Hayes, 2015 ; Fresnoza-Flot, Keomanichanh, 2022). Nous entendons par postcolonialité le résultat d’une partition entre des pays anciennement colonisateurs ou ayant bénéficié du colonialisme, qui n’incluent pas que des États occidentaux, et des pays anciennement colonisés ou ayant subi les sphères d’influence impériale. Cette division a façonné des différences structurelles et raciales entre Nord et Sud/Est global, et des réactions à ces différences. Ainsi, des formes de domination sont le fruit de logiques historiques renforcées par des enjeux néolibéraux, dans lesquels la question raciale alimente des systèmes d’oppression. Parallèlement, celle-ci peut aussi constituer un cadre d’émancipation (Du Bois, 2000), notamment dans des pays de l’Est et du Sud global où des mouvements politiques, économiques et/ou culturels ont encouragé des logiques de revalorisation raciale (Gordien, 2013 ; Quashie, 2024) et des mécanismes de mise à distance de l’Occident (Lan, 2021). Dès lors, les intimités transnationales interraciales qui se nouent ne donnent pas seulement lieu à des (re)classements sociaux et à des transactions culturelles (Desprès, 2015ab, 2017) : elles témoignent d’une plus grande complexité et peuvent bousculer les ordres hérités des « débris impériaux » (Stoler, 2013). Ce que ces intimités reconstruisent ou déconstruisent entre Nord, Sud et Est global reproduit, réorganise ou subvertit l’ancien ordre colonial de l’intime (Stoler, 2002), en s’inscrivant dans des espaces et « paysages » (scapes) transnationaux (Appadurai, 1990) qui (re)modèlent les imaginaires et les subjectivités.
Ce numéro thématique accordera donc une attention particulière aux manières dont ces (re)configurations façonnent les mises en couple, unions, séparations, divorces et dynamiques familiales, et permettent de penser les processus de racialisation à travers l’intimité. Seront ainsi questionnées les diverses constructions sociales de la blanchité articulées aux migrations qualifiées vers le Sud et l’Est global (Hayes, 2015 ; Quashie, 2015 ; Ishitsuka, 2021 ; Cosquer et al., 2022 ; Camenish, 2022 ; Lan, 2025) et les mécanismes qui leur donnent forme par-delà les critères phénotypiques (Célestine, 2022 ; Horne Anwoju, 2023 ; Kalmar, 2023 ; Quashie, 2024). Produire une analyse située à partir des contextes sociaux, politiques, économiques dans lesquels se nouent ces intimités contribuera à interroger ou décentrer les conceptions hégémoniques de la race (Lan et al., 2023) et leurs imbrications aux rapports sociaux de genre et de classe.
Espaces urbains et (re)positionnement des privilèges
Ce numéro thématique s’insère dans l’étude de l’accès inégalitaire et différencié à la circulation internationale (Terrazzoni et al., 2016) à partir de migrations peu entravées. Il réunira des analyses où l’un.e des partenaires investi.e dans une intimité interraciale transnationale devient privilégié.e (Croucher, 2012) dans le pays d’installation, grâce à son ou ses passeports, son contrat de travail et son capital économique et social. Résident.es principalement dans les zones urbaines des pays du Sud et de l’Est global, ces acteurs.trices qualifié.es ne sont pas tou.tes issu.es des classes supérieures de leur pays de départ. Ils.elles sont néanmoins diplômé.es et possèdent des compétences qui les valorisent sur le marché du travail global, comme ce peut être le cas de leurs partenaires locaux.ales. Ils et elles bénéficient également, dans les pays d’arrivée, de politiques souvent favorables à leur installation, de différentiels de monnaie avantageux, de meilleures opportunités de travail, de positions professionnelles plus élevées (Le Renard, 2019 ; Jones, Last, 2021 ; Quashie, 2022 ; Sizaire, 2024) et de soutiens communautaires via des réseaux d’entraide étudiants, professionnels et associatifs souvent constitués de concitoyens (Clément et al., 2021 ; Ishitsuka, 2021 ; Renaudeau, 2025). Ces conditions d’installation structurent des mobilités ascendantes, qu’incarnent les lieux et modalités de logement, les styles de vie, les loisirs et les hiérarchies sociales qu’ils traduisent. L’espace urbain joue alors un rôle crucial dans la construction de frontières sociales et l’exercice de privilèges (Clément et al, 2021) puisque les mobilités qu’il favorise engendrent des pratiques de reclassement. Fonctionnant comme un observatoire de l’activation et/ou de l’accumulation du « capital social en migration » (Bréant et al. 2018), l’espace urbain dans les pays du Sud et de l’Est global est aussi au cœur de processus de gentrification transnationale (Hayes, 2020). Que produisent ces dynamiques dans les lieux de résidence, de travail et de sociabilité des partenaires investi.es dans des intimités interraciales ?
