CfP: No(s) future(s) ! L’enquête, David Graeber et nous. Interroger la pratique de l’anthropologie politique

Call for papers, deadline 21 July 2023 (in French)

 

Appel à contribution

 

Revue Condition humaine / Conditions politiques (2024)
https://revues.mshparisnord.fr/chcp/

 

Date limite d'envoi : 21 juillet 2023

 

 

 

 

La revue Condition humaine / Conditions politiques lance un appel à contribution pour un numéro spécial portant sur l’anthropologie politique de David Graeber. Nous souhaitons orienter cet appel autour des différentes ontologies du « pouvoir » en anthropologie, en repartant des travaux de David Graeber sur ce sujet. Nous cherchons ainsi à questionner les façons dont la discipline se saisit aujourd’hui de cet enjeu, et ce dans une perspective réflexive et critique, en remettant au cœur du problème du « pouvoir » ses conceptualisations émiques. Comment ces dernières participent-elles du renforcement ou de la révision de nos appréhensions du « pouvoir », qui oscillent souvent entre simplification et complexification ? Nous cherchons à comprendre l’impact de ces transformations en les mettant en relation avec la place prépondérante prise par l’anthropologie du capitalisme ces dernières années. Ce courant de recherche fut largement irrigué par des formes de questionnement issues des alternatives politiques, dont David Graeber fut un représentant important au sein de la discipline. Comment de nouveaux modes de problématisation de « l’économie » et/ou du « politique » ont-ils affecté la discipline, dans ses manières d’appréhender l’objet « capitalisme » ? Quels sont les apports et les limites de ces modes de problématisation ? Comment l’anthropologie comprend-elle le développement de cette « alterpolitique », sans céder à l’enchantement et/ou au désenchantement radical dans ses enquêtes ? Telles sont les problématiques que nous souhaitons soumettre à nos futurs contributeurices.

 

 

Cet appel interroge la dimension prescriptive et épistémologique de la pratique ethnographique lorsqu’il y a anthropologie politique. La pratique ethnographique est bien souvent imbriquée dans des processus politiques de subjectivation auxquels ni l’anthropologue ni ses enquêté.es n’échappent. Il est impossible de comprendre l’intérêt montré par David Graeber pour l’effet des réformes structurelles politico-financières lors de son terrain dans la communauté villageoise de Betafo, par exemple, sans le replacer dans sa propre trajectoire d’activiste altermondialiste, partisan de « l’action directe » (Graeber, 2009). Ainsi la notion de « zone temporaire provisoire » entre-t-elle en discussion avec les théories de Hakim Bey sur les « zones d’autonomie temporaires ».

 

C’est par le processus d’induction et la réalité du terrain que certain.es chercheureuses ont repensé les catégories analytiques de construction identitaire, comme le genre (Rebucini, 2013) ou le travail (Monjaret, 2011 ; 2020). C’est aussi vrai pour les notions de politique, ou encore d’économie (Heintz, 2021). La trajectoire altermondialiste de David Graeber rejoint, par exemple, un renouveau de l’intérêt pour l’histoire du capitalisme, conçue dans une perspective globale, afin de jeter de nouvelles lumières sur notre présent – on en trouve un bon exemple dans son travail d’histoire et d’anthropologie de la dette, qui l’amène à redéfinir cette notion, dans le sillage de Marcel Mauss et en mobilisant notamment les apports contemporains de l’anthropologie économique, comme une relation entre égaux putatifs temporairement marquée par la création de formes de hiérarchie (Graeber, 2011). Du point de vue de Graeber, l’intérêt central de l’ethnographie est de favoriser un travail réflexif sur nos catégories et nos concepts (Graeber et Da Col, 2011).

 

Ce type de travail s’inscrit ainsi, pour l’enquêteurice dans un horizon de renouvellement du rapport au champ politique, comme du langage utilisé pour le décrire, dans lequel le/la chercheureuse se trouve, en quelque sorte, confiné.e – cherchant, peut-être, à s’en dégager. Cet horizon s’étend de l’alter-activisme (Pleyers, 2016a ; 2016b), dont relève la posture écologiste de cellui qui se préoccupe du réchauffement climatique en y résistant par des modes alternatifs de production et de consommation, aux alterpolitiques (Boni et Ciavolella, 2015), qui déconfinent les classiques de l’anthropologie politique en partant des subjectivités individuelles à l’œuvre dans les mouvements sociaux. Ces alterpolitiques ne sont pas sans susciter elles-mêmes du scepticisme et des controverses, relatives à leurs possibilités de réalisation, ou bien aux réalités qu’elles prétendent transformer, dont « l’altérité » présumée se voit réifiée par des porte-parole parfois contestables (et/ou contesté.es).

