Appel à contributions pour dossier thématique
Date de clôture de l'appel : 18 janvier 2019
Depuis une quinzaine d'années, l'accroissement des inégalités de revenus dans les sociétés occidentales est régulièrement dénoncé. Il résulte à la fois d'une forte croissance des revenus du patrimoine des plus riches mais également d'une rapide augmentation des inégalités de salaire. L'attention est notamment portée sur des formes de discriminations salariales qui peuvent être liées à l'engagement syndical ou relever de rapports sociaux de classe, de sexe, de « race ». Parallèlement, les débats sur la gouvernance d'entreprise s'intéressent aux salaires et, plus largement, à toutes les formes de revenus du travail. En 2016, par exemple, l'application du principe Say on Pay de la loi Sapin 2 oblige les patrons du CAC 40 à soumettre au vote des actionnaires le montant de leurs rémunérations lors des assemblées générales. Carlos Ghosn, double PDG de Renault et Nissan, en a fait les frais, le scandale lié à ses rémunérations posant la question de la « responsabilité sociale des entreprises ».
Conjointement, nous assistons en France à une montée de l'individualisation des salaires et à un mouvement de complexification et de diversification des pratiques de rémunération. Au salaire de base, et souvent en complément ou palliatif à l'absence d'augmentation de celui-ci, s'ajoutent des rémunérations variables, collectives ou individuelles, réversibles ou irréversibles. Dans les années 1950, la norme était celle d'un salaire de base fixe et collectif reposant sur les grilles de classification. Les rémunérations étaient alors régulièrement augmentées, sous la double influence de l'ancienneté et des hausses générales de salaires. Depuis les années 1970, on observe en revanche un affaiblissement de la négociation de branche au profit de la négociation d'entreprise, entériné par la dernière réforme du Code du travail. Si la hiérarchie des emplois se négocie au niveau de la branche, c'est au niveau de l'entreprise que se négocie dorénavant le montant réel des salaires.
Sujet central et légitime pour les économistes et les gestionnaires, les rémunérations n'ont longtemps pas constitué un objet de prédilection pour les sociologues. Tandis que les premiers se centrent sur la nature du capital ou sur la motivation liée aux rémunérations, les sociologues se sont intéressés plutôt à la construction des inégalités et aux discriminations salariales. Au croisement de ces différentes disciplines, ce dossier de terrains & travaux, revue de sciences sociales, entend démontrer que l'analyse des évolutions des niveaux, des formes et des régulations des rémunérations est une entrée fructueuse pour étudier les transformations, anciennes et contemporaines, du monde du travail salarié et des entreprises. Reposant sur des données empiriques issues d'enquêtes de terrain, de données statistiques ou archivistiques, les propositions pourront porter sur trois axes principaux de questionnement relatifs à la fabrique des rémunérations, à leurs perceptions et usages managériaux, et enfin aux perceptions et usages qu'en ont les salariés. Les propositions d'articles qui articuleront deux ou trois de ces dimensions sont bienvenues.
1) La fabrique des rémunérations
Comprendre comment se fabriquent concrètement les rémunérations, c'est s'interroger sur les niveaux de régulation et leur articulation, et mettre en évidence les acteurs impliqués dans ce processus, ainsi que les objectifs visés et les moyens mobilisés par chacun. Quel rôle jouent les pouvoirs publics ? En quoi et comment syndicats, organisations patronales et directions des ressources humaines participent-ils à ce processus ? La prise en considération de l'influence des contextes nationaux, européens ou mondialisés sur leur action sera appréciée, de même qu'un.examen de leurs modes de coordination, autour du travail ou du capital. La manière dont les outils de gestion équipent l'aide à la décision en matière de politiques salariales est une piste à explorer, de même que le poids des différentes théories économiques dans la légitimation des dispositifs retenus. Il s'agira d'interroger aussi la place de l'idéologie méritocratique dans la construction des rémunérations, et dans le lien entre leurs montants et l'appréciation sous-jacente de compétences réelles ou supposées, visibles ou invisibles. Ce peut être, par exemple, une façon de comprendre comment les différences de salaires entre les hommes et les femmes se construisent et sont justifiées. Sur ces différents aspects – niveaux, formes, répartition des rémunérations – quels changements peut-on déceler (ou non) grâce à un cadrage socio-historique ? Quelles différences nationales observe-t-on ?
