CfP: Le mouvement des associations de travailleurs au XIXe siècle

Call for papers, deadline 31 March 2019 (in French)

« Dès lendemain de la bataille, hommes et femmes, tous avaient à la bouche ce mot d’association, symbole de salut, qui semblait avoir en soi quelque vertu mystique. On criait « Association, association » comme jadis les vilains criaient : « Commune ! » et les Croisés « Dieu le veut ! » (Lettre de Pauline Roland à Guépin, 10 mai 1850)

 

On assiste actuellement à une résurgence du mot « Commune » dans les milieux militants qui cherchent à repenser l’autonomie politique (des récents mouvements étudiants à la Zad de Notre-Dame des Landes). En revanche, le souvenir des associations de travailleurs et travailleuses, qui ont été expérimentées tout au long au XIXe siècle, est peu réactualisé par les mouvements sociaux contemporains. Ce déplacement, à la fois dans les espaces de luttes et dans les manières de formuler les aspirations, est loin d’être anodin : le centre de gravité des luttes émancipatrices semble avoir partiellement quitté le monde du travail, rendant difficile la remémoration des tentatives passées de reconfigurer le travail hors du capitalisme et du salariat. Pourtant, ces expériences menées par des femmes et des hommes qui ont cherché à penser les conditions concrètes d’une réappropriation du travail sont propres à résonner dans notre présent. Elles mettent en effet en jeu une autre conception du politique, au-delà de la seule politique gouvernementale, territoriale et institutionnelle – fût-elle communale – mais passant par l’ensemble des activités sociales des individus, et en particulier dans les lieux même de l’exploitation. Dès lors, ces expériences d’association ouvrière permettent de penser la liberté contre le libéralisme, comme l’expérience en actes d’un pouvoir d’agir collectif et autonome dans « l’ici et le maintenant », partout où se rencontre la domination.

Réunissant des chercheuses et des chercheurs issu.es de différentes disciplines (histoire, science politique, sociologie…), ce colloque se propose d’interroger l’organisation concrète des associations de travailleurs, leur ancrage dans les mondes du travail ainsi que les projets socio-politiques qui les sous-tendent. Pour cela, il s’agira de faire entendre les voix des acteurs et actrices de ces associations, de reconstituer leurs réseaux et leurs pratiques. On s’attachera également à analyser les débats théoriques relatifs aux associations, en étudiant notamment les critiques formulées contre elles, non seulement par les libéraux, mais aussi par certains penseurs de la nébuleuse socialiste. Une périodisation large a été choisie afin d’inscrire nos questionnements dans l’« ère des révolutions » mais aussi d’explorer des périodes qui, bien qu’elles aient connu une vitalité du mouvement associatif, ont été moins traitées par l’historiographie (comme les années 1820 ou encore les années 1860). Les années 1848-1849, âge d’or des associations, surtout en France où elles ont été d’abord soutenues par le gouvernement avant de devenir des espaces de résistance au pouvoir d’État, occuperont pour autant une place importante dans ce colloque. S’inscrivant dans le sillon de l’œuvre fondamentale de Rémi Gossez, il sera l’occasion de dresser un état des lieux des recherches actuelles qui renouvellent les perspectives sur le mouvement associatif dans diverses régions du monde (notamment en Europe et en Amérique Latine).

Nous invitons les personnes qui souhaiteraient proposer une contribution à s’intégrer dans un ou plusieurs de ces axes :

1° Aspects organisationnels des associations

Un des enjeux de ces journées est de se doter collectivement d’outils pour saisir la diversité des formes d’organisation et d’action que recouvre l’idée d’association. À quoi renvoient les notions d’association, de mutualisme, de mouvement coopératif, de « corporatisme républicanisé » ou encore de communalisme ? Dans quelle mesure la question des relations entre les associations et l’État (auquel Louis Blanc attribue un rôle essentiel dans son ouvrage l’Organisation du travail, 1839) suscite-t-elle des lignes de fracture parmi les partisans du mouvement associatif ? Qui peut participer aux associations, comment les décisions sont-elles prises, comment le travail y est-il réparti ? À rebours de l’idée que ces associations seraient des îlots hors de tout rapport social, comment s’y déploient (ou y sont mises en échec) les relations de statut et de genre ? Comment ces associations s’inscrivent-elles dans des traditions d’organisation, parfois souterraines (maçonneries, compagnonnages…), parfois publiques mais réinterprétées (cultes religieux, goguettes…) ? Comment se transforment-elles à mesure que le contexte politique, économique, légal et technique se modifie ?

2° Objectifs des associations

On cherchera aussi à restituer les raisons de ceux et celles qui interviennent selon leurs engagements, leurs positions sociales, leurs réseaux de sociabilité, leurs expériences dans le monde du travail, mais aussi en référence aux événements (locaux, nationaux, internationaux) qui peuvent brutalement transformer leurs perspectives : s’agit-il d’opposer une résistance aux transformations à l’œuvre dans le monde industriel (mécanisation, extension du marchandage, emprise croissante des détenteurs de capitaux) ? D’accéder à plus d’autonomie à l’échelle locale ? De réorganiser les métiers par un nouveau corporatisme ? De concrétiser l’utopie de république démocratique et sociale en pensant un « gouvernement direct des travailleurs » selon l’expression de Pauline Roland ? De penser une alternative politique en dehors de l’État permettant aux exclus du suffrage – comme les femmes – à expérimenter une souveraineté en acte ?

