From Dr. Bernhard H. Bayerlein dr.bayerlein@uni-koeln.de
Bernhard H. Bayerlein, Mikhail Narinski, Brigitte Studer, Serge Wolikow: Moscou-Paris-Berlin 1939-1941. Télégrammes chiffrés du Komintern. Direction éditoriale Denis Peschanski, Paris, Tallandier, 2003. 614 p. 21 Euros.
Un programme de coopération entre l'Université de Lausanne et l'Institut d'histoire universelle de l'Académie russe des sciences avec le soutien du Fonds national suisse de la recherche scientifique a permis de mettre sur pieds un projet d'édition critique, nécessitant un long et compliqué travail de décodage des textes et des pseudonymes, de vérification aux sources, de traductions du russe, de l'anglais et de l'allemand. Grâce à un fonds d'archives inédites conservées à Moscou aux Archives du Komintern, inaccessible depuis 1994 après une brève ouverture, cette édition vient éclairer l'histoire de la période trouble des années 1939-1941 pour nous permettre de comprendre le système de commandement de l'IC, les infléchissements, le détail des instructions, le langage utilisé, le financement, les mises à l'écart des dirigeants. Depuis les années 30, Moscou communique en effet avec les PC par radio-télégrammes chiffrés. Les 320 télégrammes présentés ici concernent les partis communistes de l'Europe occidentale et centrale: Grande-Bretagne, Belgique, pays scandinaves, Allemagne, Suisse, Italie, Yougoslavie, et bien sûr la France, qui représente plus de la moitié du corpus.
Ces "chiffrogrammes" se lisent comme un roman à clé et donnent à voir les revirements stratégiques suivis par l'Internationale Communiste autour de 3 grandes phases. On sait le caractère crucial - et très controversé - des événements qui séparent le pacte germano-soviétique (août 1939) et l'invasion de l'Union soviétique (juin 1941). A la suite de la signature du pacte en août 1939, Moscou tente d'imposer une nouvelle ligne, les PC européens doivent respecter le pacte et abandonner l'anti-fascisme. Désormais, la distinction entre nature de pays démocrates et fascistes n'a plus lieu d'être, l'URSS affirme sa volonté de paix, le conflit est interprété comme une guerre capitaliste. La France et la Grande-Bretagne sont mises en accusation, non pas l'Allemagne de Hitler. La deuxième phase correspond à l'effondrement militaire de la France en mai 1940 et montre les difficultés pour communiquer, les membres du Komintern et les dirigeants communistes, souvent pris à contre-pied, isolés et clandestins répercutent avec peine une ligne fluctuante - en France c'est la période des négociations entre le PCF et l'occupant à Paris dans l'été 1940. Contrairement à l'idée reçue, le revirement antinazi commence avant l'invasion de l'URSS par la Wehrmacht. Le Komintern, étroitement contrôlé par Staline et les partis communistes doivent mener un double jeu, conséquence des directives contradictoires reçues. En outre, la volonté de Staline dès le printemps 41 d'établir des relations bilatérales entre Moscou et les PC nationaux sans passer par l'Internationale est clairement visible. La troisième phase suit l'invasion de l'URSS. L'Internationale Communiste est tributaire de la diplomatie soviétique qui impose de ne pas effrayer les nouveaux alliés occidentaux. Bref une documentation exceptionnelle qui, loin des anciennes histoires officielles, montre le fonctionnement réel des organisations communistes et éclaire certaines des années les plus noires de l'histoire européenne. Cette édition est essentielle pour la recherche.
Selon Serge Wolikow, «Ces archives commentées nous font entrer dans la complexité... elles ont une fonction de pédagogie historique et mettent le lecteur en prise directe avec les outils sur lesquels travaillent les historiens.» - Le Monde, 16 mars 2003.
Les auteurs de cette édition copieusement commentée sont parmi les meilleurs spécialistes européens de l'Internationale communiste: Bernhard Bayerlein, publiciste et chercheur à l'université de Mannheim; Mikhail Narinsky, professeur d'histoire contemporaine à l'Institut politique des relations internationales de Moscou; Brigitte Studer, professeur d'histoire à l'université de Berne; Serge Wolikow, professeur à l'université de Bourgogne (laboratoire CNRS d'histoire contemporaine).