CfP: La guerre de 1870, conflit européen, conflit global

Call for papers, 30 June 2019 (in French)
  • Palais Universitaire 
    Strasbourg, France (67)
  • Sunday, June 30, 2019

À l’occasion du cent-cinquantenaire de la guerre de 1870, l’EA 3400 Arts Civilisation et Histoire de l’Europe de l’Université de Strasbourg organisera un colloque international qui se tiendra au palais Universitaire, du 6 au 8 février 2020. Depuis une trentaine d’années, le conflit franco-allemand de 1870 a surtout préoccupé les historiens à travers ses enjeux de mémoire, son approche par l’historiographie de la Troisième République et, plus rarement, dans la continuité des recherches de Stéphane Audoin-Rouzeau (1989), dans une perspective d’histoire et d’anthropologie culturelles de la guerre. L’approche privilégiée par la rencontre de Strasbourg sera davantage celle des répercussions, échos et appropriations internationales du conflit franco-allemand. Les travaux de David Wetzel, A Duel of Giants et A Duel of Nations, parus respectivement en 2001 et 2009, sont venus remettre en lumière l’enjeu européen numéro un qui motivait l’affrontement des deux nations : la naissance d’une Allemagne unifiée et politiquement puissante, question qui agitait les opinions publiques et préoccupait les chancelleries depuis 1866, et que Jaurès avait su mettre à sa juste place quand il s’était fait l’historien de la guerre de 1870.

Il est donc essentiel de replacer au centre de la querelle entre Napoléon III et Bismarck cette « question allemande » si importante pour l’avenir des rapports de force en Europe, afin de mieux apprécier la résonance de la guerre autour et au-delà des deux belligérants. Il y a les tiraillements du Danemark, victime de la montée en puissance de la Prusse lors de la guerre des duchés de 1864, et ceux de l’Autriche-Hongrie, où le parti d’un rapprochement diplomatique avec la France bonapartiste a pesé d’un certain poids pendant la fin des années 1860 sans pourtant triompher. Il y a le cas très discuté de la diplomatie russe. Mais au-delà des questions de politique extérieure, notre perspective consistera à privilégier les dynamiques d’opinion, récemment mises en valeur par la thèse de Gilles Vogt sur les pays neutres face au conflit de 1870. On encouragera en particulier à tester l’apport de tous les types de sources du for privé, au-delà des traditionnelles sources de presse. Une lecture renouvelée des archives diplomatiques, qui viendrait proposer une histoire par en bas des dimensions internationales de la guerre de 1870 et sortirait des classiques relations géopolitiques entre puissances, sera particulièrement appréciée. Poussées d’enthousiasme, hésitations, calculs et divisions ne sont absents nulle part, depuis les petits États frontaliers du conflit dont la neutralité est garantie par les puissances, comme la Belgique et la Suisse, jusqu’aux nationalités brimées de l’Empire des Habsbourg ou de l’Empire russe. Et pour ne rien dire, bien sûr, des pays latins : pour l’Espagne et l’Italie, la défaite française a pu avoir la place symbolique d’un retournement définitif de la hiérarchie de civilisation entre l’Europe du Nord et celle du Midi, ou au contraire l’image d’une modification des équilibres continentaux bienvenue pour contrer une France toujours perçue comme une menace. L’impact du conflit y est très important, à la fois pour l’immédiat (annexion de Rome, situation politique de l’Espagne, qui ne se résume pas à la fameuse question de l’accession au trône espagnol) et pour l’avenir plus lointain (notamment du côté de la remobilisation des forces catholiques et contre-révolutionnaires pendant la décennie 1870).

Le colloque sera également l’occasion de reposer la question des attitudes face à la guerre des sociétés civiles, qu’elles relèvent des pays belligérants ou non-belligérants. Ces dernières années, avec par exemple l’ouvrage de Rachel Chrastil sur le siège de Strasbourg (2014), de premiers éclairages ont été portés sur la question humanitaire, sur le rôle des initiatives non-gouvernementales et sur les interventions, discrètes mais réelles, de la franc-maçonnerie et des Églises. Il est souhaitable de poursuivre les recherches dans cette direction, d’autant que la guerre intervient à l’issue d’une décennie très importante pour le devenir de la Croix-Rouge et pour le début d’une codification du droit humanitaire international. Les témoignages de volontaires humanitaires présents en France pendant la guerre témoignent en ce sens d’une sensibilité nouvelle à cette question à la fois chez certains individus qui s’engagent à ce titre et au sein des opinions publiques.

Un autre point doit retenir l’attention dans cette perspective : c’est que bien davantage que la guerre de Crimée ou que la guerre de Sécession, la guerre franco-allemande a été mise en scène et mise en récit par le journalisme et les écritures de reportage. L’histoire de la sensibilisation des opinions publiques par des témoignages chocs comme celui de Camille Lemonnier à propos de Sedan rejoint celle de la protestation contre les abus de la violence guerrière exercée ici contre les civils assiégés, là contre les citadins et villageois des zones occupées, ou encore contre les partisans. La guerre de 1870 n’est plus, pour les Européens, une scène lointaine mettant aux prises des armées professionnelles. Elle prend des formes inédites et touche tout le monde, avec certainement la part d’imaginaire angoissant et de déformation que créent l’éloignement des zones de combat et la circulation chaotique de l’information, dont témoigne parmi bien d’autres le Journal d’un voyageur pendant la guerre de George Sand. La question de l’émergence de la guerre moderne et de la guerre totale, si débattue pour les années 1860 et 1870 qui auraient amorcé une rupture à ce titre, est tout autant affaire de mobilisation des opinions publiques et de médiatisation du conflit que de létalité renforcée de l’armement ou de réorganisation stratégique.