Parallèlement, les acteurs.trices qui bénéficient de processus de re/surclassement grâce à une migration vers le Sud ou l’Est global doivent entreprendre un travail de réinscription locale de leurs ressources et capitaux multiples, dans des espaces régis par des normes et hiérarchies sociales distinctes de celles de leurs pays de départ (Clément et al., 2021). Leurs conditions de vie devenues avantageuses sont aussi ancrées dans des inégalités globalisées. Ces acteurs.trices font face à des dispositifs professionnels et juridiques parfois stricts, par exemple pour l’obtention de visa et permis de travail, sources de dépendances structurelles même pour celles et ceux qui détiennent un passeport occidental (Jones, Last, 2021 ; Cosquer, 2022 ; Fresnoza-Flot, Keomanichanh, 2022). Les différences entre régimes de protection sociale et d’accès aux soins, eux-mêmes conditionnés par les contrats de travail et systèmes fiscaux, peuvent entraîner des vulnérabilités (Renaudeau, 2025). Des modes de subversion peuvent également apparaître vis-à-vis de résident.es privilégié.es dans les dynamiques politiques, sociales et économiques locales (Gordien, 2021 ; Célestine, 2022 ; Quashie, 2022 ; Lan, 2025). Enfin, la compétition d’élites internationalisées ressortissantes de pays du Sud et de l’Est global, l’instrumentalisation commerciale de la blanchité, l’importance des langues locales ou encore la préférence nationale dans le champ professionnel peuvent limiter une domination occidentale (Ishitsuka, 2021 ; Lan, 2021), qui apparaît parfois en crise et source d’anxiété dans les échelles de classement social (Cosquer, 2022 ; Gordien, 2022). Le « privilège occidental » (Le Renard, 2019) ne permet donc pas toujours une ascension sociale durable dans les sociétés du Sud et de l’Est global (Camenish, 2022), et peut se heurter à des inégalités structurelles qui distinguent aussi les acteurs.rices privilégié.es entre elles.eux (Renaudeau, 2025).
A partir de l’angle des intimités interraciales, ce numéro thématique entend interroger ce qui (dé)structure socialement, économiquement et symboliquement des avantages et privilèges acquis par une migration qualifiée vers les villes du Sud et de l’Est global. Seront analysées les situations intimes qui maintiennent ou renforcent ces privilèges, autant que celles qui les affaiblissent ou les annulent. Comment ces derniers se transmettent-ils, se perdent-ils ou sont-ils réappropriés par les partenaires ou leurs descendant·es, et dans quels contextes ? Quelles sont les conséquences en cas de vie commune, séparation ou divorce ? Qu’induisent ces dynamiques dans les représentations identitaires (Geoffrion et al., 2023), les rapports de parenté et d’insertion familiale ?
