L’apprentissage et l’enseignement professionnel en images
Appel à articles pour le numéro n° 8 (juin 2019) de la revue Images du travail, Travail des images
Numéro coordonné par Henri Eckert, Stéphane Lembré et Gilles Moreau
Que nous apprennent les images sur l’apprentissage et l’enseignement professionnel, sur les publics de ces formations, sur le travail des apprentis et des élèves ?
Les travaux consacrés à l’apprentissage et l’enseignement professionnel, en histoire ou en sociologie, sont relativement rares. En leur sein, ceux qui mobilisent les images fixes ou animées, seules ou au sein de corpus diversifiés, également. Ce double constat est le moteur premier de ce dossier et du choix de la revue Images du travail, Travail des images pour l’accueillir.
L’apprentissage et l’enseignement professionnel, histoire et sociologie
L’apprentissage et l’enseignement professionnel sont fréquentés aujourd’hui, en France, par une proportion importante de jeunes, avec 665 200 élèves en lycées professionnels en 2016 et 405 000 apprentis dans les centres de formation d’apprentis en 2015-2016. Dans un contexte de fort taux de chômage des jeunes depuis la fin du XXe siècle, ces deux voies de formation ont fait l’objet de l’attention des pouvoirs publics et de mesures nombreuses pour en transformer l’organisation. Celle-ci est d'autant plus complexe à modifier qu'elle a très progressivement conçue depuis la fin du XIXe siècle, sans nécessairement de schéma d'ensemble. Le plus souvent, réformes et déclarations d’intentions – que l’on pense par exemple à la création du baccalauréat professionnel, en 1985, ou aux nombreuses affirmations de la priorité donnée aux formations par apprentissage – réagissent à l’image dégradée de l’apprentissage et de l’enseignement professionnel, jugés à l’aune de la culture légitime que représenteraient les filières « classiques » et générales de formation, si bien qu’on ne voit plus désormais les jeunes de LP ou les apprentis qu’au regard de ce qu’ils ne sont pas plutôt qu’à l’aune de ce qu’ils sont.
La prégnance des représentations sociales associées à l’apprentissage et à l’enseignement professionnel se traduit, paradoxalement, par une forme d’invisibilité sociale de ces voies de formation et de leurs publics. Les réformes des programmes et des filières de formation sont incomparablement plus commentées, voire combattues, lorsqu’elles touchent au lycée général et technologique que lorsqu’elles concernent le lycée professionnel (Troger, Bernard, Masy, 2016), tout comme un simple regard sur les reportages proposés chaque année dans les journaux télévisés au moment des épreuves du baccalauréat suggère la prééminence des épreuves « classiques » et des lycéens des filières générales. Le constat doit être étendu à l’histoire de l’enseignement technique et professionnel, dont les étapes institutionnelles sont certes mieux connues, sans pour autant que les acteurs – à commencer par les élèves – aient été l’objet de travaux approfondis (Caspard, 1989 ; Tanguy, 2000 ; Pelpel et Troger, 2001 ; Lembré, 2016). Alors que de nombreuses images entretiennent volontiers la mémoire de l’école républicaine, justifiant un travail de décryptage et de valorisation du riche patrimoine photographique (Luc et Nicolas, 2006), les images de l’apprentissage et de l’enseignement professionnel restent rarement abordées, même si la revue Images du travail, Travail des images a commencé à y remédier (Bastard, 2015 ; Maresca, 2016) ; c'est à plus forte raison le cas, aussi, des apprentis et des lycéens professionnels, filles et garçons.
Le choix d’enquêter par / sur les images, qu’elles soient fixes ou animées, devrait contribuer à confirmer, amender ou infirmer certains résultats provisoires ou considérés comme acquis, relatifs au public des apprentis et des élèves de lycée professionnel. Les connaissances sur les publics actuels de l’enseignement professionnel et de l’apprentissage ont progressé mais les évolutions de ces dernières décennies restent peu étudiées, alors que leur connaissance est décisive pour mieux comprendre les effets des politiques menées. Cela suppose de veiller à ne pas réduire ces formations aux seuls métiers de l’industrie afin d’inclure également les métiers du commerce, de l’agriculture ou du care.
Une socio-histoire et une sociologie par les images
Si les recherches historiques et sociologiques sur l’enseignement technique et professionnel (Bodé et Marchand, 2003 ; Charmasson, 2005 ; Jellab, 2008 ; Palheta, 2012) et sur les formations par apprentissage (Moreau, 2002, 2003, 2008 ; Kergoat et Capdevielle-Mougnibas, 2013) se sont intéressées aux élèves, garçons et filles, à leurs parcours et à leur rapport au savoir, ce désintérêt pour les productions iconographiques paraît doublement dommageable. Leur mobilisation dans le cadre d’enquêtes socio-historiques ou sociologiques, voire anthropologiques (Chevallier, 1996), précises et selon des démarches dont la méthodologie devra être soigneusement indiquée, permettra, d’une part, de compléter la documentation sur ces filières et leurs publics, et, d’autre part, de dépasser le recours aux images comme simples « reflets » de la réalité. Dans quelle mesure, par exemple, les images permettent-elles ou, au contraire, empêchent-elles, de voir la grande diversité des formations ? Le recours aux images est susceptible – c’est l’hypothèse qui guidera ce dossier – d’enrichir les connaissances sur ces formations en complétant et, au besoin, en corrigeant les analyses existantes.