3° Liens entre les associations de travailleurs et d’autres formes d’organisation collectives

Enfin, tout en maintenant la focale sur les associations de travailleurs, on pourra s’interroger sur la manière dont celles-ci interagissent avec d’autres formes d’organisation, non exclusivement définies par l’ancrage dans le monde du travail : journaux, partis, églises mais aussi associations libérales, républicaines ou socialistes… Loin de ne concerner que les formations de travailleuses et de travailleurs, la forme associative se diffuse en effet massivement dès le début du XIXe siècle au sein de collectifs politiques, philanthropiques ou encore éducatifs. Il s’agira alors de comprendre quels savoirs et pratiques circulent entre ces mondes, mais aussi de repérer les moments où les circulations s’interrompent et où les frontières sociales se rigidifient.

 

Ce colloque se tiendra à l’université de Lille, les 7-8 octobre 2019.

Les propositions de communication devront comporter un titre et un résumé d’environ 1500 signes, ainsi que les coordonnées de l’intervenant (nom, prénom, fonction et rattachement institutionnel, courriel, adresse postale). Elles devront être adressées avant le 31 mars aux contacts ci-dessous.

 

Contacts :

caroline.fayolle@umontpellier.fr

samuel.hayat@univ-lille.fr

carole.christen@univ-lille.fr

 

Comité d’organisation : Carole Christen (Université de Lille, IRHiS), Caroline Fayolle (Université de Montpellier, LIRDEF) et Samuel Hayat (CNRS, CERAPS).

Comité scientifique : Sylvie Aprile (université Paris Nanterre) ; Thomas Bouchet (Université de Lausanne, CWP) ; Philippe Darriulat (Sciences Po Lille, IRHiS) ; Maurizio Gribaudi (EHESS, CRH) ; Andrea Lanza (Université de Toronto) ; Pamela Pilbeam (Royal Holloway, Université de Londres) ; Michèle Riot-Sarcey (Université Paris 8 Saint-Denis) ; Vincent Robert (Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, CRHXIX) ; Jacques Rougerie (Université Paris 1 Panthéon Sorbonne)

 

Bibliographie indicative

- Agulhon Maurice, Une ville ouvrière au temps du socialisme utopique: Toulon de 1815 à 1851, Walter de Gruyter, 1977.

- Boulifard Claudine, Genèse du mouvement ouvrier et coopératif : les associations ouvrières de production de 1848, thèse soutenue à l’Université paris 8, 1988.

- Chanial Philippe, La délicate essence du socialisme : L’association, l’individu & la République, Latresne, Editions Le Bord de l’eau, 2009.

- Frobert Ludovic, Les Canuts ou La démocratie turbulente : Lyon, 1831-1834, Paris, Tallandier, 2009. 

- Gossez Rémi, Les ouvriers de Paris. 1 : L’Organisation, 1848-1851, Paris, Société d’histoire de la Révolution de 1848, 1968.

- Gribaudi Maurizio, Paris ville ouvrière : une histoire occultée (1789-1848), Paris, La Découverte, 2014.

- Jarrige François, Au temps des « tueuses de bras ». Les bris de machines à l’aube de l’ère industrielle (1780-1860), Rennes, PUR, coll. Carnot, 2009.

- Moss Bernard H., Aux origines du mouvement ouvrier français : le socialisme des ouvriers de métier, 1830-1914, traduit par Michel Cordillot, Paris, les Belles lettres, 1985 [1976].

- Lanza Andrea, La recomposition de l’unité sociale étude des tensions démocratiques chez les socialistes fraternitaires (1839-1847), Thèse de doctorat, Paris, EHESS, 2006.

- Pilbeam Pamela M., French Socialists Before Marx: Workers, Women and the Social Question in France, McGill-Queen’s University Press, 2000.

- Rancière Jacques, La Nuit des prolétaires. Archives du rêve ouvrier, Paris, Fayard, 1981.

- Riot-Sarcey Michèle, Le procès de la liberté: une histoire souterraine du XIXe siècle en France, Paris, La Découverte, 2016.

- Rougerie Jacques, « Entre le réel et l’utopie : République démocratique et sociale, Association, commune, Commune », in Laurent Colantonio, Caroline Fayolle (dir.), Genre et utopie. Avec Michèle Riot-Sarcey, Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, 2014. 

- Rougerie Jacques, « Le mouvement associatif populaire comme facteur d’acculturation politique à Paris de la révolution aux années 1840 : continuité, discontinuités », Annales historiques de la Révolution française, n°297, 1994, p. 493‑516.

- Scott Joan Wallach, The Glassworkers of Carmaux: French craftsmen and political action in a 19th century city, Cambridge, Harvard university press, 1974.

- Sewell William Hamilton, Gens de métier et révolutions : le langage du travail, de l’Ancien régime à 1848, traduit par Jean-Michel Denis, Paris, Aubier-Montaigne, 1983 [1980].

- Sheridan George Joseph, The social and economic foundations of association among the silk weavers of Lyons, 1852-1870, 2 vol., New York, Arno Press, 1981.

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