Subjectivités et modes de (re)négociation pluriels
La question du privilège comporte aussi une dimension subjective. Les processus qui l’activent ou le désactivent se révèlent à travers les choix des partenaires, articulés à plusieurs régimes de genre en interaction voire en tension (Fresnoza-Flot, Keomanichanh, 2022 ; Sizaire, 2024). Les intimités transnationales interraciales sont souvent perçues au prisme des inégalités de classe, de race, de nationalité et d’âge. Mais elles donnent aussi lieu à des bouleversements des dynamiques de pouvoir comme à des situations de résistance et de contestation (Roux, 2011 ; Salomon, 2009a, 2012). Ces intimités produisent ainsi une connaissance particulière des structures sociales qui les encadrent et de ce qu’en font les acteurs.trices. Les partenaires impliqué.es apprennent en effet à se distancier de normes qu’ils.elles rendent discutables, négociables, révisables et qui font l’objet de réappropriations et de transformations quotidiennes (Sizaire, 2021). Par exemple, les choix des lieux de suivi de grossesse et d’accouchement (Renaudeau, 2025), de scolarisation des enfants ou de leur domiciliation en cas de séparation des parents, ou encore les aménagements domestiques face aux règles étatiques en cas de divorce, nourrissent des avantages, font perdre des privilèges et peuvent ré-agencer les relations de pouvoir dans l’intimité. La diversité des normes de genre (sociales, juridiques, légales, sanitaires, religieuses, culturelles), parfois contradictoires dans leurs contraintes, pousse les partenaires à opérer des arbitrages.
Ce numéro thématique souhaite interroger ce qui jalonne ces négociations, ce qui perturbe les relations de domination, comme ce qui construit des stratégies communes. Il s’intéresse aussi à ce que les négociations de l’ordre intime disent des relations entre les partenaires et leurs descendant.es, leurs familles et entourages. Des études sur les intimités d’expatrié.es occidentaux.ales installé.es dans le Sud et l’Est global montrent que l’entre-soi social et racial, y compris à travers la conjugalité, garantit l’exercice de privilèges (Cosquer, 2020). Qu’en est-il dans le cas d’intimités interraciales ? Favorisent-elles un isolement, des sociabilités majoritairement locales, ou des relations de proximité avec des acteur.trices inscrit.es dans les mêmes modèles intimes (Cauvin-Verner, 2016) ? Enfin, si les trajectoires venant du Nord sont souvent caractérisées de « migrations blanches » (Lündstrom, 2014), les partenaires issu.es de pays occidentaux peuvent être des personnes qui y sont racisées (Le Renard, 2016) et qui font l’objet d’une resignification raciale (Quashie, 2024) une fois installé.es dans le Sud ou l’Est global : comment cela affecte-t-il leurs négociations de l’ordre intime et leurs relations à l’entourage ?
Pour saisir au plus près ces enjeux, tenir compte des pratiques langagières peut s’avérer essentiel. Ces pratiques sont entendues comme sociales et politiques (Canut et al., 2018), en raison des manières dont elles peuvent (re)définir les identités raciales, genrées et sexuelles. Les pratiques langagières informent ainsi sur les représentations que les partenaires véhiculent des sociétés d’appartenance de chacun.e, sur les différenciations qu’ils co-construisent, comme sur leurs compromis et arrangements. Les usages linguistiques, entre elles.eux et avec leur entourage, peuvent souligner des dimensions racialisées du quotidien intime, des rapports de pouvoir et leur renversement. Par exemple, lorsque les partenaires ont davantage recours à une langue européenne qu’à une langue locale. Ou quand cette dernière n’est comprise que par l’un.e des partenaires et augmente ses choix ou marges de manœuvre dans les négociations quotidiennes de l’ordre genré, dans ses interactions avec l’entourage et vis-à-vis des règles institutionnelles et légales qui régissent l’intime (Fresnoza-Flot, Keomanichanh, 2022). Ainsi, comment les pratiques langagières reproduisent-elles ou entravent-elles des formes de hiérarchisation sociale ? Dans quels contextes les langues des sociétés du Sud et de l’Est global sont-elles investies par l’un.e ou les partenaires comme vecteur d’insertion sociale ? Quels privilèges se trouvent alors disqualifiés ou renégociés ?