Ceci suppose d’abord d’identifier les images pertinentes. Que ce soit des images fixes ou animées, qu’elles soient produites par les institutions en charge des formations (ou encore par les élèves eux mêmes) ou au gré d’enquêtes journalistiques ou scientifiques, nombreuses sont les images qui peuvent se prêter à des analyses stimulantes. Les corpus idoines devront être identifiés : archives des journaux télévisés conservées par l’Institut national de l’audiovisuel, fonds issus des cinémathèques de l’enseignement agricole ou de l’enseignement professionnel (Vignaux, 2007) créés dans les années 1920, collections photographiques ou cinématographiques conservées par telle ou telle école (de Pastre-Robert, Dubost et Massit-Folléa, 2004), clichés inclus dans des documents d’orientation professionnelle ou de promotion de l’enseignement professionnel ou de l’apprentissage (affiches, spots publicitaires) (Mazaud, Riot, 2012), sources de la Bibliothèque nationale de France, ou fonds du réseau Canopé... Loin d’être invisibles, l’apprentissage et l’enseignement professionnel ont donné matière à une culture visuelle dont le dossier mettra en évidence la richesse.
Chantiers
Les propositions de communication pourront s’inscrire dans une ou plusieurs des perspectives suivantes :
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Il sera intéressant d’« entrer » dans les établissements scolaires et les entreprises en tant que lieux de formation, d’abord pour travailler sur l’environnement matériel des jeunes en formation : comment fonctionnent l'atelier, le chantier, le bureau commercial, le laboratoire, avec quels équipements ? Ces lieux de formation portent-ils la marque de leur finalité, ou s’apparentent-ils à des lieux de travail comme les autres, renvoyant par là-même à des débats qui agitent l’enseignement professionnel depuis le XIXe siècle sur la pertinence respective de l’école et du terrain professionnel pour assurer la formation technique (Lambert et Lembré, 2017) ?
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L’enjeu sera aussi de découvrir et d’étudier les corps et les gestes au travail : ici résident probablement les apports les plus originaux des sources iconographiques qui donnent à voir les élèves et les apprentis en apprentissage, et justifient d’ « observer le travail » en situation (Arborio et al., 2008) pour tenter d’analyser les gestes techniques (Bouillon et al., 2017).
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Cela ne dispense évidemment pas d’une réflexion sur la provenance, les motivations et la diffusion des productions iconographiques : le dossier cherchera à mettre en valeur la diversité des images fixes ou animées, dont beaucoup émanent des institutions de formation elles-mêmes ou de leurs autorités de tutelle (Lambert, 2013). Mais des images conçues par les apprentis et les élèves, par les professeurs et formateurs ou encore comme objet de formation (Hubscher, 1982 ; Laot, 2010) apporteraient des éléments nouveaux à l’étude de l’apprentissage et de l’enseignement professionnel.
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Il serait aussi souhaitable de s’intéresser à la mise en valeur de certains parcours d’apprentis ou de lycéens professionnels par les images – on pense notamment aux reportages et documentaires télévisés – et de questionner leur représentativité éventuelle. Le portrait de l’apprenti et celui du lycée professionnel sont nécessairement des portraits de groupes, dont les traits peuvent être historicisés pour montrer la diversité des conditions et des parcours selon les moments historiques, les types de formation, les secteurs d’activité, le sexe. Un des enjeux du dossier sera de comparer les images de l’apprenti et du lycéen professionnel, filles et garçons, engagés non seulement dans des formations industrielles, mais aussi commerciales ou agricoles, entre autres.
Grâce à ce dossier, il s’agit en somme de déplacer et renouveler le regard, afin de travailler sur les représentations sociales, leurs origines et leurs conséquences. Peut-on ainsi, grâce aux images – trop souvent cantonnées au statut de « représentations » de la réalité et sous-estimées pour cette même raison – et selon une démarche socio-historique, mieux comprendre, voire même chercher à dépasser ou à modifier les représentations associées à cette voie professionnelle ?
Modalités de soumission
Les articles attendus reposeront sur l’analyse d’un corpus d’images (productions iconographiques). Ces images seront être reproduites dans l’article. Rappelons que Images du travail, Travail des images est une revue entièrement numérique, gratuite et ouverte. L’auteur devra à ce titre s’assurer de la disposition des droits d’utilisation et de diffusion. Les articles sont d’un format maximum de 50.000 signes.
Les propositions sont à envoyer début septembre 2018 simultanément à :
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Henri Eckert, sociologue, université de Poitiers, GRESCO : henri.eckert@univ-poitiers.fr
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Stéphane Lembré, historien, maître de conférences en histoire contemporaine, ESPE Lille Nord de France – CREHS, chercheur associé au Céreq :stephane.lembre@espe-lnf.fr
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Gilles Moreau, sociologue, professeur des universités, université de Poitiers, GRESCO : gilles.moreau@univ-poitiers.fr
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La revue Image du travail, Travail des images : imagesdutravail@gmail.com