 

Sans doute « l’économie » et « le capitalisme » sont-ils devenus aujourd’hui – notamment du fait de l’importance prise par la recherche de formes de pensées alter – des concepts centraux à remettre au travail et en question pour les anthropologues, confronté.es à la multiplication des « crises » et des « catastrophes ». L’attribution des responsabilités et des finalités de tels événements devient un enjeu politique majeur (Roitman, 2014). L’anthropocène et/ou le capitalocène semblent ainsi des mots-valises renfermant toutes les causes des malheurs et des infortunes passés, présents et à venir des humains et des non-humains, pris dans les rets de la « politique de la survie » (Abélès, 2006). Ces transformations questionnent les formes selon lesquelles, au cours de nos enquêtes, se nouent les rapports de possession et de dépossession, de prise et de déprise, de pouvoir et d’impuissance dans la trame de l’espace et du temps – tant du point de vue de l’enquêteurice que de celleux auprès desquel.les nous menons l’enquête. À quel moment ces bouleversements, qui questionnent la nature des transitions/révolutions effectivement à l’œuvre, désaisissent-elles l’enquêteurice ? Des « alternatives ethnographiques » sont-elles nécessaires ?

 

 

Cet appel vise donc à analyser l’impact du renouveau de l’histoire et de l’anthropologie du capitalisme et de ses alternatives. Nous cherchons ici à susciter un espace de débats autour de l’importance de ce renouvellement des études du capitalisme, qui irriguent toutes les sciences sociales, et ce depuis leur fondation (Beaujard, Berger et Norel, 2009). L’anthropologie a-t-elle pour seule fonction d’ouvrir et d’enrichir le champ du possible ? Si c’est le cas, comment envisager l’étude de ces émergences in situ, sinon comme un travail d’enchantement et/ou de désenchantement radical ? « There is (no) alternative », pour pasticher Margaret Thatcher, est-ce cela le fin mot de l’anthropologie ? Le couplage crise/(no) alternative en vient-il à transformer les ontologies du « pouvoir » et de son envers, l’impuissance, du point de vue des personnes et des collectifs auprès desquels nous enquêtons ? Comment ces problématiques, et leurs dépassements, sont-ils affrontés par les chercheureuses qui participent de cette arène de recherche, et comment l’aborder dans une perspective réflexive ?

 

 

Calendrier

 

Les propositions de contribution en lien avec ces questions sont attendues sous la forme d’un résumé de 3 000 signes environ (document Word ou LibreOffice), assorti d’une courte bibliographie, pour le 21 juillet 2023.

 

Elles doivent comporter le nom de l’auteur.e, son affiliation professionnelle et son adresse mail, et être adressées à redaction.ch-cp@ehess.fr, aurelia.gualdo@gmail.com et olivier.coulaux@ehess.fr, avec la mention « CH/CP – L’enquête, David Graeber et nous » en objet du message. Elles recevront une réponse début octobre 2023.

 

Les articles complets (de 25 000 à 40 000 signes, notes et bibliographie comprises) devront être originaux et inédits, mis aux normes de la revue indiquées sur son site (https://revues.mshparisnord.fr/chcp/index.php?id=99) et accompagnés d’un résumé long (de 3 000 à 4 500 signes), en français et en anglais. Ils devront être remis le 15 janvier 2024 au plus tard.

Coordination scientifique : Olivier Coulaux (EHESS, LAP) et Aurélia Gualdo (EHESS, LAP)

 

Bibliographie indicative

ABÉLÈS Marc, Politique de la survie, Paris, Flammarion, 2006.

 

BEAUJARD Philippe, BERGER Laurent et NOREL Philippe (dir.), Histoire globale, mondialisations et capitalisme, Paris, La Découverte, 2009.