Et plus largement, il faut poser la question des circulations, celle de l’information bien sûr mais aussi celle des discours et des individus, que la guerre encourage ou bien contraint, par-delà les frontières politiques. Le colloque de Strasbourg accordera donc une importance particulière à la résonance globale de la guerre franco-allemande à travers le monde. Elle intervient en effet au terme d’une décennie 1860 marquée par la très forte publicisation du conflit nord-américain, qui était devenu plus ou moins la « cause de toutes les nations », pour reprendre le titre du récent livre de Don Doyle (2015) et des conflits du Risorgimento italien, ce qui pose la question d’éventuels rejeux et réinvestissements dans la guerre de mobilisations passées. Certes, la victoire allemande montre que la question de l’unité nationale ne se conjuguait pas ici avec celle de la liberté politique véhiculée par ce modèle républicain que la France adopte dans l’urgence, le 4 septembre, face à la défaite, et qu’on pourrait rapprocher, à certains égards, de celui de l’Union. Néanmoins, le credo républicain du gouvernement de la Défense nationale a suscité en France et hors de France de véritables mobilisations. Et devant un pays mis à genoux puis mutilé d’une partie de son territoire, le sentiment de la justice a été sollicité bien au-delà de nos frontières. La guerre franco-allemande de 1870 est donc aussi une guerre de papier, un conflit qui recouvre une dimension politique, idéologique et géopolitique propre, que l’ombre rétrospective de la Commune de Paris a peut-être eu tendance à masquer.

Dans ce cadre, le colloque se penchera en particulier sur le volontariat militaire, catégorie désormais bien connue pour l’histoire politique du XIXe siècle, mais qui demeure assez méconnu s’agissant de la guerre de 1870. Des études monographiques pourraient, ainsi, retracer le parcours de personnalités moins célèbres que Garibaldi, Cluseret ou Dinesen qui ont embrassé la cause française les armes à la main, notamment issues du continent américain (qui avait déjà fourni, on peut le remarquer, nombre de volontaires au corps des zouaves pontificaux dans les années précédant 1870). On prêtera aussi attention aux parcours collectifs, qui permettent de saisir les logiques sociales de ces circulations et la résilience d’un certain nombre de structures d’engagement. À côté des journalistes et des volontaires humanitaires, ces étrangers présents sur le sol français les armes à la main démontrent qu’ils investissent la guerre d’enjeux politiques forts, parfois de manière diamétralement opposée d’un point de vue idéologique.

Enfin, le patriotisme n’a pas été mis à l’épreuve que sur le territoire métropolitain : qu’en était-il dans les colonies françaises, au premier chef l’Algérie où la guerre coïncida avec la révolte de la Kabylie, mais aussi les Antilles, la Réunion, la Guyane ? comment le déroulement de la guerre s’y répercuta-t-il sur l’état des esprits et sur l’ordre public ? quels furent ensuite les effets sociaux et politiques de l’arrivée de milliers d’optants alsaciens et mosellans en Algérie ? Telles sont quelques-unes des interrogations qui pourront être proposées aux contributeurs pour donner la mesure du retentissement exceptionnel qui fut celui du conflit de 1870.

Modalités de soumission

Les propositions de communication (2000 caractères au minimum) accompagnées d’un CV de quelques lignes seront remises au plus tard le 30 juin 2019. Elles seront rédigées en français ou en anglais, langues dans lesquelles se tiendra le colloque. Elles sont à adresser à alexandre.dupont@unistra.fr et bourguin@unistra.fr. Le comité scientifique communiquera le programme définitif du colloque en septembre 2019.

Comité scientifique

  • Éric Anceau (Sorbonne-Université)
  • Sylvie Aprile (Université Paris Nanterre)
  • Nicolas Bourguinat (Université de Strasbourg)
  • Stéphanie Burgaud (Institut d’Études Politiques de Toulouse)
  • Jean-François Chanet (Institut d’Études Politiques de Paris)
  • Rachel Chrastil (Xavier University)
  • Jawad Daheur (CNRS)
  • Alexandre Dupont (Université de Strasbourg)
  • Jean El Gammal (Université de Lorraine)
  • Irène Herrmann (Université de Genève)
  • Gerd Krumeich (Universität Düsseldorf)
  • Emiel Lamberts (KU Leuven)
  • Catherine Maurer (Université de Strasbourg)
  • Marie-Angèle Orobon (Université Sorbonne-Nouvelle)
  • Robert Tombs (University of Cambridge)
  • Jakob Vogel (Institut d’Études Politiques de Paris)
  • Gilles Vogt (Université de Strasbourg)

Comité d’organisation

  • Nicolas Bourguinat (Université de Strasbourg)
  • Alexandre Dupont (Université de Strasbourg)

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