CfP: Droits des animaux et mouvement végan en Allemagne

Call for papers, deadline 2 April 2018 (in French)

 

En 2002, les deux chambres du parlement allemand décidaient d’inscrire la protection animale dans la Loi fondamentale en tant qu’objectif de l’Etat par l’ajout de l’expression « et les animaux » dans un article existant de la constitution: « L’Etat protège également par responsabilité pour les générations futures les fondements naturels de la vie et les animaux dans le cadre de l’ordre constitutionnel à travers la législation et conformément à la loi et au droit à travers le pouvoir exécutif et la jurisprudence. » (Article 20a de la Loi fondamentale). Depuis février 2017, le ministère allemand de l’environnement dirigé par Barbara Hendricks (SPD) ne sert plus de viande à ses convives. Pourtant, quelques mois auparavant les associations de défense des animaux et le mouvement vegan allemands avaient regretté la faiblesse des engagements du Plan de protection pour le climat 2050 (Klimaschutzplan 2050) concernant l’élevage: il y est certes fait mention du rôle considérable joué par l’élevage intensif dans les émissions de gaz à effet de serre, mais cela ne débouche pas sur des mesures concrètes visant à réduire l’importance de l’élevage. En réalité, une version antérieure du texte citait des objectifs défendus par les associations de défense des animaux ou promouvant une alimentation végétarienne ou vegan : réduction du nombre d’animaux d’élevage, révision des stratégies d’exportation, ainsi que la volonté de réduire la consommation de viande. Mais ces mesures ont finalement été supprimées du plan de protection du climat, sous pression du ministre de l’agriculture Christian Schmidt (CSU), soucieux de défendre une filière agricole allemande très fortement exportatrice (l’Allemagne compte de très nombreuses fermes-usines). En 15 ans, le mouvement vegan a pris une importance considérable en Allemagne et Berlin peut être considérée comme sa capitale européenne. En 2017, l’Allemagne compte environ 8 millions de végétariens (qui ne mangent pas de viande ou de poisson, mais continuent de consommer des produits laitiers) et 1,3 million de personne vegan (qui consomment uniquement des produits d’origine végétale, refusent les produits cosmétiques dont les marques effectuent des tests sur les animaux, ne portent pas de cuir etc.). Ces chiffres sont en constante progression : le nombre de vegans en Allemagne a augmenté de 15% depuis 2010. De plus, de plus en plus d’Allemands « omnivores » déclarent réduire leur consommation de viande (56% en 2015). Cette évolution n’est pas sans conséquence sur l’économie allemande. En effet, ce sont des entreprises allemandes qui lancent sur le marché  le plus grand nombre de nouveaux produits vegan commercialisés dans le monde, devant les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou la France. Une chaîne de supermarchés ne proposant que des produits vegan (qu’elle produit en partie elle-même) a pu s’implanter et se développer malgré des difficultés financières. Les livres de recettes vegan comme ceux d’Attila Hildmann (1,1 million d’exemplaires vendus, ce qui fait de lui l’auteur de livres de cuisine allemand qui connaît le plus de succès) sont de véritables bestsellers. Des périodiques vegan comme le Vegan Magazin  – qui ressemble plus à un news magazine qu’à une revue de cuisine et traite de toutes les dimensions du mouvement vegan : philosophie, militantisme, mode, santé etc. – réussissent à s’implanter durablement. Au plan intellectuel, la fin de l’année 2016 a été marquée par la publication de l’ouvrage Tiere denkenVom Recht der Tiere und den Grenzen des Menschen du philosophe populaire et médiatique Richard David Precht. Dans les universités, le champ des « Human-Animal-Studies » allemandes commence à se structurer. On note notamment la constitution en 2010 de « Chimaira – Arbeitskreis für Human-Animal-Studies » qui regroupe des chercheurs de différentes disciplines (sciences sociales, science politique etc.) de diverses universités allemandes avec pour objectif de faire connaître ce champ de recherche par l’organisation de colloques et de manifestations scientifiques.