2) Les perceptions et usages managériaux des rémunérations
Dans la lignée de la théorie de l'agence et des incitations, les entreprises ont recours aux rémunérations comme dispositifs de mobilisation de la main-d'œuvre. Le management développe ainsi des politiques de rémunération de plus en plus complexes, dont la mise en œuvre révèle souvent un écart important avec la méthode et l'objectif initialement visés. Il conviendra ainsi de s'interroger sur les usages que fait le management des rémunérations, et sur le sens de ces usages. Quels sont les apports des savoirs gestionnaires sur ces questions ? Comment le management procède-t-il concrètement pour attribuer ces rémunérations et quels outils d'évaluation utilise-t-il ? On pourra s'interroger non seulement sur l'articulation des différentes formes de rémunérations existantes, mais aussi sur la diversité des pratiques observée au sein d'un même service, d'une même entreprise, d'un même secteur ou d'un pays à l'autre. Dans quelle mesure relèvent-elles de mouvements de réappropriation ou de contournement ? Une attention singulière sera portée aux conceptions de la justice qui sous-tendent ces pratiques, de la fabrique à la mise en œuvre de ces dispositifs de rémunération.
3) Les perceptions et les usages des rémunérations par les salariés
Pourquoi considérer ses rémunérations comme justes ou injustes ? L'analyse des perceptions que les salariés ont de leurs rémunérations ou de celles des autres (leurs collègues, leur hiérarchie ou leurs proches) gagnera elle aussi à être rapprochée de l'analyse de leurs usages. Il s'agira de comprendre comment ces perceptions se construisent, en s'attachant à les mettre en relation avec l'origine sociale, la trajectoire socio-professionnelle, le genre, la position dans l'organisation, les réseaux personnels... Par ailleurs, les salariés attribuent-ils le même statut à la part fixe et aux primes ? Du point de vue de la consommation, on peut en effet supposer que toutes les formes de rémunérations (salaire fixe, primes, épargne salariale) n'ont pas les mêmes usages. Il conviendra donc d'analyser les effets de ces perceptions sur le rapport à l'emploi, au travail, à l'entreprise, à la hiérarchie ou aux collègues.
Croisant initialement sociologie du travail et des organisations, sociologie des relations professionnelles et sociologie économique, ce dossier thématique ambitionne de rendre compte également des apports des travaux des économistes, politistes, gestionnaires, anthropologues et historiens, soulignant ainsi l'intérêt de porter un regard pluridisciplinaire sur cet objet. Les dynamiques décrites étant observées internationalement et procédant de logiques transnationales, les terrains investis ne se limiteront pas nécessairement au cas français, mais pourront prendre en considération des contextes étrangers et engager des analyses internationales comparées. La revue accueille également des notes critiques s'inscrivant dans le thème du dossier.
Les articles, de 50 000 signes maximum (espaces, notes et bibliographie compris) et les notes critiques, de 30 000 signes maximum, doivent être accompagnés de 5 mots-clés et d'un résumé de 150 mots (en français et en anglais). Ils devront parvenir sous forme électronique aux coordinatrices du numéro avant le 18 janvier 2019 aux adresses suivantes :
- Sophie Bernard : sophie.bernard[at]dauphine.fr
- Élodie Béthoux : elodie.bethoux[at]ens-paris-saclay.fr
- Élise Penalva : elise.penalva[at]dauphine.fr
Les consignes relatives à la mise en forme des manuscrits sont consultables sur le site de la revue :
http://tt.hypotheses.org/consignes-aux-contributeurs/mise-en-forme
terrains & travaux accueille par ailleurs des articles hors dossier thématique (50 000 signes maximum), qui doivent être envoyés à :
- Hovig Ter Minassian : hovig.terminassian[at]univ-tours.fr
- Vinciane Zabban : zabban[at]gmail.com