(Re)constructions des masculinités
Les intimités transnationales donnent à voir des productions sociales renouvelées des féminités et des masculinités au croisement des normes des sociétés d’installation et de celles des pays de provenance des partenaires. Ce numéro thématique souhaite particulièrement prendre en compte les processus de (re)construction des masculinités au sein d’intimités interraciales. Ces processus restent moins explorés, qu’il s’agisse de partenaires masculins qui migrent vers un pays du Sud ou de l’Est global (Bottero, 2013 ; Croucher, 2013 ; Fresnoza-Flot, Keomanichanh, 2022) ou de partenaires originaires des pays d’installation (Salomon, 2009a ; Desprès, 2021). Moins nombreux sont les travaux qui leur donnent la parole et qui décrivent finement leurs trajectoires biographiques et sociales, ainsi que les projets que ces hommes poursuivent – contrairement à leurs homologues féminins qui font davantage l’objet d’analyses (Geoffrion, 2017a). Les partenaires masculins de ces intimités sont en outre souvent dépeints comme réactionnaires et abusifs, valorisant des inégalités genrées à leur avantage, et profitant d’une ascension sociale et d’une plus grande liberté sexuelle (Farrer, 2010 ; Bottero, 2017 ; Desprès, 2021 ; Sizaire, 2024). Mais ces descriptions ne permettent pas d’accéder à toute la palette de situations qui concrétisent les intimités interraciales dans lesquelles ils s’engagent, comme les luttes sociales que les partenaires masculins peuvent mener face à certaines normes locales, leurs logiques subversives dans des rapports de force en leur défaveur (Salomon, 2009b, 2012), les contextes où leurs privilèges ne vont pas de soi (Fresnoza-Flot, Keomanichanh, 2022), leur rôle de conseil vis-à-vis de la société locale (Renaudeau, 2025), ou encore leurs difficultés à performer des modèles de masculinité racialisée attendue de leur partenaire (Salomon, 2009a ; Sizaire, 2024).
Ce numéro thématique questionnera les façons dont les processus de (re)construction des masculinités maintiennent ou transforment les ordres genrés des intimités interraciales, et ce qu’ils soulignent des (re)configurations postcoloniales à l’œuvre dans le Sud et l’Est global. Cet angle d’analyse permettra de partir des points de vue et subjectivités d’hommes qui s’installent dans des sociétés où leurs avantages et privilèges peuvent être activés ou désactivés. Comment cela transforme-t-il les perceptions de leur masculinité ? Les rapports de pouvoir s’en trouvent-ils déplacés ? Il sera tenu compte des différences dans les trajectoires et pratiques de partenaires masculins racisés au Nord qui se (ré)installent dans un pays du Sud ou de l’Est global. Les analyses attendues s’intéresseront également aux acteurs masculins locaux investis dans des intimités interraciales, pour comprendre ce qu’induisent à leur égard les positionnements de leurs partenaires. Observe-t-on des mécanismes de réappropriation ou de renversement des avantages et privilèges de ces dernier.es, des retournements des normes de la masculinité dominante contre elle-même (Broqua, Doquet, 2013), ou encore des modes de distinction vis-à-vis d’hommes qui ne s’inscrivent pas dans des intimités interraciales (Despres, 2021) ? Ces partenaires locaux font-ils l’objet de resignifications raciales en raison des intimités qu’ils choisissent, et cela affecte-t-il les représentations de leur masculinité ? Enfin, quelles conséquences ces dynamiques ont-elles dans la socialisation familiale, tant pour les partenaires migrants que ceux issus des sociétés locales ?
Sont inclus dans ces interrogations les processus de (re)construction des masculinités à travers les
intimités interraciales homosexuelles – en tenant compte aussi des différences dans les trajectoires et pratiques de partenaires masculins racisés au Nord (re)venus dans un pays du Sud ou de l’Est global, et dans celles de partenaires locaux. Certains avantages et privilèges acquis par la migration vers le Sud ou l’Est global transforment-ils les mobilisations et masculinités militantes au sein des minorités sexuelles locales ? Protègent-ils de contextes hostiles aux communautés LGBTQI+ ? Quels avantages et privilèges apparaissent au contraire fragilisés ou perdus dans les contextes d’installation ? Quelle influence ces processus ont-ils sur les imaginaires et représentations de l’intimité homosexuelle, ainsi que sur les dynamiques familiales ?