Cette journée d’études consacrée aux droits des animaux et au mouvement vegan en Allemagne intervient à un moment où ce même mouvement prend de l’ampleur en France, notamment suite de la publication de vidéos révélant les conditions faites aux animaux dans les abattoirs par des associations telles que L214, des vidéos qui ont profondément choqué l’opinion publique. Dans le même temps, le monde intellectuel français s’intéresse de plus en plus à la question des relations entre les hommes et les animaux avec de très nombreuses publications notamment de philosophes et de biologistes (les ouvrages des philosophes Corinne Pelluchon et Florence Burgat ou bien le livre collectif Révolutions animales. Comment les animaux sont devenus intelligents) mais aussi d’historiens comme Eric Baratay. Ce thème a également joué un rôle lors des dernières élections en France, par exemple avec la création d’un Parti animaliste français qui a présenté pour la première fois des candidats lors des élections législatives de 2017. Par ailleurs, l’année 2015 a marqué une étape importante dans la reconnaissance du droit des animaux  en France avec l’inscription dans le Code civil des animaux comme des « êtres sensibles ». Ces thématiques travaillent donc aujourd’hui aussi bien les sociétés allemande et française, et il apparaît pertinent de s’intéresser à la situation outre-rhin 15 ans après l’inscription de la protection animale dans la constitution. Cette journée d’études se conçoit comme une première étape en vue de l’organisation d’un colloque plus ambitieux sur la question. Nous souhaitons l’aborder dans une perspective interdisciplinaire. Plusieurs axes d’études sont envisagés:

Axe 1 : Les animaux et la question animale dans la littérature et la culture allemandes

Le colloque organisé par Marc Cluet en 2004 qui a donné lieu à la publication de l’ouvrage « L’Amour des animaux dans le monde germanique. 1760-2000 » avait permis de faire un point très complet au sujet de la place des animaux dans la culture allemande, chez les écrivains et les philosophes notamment : Goethe, Grimm, Pirinci, Rilke, Adorno, Horkheimer, Kafka, Werfel, Canetti etc. Il est peut-être possible de repérer cependant d’autres auteurs ou artistes qui n’ont pas été traités lors du colloque de 2004, notamment parmi les auteurs contemporains. Cette journée d’études pourrait s’y employer.

Axe 2 : L'éthique animale et les « Human-Animal-Studies » dans les universités allemandes :

La question du droit des animaux a été portée au 20ème siècle sur le devant de la scène par des philosophes de langue anglaise, notamment l’Australien Peter Singer (Animal Liberation, 1976) et l’Américain Tom Regan (The Case for Animal Rights, 1983). On pourrait s’intéresser à la réception de ces théories en Allemagne. Il serait également intéressant d’étudier comment les philosophes allemands ont répondu à ces théories à partir de la tradition philosophique allemande : on songe ici  aux travaux de Johann S. Ach et d’Ursula Wolf. De plus, la question de l’institutionnalisation du champ de recherche des « Human-Animal-Studies » dans le domaine des sciences humaines et sociales au sein des universités allemandes mérite d’être étudiée. Quels obstacles doivent affronter ces chercheurs ? Pourquoi ? Quelles réalisations notables peut-on recenser ?

Axe 3 : L'histoire du végétarisme en Allemagne et des organisations de défense des animaux

On pourrait s’intéresser à l’histoire du végétarisme éthique en Allemagne, ainsi qu’à celle de l’organisation végétarienne allemande, la « VEBU », créée à Leipzig en 1892 et qui compte aujourd’hui environ 14000 membres. La théorisation du végétarisme éthique en Allemagne pourrait également faire l’objet d’investigations (Gustav Struve, théoriciens de la Lebensreform, anthroposophie etc.). Il serait également intéressant d’étudier l’histoire des organisations de défense des animaux en Allemagne, notamment celle du Deutscher Tierschutzbund créé en 1881, et de montrer les liens éventuels entre les deux mouvements. Aiyana Rosen a consacré une étude à l’histoire récente du mouvement animaliste allemand. L’Allemagne est en outre le premier pays où un parti politique s’est constitué pour défendre la cause animale : le « Tierschutzpartei » en 1993. Une étude consacrée à ce parti : sa création, son positionnement, ses militants, ses résultats électoraux etc. pourrait apporter des connaissances intéressantes. Il pourrait être aussi approprié de revenir sur l’influence d’Albert Schweizer (1875-1965) en Allemagne, qui n’est devenu végétarien qu’à la fin de sa vie mais qui a beaucoup défendu la cause animale. Une fondation Albert Schweitzer a vu le jour en 2010 et lutte aujourd’hui contre l’élevage intensif et pour la promotion du mode de vie vegan.