 

BONI Stefano et CIAVOLELLA Riccardo, « Aspiring to Alterpolitics. Anthropology, Radical Theory, and Social Movements », Focaal [En ligne], n° 72, 2015, « Theme Section: Inspiring Alterpolitics », URL : https://www.berghahnjournals.com/view/journals/focaal/2015/72/focaal720101.xml.

 

DA COL Giovanni et GRAEBER David, « The Return of Ethnographic Theory », HAU: Journal of Ethnographic Theory [En ligne], vol. 1, n° 1, 2011, p. vi-xxxv, URL : https://www.journals.uchicago.edu/doi/full/10.14318/hau1.1.001.            

 

GRAEBER David, Toward an Anthropological Theory of Value: The False Coin of Our Own Dreams, New York, Palgrave, 2001.

 

GRAEBER David, Fragments of an Anarchist Anthropology, Chicago, Prickly Paradigm Press, 2004.

 

GRAEBER David, Possibilities: Essays on Hierarchy, Rebellion, and Desire, Oakland, Édimbourg, AK Press, 2007.

 

GRAEBER David, Lost People: Magic and the Legacy of Slavery in Madagascar, Bloomington, Indiana University Pres, 2007.

 

GRAEBER David, Direct Action: An Ethnography, Édimbourg, Oakland, AK Press, 2009.

 

GRAEBER David, Revolution in Reverse: Essays on Politics, Violence, Art and Imagination, Londres, New York, Port Watson, Minor Compositions, 2011.

 

GRAEBER David, Debt: The First 5,000 Years, Brooklyn , Melville House, 2011.

 

GRAEBER David, « Dead Zones of the Imagination: On Violence, Bureaucracy, and Interpretive Labor. The Malinowski Memorial Lecture, 2006 », HAU: Journal of Ethnographic Theory, vol. 2, n° 2, 2012, p. 105-128.

 

GRAEBER David, « Anthropology and the Rise of the Professional-Managerial Class », HAU: Journal of Ethnographic Theory, vol. 4, n° 3, 2014, p. 73-74.

 

GRAEBER David, The Utopia of Rules: On Technology, Stupidity, and the Secret Joys of Bureaucracy, Brooklyn, Melville House, 2015.

 

GRAEBER David, La démocratie aux marges, Paris, Flammarion, 2018.

 

GRAEBER David, Bullshit Jobs, Paris, Les Liens qui libèrent, 2019.

 

GRAEBER David et SAHLINS Marshall David, On Kings, Chicago, Hau Books, 2017.

 

HEINTZ Monica, The Anthropology of Morality. A Dynamic and Interactionist Approach, Londres, New York, Routledge, 2021.

 

MONJARET Anne, « Du bleu de chauffe au jean : les jeux de l’apparence des “ouvriers” à l’hôpital, entre traditions corporatistes et normes institutionnelles renouvelées », Sociologie et sociétés, vol. 43, n° 1, 2011, « Pour une sociologie de la mode et du vêtement », p. 99-124.

 

MONJARET Anne, La pin-up à l’atelier. Ethnographie d’un rapport de genre, Ivry-sur-Seine, Creaphis, 2020.

 

PLEYERS Geoffrey, « Engagement et relation à soi chez les jeunes alteractivistes », Agora Débats/Jeunesses [En ligne], vol. 1, n° 72, 2016, p. 107-122, URL : https://www.cairn.info/revue-agora-debats-jeunesses-2016-1-page-107.htm.

 

PLEYERS Geoffrey, « De la subjectivation à l’action. Le cas des jeunes alter-activistes », in PLEYERS Geoffrey et CAPITAINE Brieg (dir.), Mouvements sociaux : quand le sujet devient acteur, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, Paris, 2016, p. 27-47.

 

REBUCINI Gianfranco, « Masculinités hégémoniques et “sexualités” entre hommes au Maroc. Entre configurations locales et globalisation des catégories de genre et de sexualité », Cahiers d’Études africaines [En ligne], n° 209-210, 2013, p. 387-415, URL : http://journals.openedition.org/etudesafricaines/17367.

 

ROITMAN Janet, Anti-crisis, Durham, Londres, Duke University Press, 2014.

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