Épistémologie et méthodes de recherche
La question des méthodes et de leurs enjeux épistémologiques est un point transversal aux interrogations que soulève ce numéro thématique pour comprendre les imaginaires et pratiques qui organisent les intimités interraciales transnationales dans des sociétés du Sud et de l’Est global. Que dit l’exercice réflexif des choix d’enquête opérés dans ces contextes situés ?
Dans la mesure où la sphère de la vie affective présente des situations plus ou moins dicibles, impliquant des analyses plus ou moins restituables, l’approche méthodologique apparaît centrale. Elle reste pourtant peu explorée, si ce n’est dans le cadre d’études spécifiques auprès de partenaires féminines (Geoffrion, 2017b) et homosexuels (Broqua, 2000, 2009), ou dans des travaux récents sur les sexualités (Brasseur et al., 2022). Or, interroger les normes et pratiques intimes implique de prendre en compte les manières de les dire, qui sont différentes selon les contextes sociaux et les trajectoires des acteur.trices. Quelles méthodologies rendent compte au plus près des subjectivités et des façons de parler d’intimités interraciales ? Quelle éthique adopter face aux dynamiques de pouvoir qui construisent des acteurs.trices dominant.es (Cosquer, 2019) ?
Un détour par les pratiques langagières peut nourrir cet enjeu réflexif, d’autant que la majorité des recherches engagées depuis les pays du Nord n’ont pas recours méthodologiquement aux langues des sociétés du Sud et de l’Est global. Celles-ci révèlent pourtant des façons de penser, de dire et de raconter des expériences genrées et racialisées, tant pour les acteurs.trices que pour les chercheur.es, qui sont différentes de ce qui s’exprime dans les langues européennes (Quashie, 2020). Les acteurs.trices peuvent aussi modifier leurs pratiques langagières, naviguer entre plusieurs langues pour mettre à distance des émotions liées à leur intimité, ou s’exprimer selon ce qu’ils.elles se représentent des attentes et imaginaires des chercheur.es qu’ils.elles rencontrent. Aussi, avoir recours aux différentes langues des partenaires et de leur entourage peut s’avérer indispensable : à quelles autres méthodes ce chassé-croisé linguistique peut-il se combiner ?
Enfin, les réflexions autour des outils et méthodes de recherche sont liées aux enjeux épistémologiques de la positionnalité des chercheur.es. Les enjeux de statut social, de rapports sociaux de sexe et de race dans des contextes postcoloniaux concernent aussi ces dernier.es, dans les sociétés où ils.elles mènent leurs travaux et dans celles d’où ils.elles proviennent. Analyser la positionnalité des chercheur.es dans l’étude des intimités interraciales transnationales contribue ainsi aux réflexions sur les imbrications situées des rapports sociaux de genre, de race et de classe.
Modalités de soumission des articles et calendrier du numéro
Les propositions d’articles de 600 à 1000 mots, suivies d’une courte bibliographie, sont à soumettre à helenemv.quashie@gmail.com et daniel.rochat@ulouvain.be
d’ici le 30 septembre 2025.
Ces propositions seront accompagnées d’une notice biographique des
auteur.es, incluant leur statut académique, rattachement institutionnel et courriel.
15 octobre 2025 : Les auteur.es seront averti.es des contributions présélectionnées.
20 décembre 2025 : Les auteur.es retenu.es seront invité.es à envoyer leur article conformément aux consignes de la revue (https://journals.openedition.org/rsa/139).
Évaluation
La procédure est organisée en deux temps.
1° Sélection des propositions de contributions sur base des résumés envoyés pour le 30 septembre 2025. Communication aux auteurs le 15 octobre 2025.
2°Les articles retenus (réception pour le 20 décembre) seront évalués selon une procédure en double aveugle. Avant leur envoi aux auteurices, les évaluations sont examinées par la coordinatrice du dossier en collaboration avec le comité de rédaction de RS&A afin d’apporter les éventuelles nuances/précisions utiles.
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