Axe 4 : La "Tierschutzgesetz": genèse, évolution, défis

Il s’agit là d’étudier les grands jalons de l’inscription dans le droit allemand des principes de protection animale. Il faudra notamment  analyser et circonscrire la place de la loi de 1933, promulgué sous le régime national-socialiste, dans l’histoire des avancées en faveur de la protection animale en Allemagne. De plus, il serait intéressant d’analyser la situation juridique actuelle suite à l’inscription de la protection animale comme objectif de l’Etat dans la constitution en 2002. Cette inscription a-t-elle des effets concrets sur le sort réservé aux animaux en Allemagne ou ne revêt-elle qu’une portée symbolique ? Introduit-elle une tension et des contradictions dans le droit allemand ? Il pourrait être particulièrement fécond d’étudier les influences réciproques entre les différents acteurs que sont les gouvernants, les partis politiques, les associations de défense des animaux etc. et d’identifier le rôle de chacun dans l’évolution du cadre législatif. Il serait également intéressant de revenir sur les débats et controverses, notamment au sein des organisations de défense des animaux, entre les partisans du « Tierschutz » et ceux des « Tierrechte ».

Axe 5 : L'analyse historique et sociologique du rapport humains-animaux et de l’émergence des mouvements animaliste et vegan

Il s’agit de s’intéresser à une étude des rapports humains-animaux dans une perspective de longue durée. Il serait par exemple pertinent d’étudier le rapport des Allemands aux animaux à différentes époques de leur histoire. Par exemple : comment étaient considérés et traités les animaux au Moyen-Âge ? Dispose-t-on de sources intéressantes à ce sujet ? De quelles connaissances dispose-on au sujet de la souffrance animale pendant les conflits qui ont ensanglanté l’Allemagne (Guerre de Trente ans, Guerres Mondiales etc.) ? L’époque de l’Aufklärung ou bien celle de l’industrialisation ont-elles conduit à des changements notables dans le rapport des Allemands aux animaux ? Quelle était la situation en Allemagne de l’Est après la guerre ? etc.  On peut également s’interroger sur les enjeux d’une écriture de l’histoire du point de vue des animaux comme le font Mieke Roscher, Dorothee Brantz, Clemens Wischermann, Christof Mauch, Rainer Pöppingheges ou bien Pascal Eitler et Maren Möhring.  Au plan théorique, il est également possible de relier la question animale ainsi que l’émergence des mouvements animaliste et vegan à des évolutions sociales globales dont il faut interroger et analyser les enjeux. La théorie sociologique, à travers les cadres conceptuels forgés par des auteurs tels que Theodor W. Adorno, Norbert Elias, Niklas Luhmann etc., peut permettre de mettre en perspective ces questions. D’un point de vue plus contemporain, il serait intéressant de présenter les résultats d’analyses qualitatives auprès de personnes ayant opté pour un mode de vie végétarien/vegan, comme les mènent la sociologue allemande d’Hambourg Pamela Kerschke-Risch ou bien d’autres chercheurs.

Axe 6 : Les liens entre le mouvement vegan et la "Nachhaltigkeitsökonomie"

Les entreprises produisant et commercialisant des produits vegan se développent en Allemagne dans différents secteurs de l’économie : industrie alimentaire, cosmétique, textile, distribution etc. Les entreprises traditionnelles, par exemple le célèbre producteur de saucisses Herta, se voient contraintes de suivre la tendance en proposant elles-aussi des produits estampillés « vegan ». Il serait intéressant de mener des études quantitatives et qualitatives au sujet de cette économie. Comment peut-on expliquer ce boom de l’économie vegan en Allemagne ? Quel rôle joue-t-elle véritablement aujourd’hui dans une Allemagne championne de l’exportation de biens industriels et de produits issus de l’élevage ? Quelle sont ses liens avec la « Nachhaltigkeitsökonomie » ? Peut-elle être considérée comme plus « durable » que l’économie traditionnelle ? Il serait également intéressant de mener des interviews avec des entrepreneurs vegan (Jan Bredak, Christian Wagedes, Mudar Mannah, Björn Mochinski etc.) pour sonder leurs motivations et analyser leur démarche entrepreneuriale.

Modalités de soumission

  • Fournir une courte notice bio-bibliographique
  • Présenter le projet de contribution en une demi-page environ (format Word)

à  Denis Bousch : denisbousch@club-internet.fr et Julien Sellier :  julien.sellier@u-pec.fr avant le 2 avril 2018.

Responsables de la sélection

  • Denis Bousch, MCF Allemand, IMAGER (Institut des Mondes anglophone, germanique et roman, EA n° 3958), UPEC, Faculté des lettres et sciences humaines
  • Julien Sellier, MCF Allemand, IMAGER (Institut des Mondes anglophone, germanique et roman, EA n° 3958), UPEC, Faculté d’AEI (Administration et Echanges Internationaux)

 

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