CfP: 1969-2019 – cinquante ans d’« Autunno caldo » : entre historiographie, héritage et témoignage

Call for papers, deadline 1 May 2019 (in French)

Ce colloque envisage de donner, cinquante ans après les événements, une lecture historique de ce qu'on pourrait appeler le « secondo biennio rosso italiano » (1968-1969) et d’analyser les changements profonds, aux niveaux théorique, philosophique, politique, économique et juridique, survenus grâce aux luttes de l’époque pour améliorer les conditions de vie et de travail des ouvriers. On envisagera également la question de l'« héritage » de cette époque. Que reste-t-il aujourd'hui des luttes, des revendications, desformes d'organisation qu'il a vu naître ou s'affirmer ?

15 octobre 2019 – Université Grenoble-Alpes

17-18 octobre 2019 – Université Paris Nanterre

 

Organisation

Colloque international organisé par le Centre de Recherches Italiennes (CRIX-EA369, Université Paris Nanterre) et par le LUHCIE - Laboratoire Universitaire Histoire Cultures Italie Europe (équipe d’accueil 7421, Université Grenoble-Alpes)

Argumentaire

Entre le milieu des années Cinquante et le début des années Soixante l’économie italienne se transforme profondément. On passe d’une société agro-industrielle à une société industrielle à capitalisme avancé. Ce qu'on a appelé le « boom (ou miracle) économique » bouleversera également les relations sociales dans tout le pays.

Certains épisodes majeurs survenus dans les années soixante (Piazza Statuto, 1962) indiquaient déjà, en termes de lutte des classes, que la situation était en train de changer et que la jeune classe ouvrière n’était plus disposée à payer le prix fort d’un développement économique qui lui imposait un travail à bas coût et la privait des droits sociaux les plus fondamentaux.

À partir de l’automne 69, l'Italie est traversée par une vague de manifestations et de luttes syndicales favorisées par le climat politique du Soixante-huit étudiant. Cette mobilisation coïncide avec le renouvellement des contrats de travail, notamment des métallurgistes et d'autres catégories de l'industrie. Les travailleurs des grandes usines, qui luttent pour de fortes augmentations des salaires et pour une réduction du temps de travail, trouvent des alliés chez les étudiants qui se révoltent contre l'école et l'université de classe. Cette longue saison de luttes met au-devant de la scène une classe ouvrière qui, pendant de nombreuses années, avait été confinée à un rôle marginal dans la vie du pays et qui devient centrale non seulement dans la négociation des contrats de travail, mais aussi dans la pensée politique de nombreux philosophes et sociologues, tout comme pour les groupes de la gauche révolutionnaire.

C'est un véritable séisme social et politique qui touche des millions de travailleurs et ébranle de manière profonde les équilibres fondamentaux du système, en inaugurant une décennie d'avancées tant en ce qui concerne les conditions de travail que, plus généralement, les droits civiques et sociaux. Une décennie de conflits très durs se propageant des usines à tous les secteurs de la société, qui ne commence à prendre fin qu'avec la « marche des quarante mille » à Turin en 1980. Une décennie qui suscite de nombreuses controverses d'un point de vue historiographique, étant considérée par certains comme une période de « véritable folie », d'excès revendicatifs, d'exaspérations idéologiques et de pratiques sociales marquées par la violence, tandis que pour d'autres, elle représente la phase la plus dynamique et féconde de l'histoire de l'Italie républicaine.

Ce colloque envisage de donner, cinquante ans après les événements, une lecture historique de ce qu'on pourrait appeler le « secondo biennio rosso italiano » (1968-1969) et d’analyser les changements profonds, aux niveaux théorique, philosophique, politique, économique et juridique, survenus grâce aux luttes de l’époque pour améliorer les conditions de vie et de travail des ouvriers. On envisagera également la question del’« héritage » de cette époque. Que reste-t-il aujourd'hui des luttes, des revendications, des formes d'organisation qu'il a vu naître ou s'affirmer ?

Les thèmes abordés dans les interventions se répartiront selon les axes suivants :

Axe 1 : L'opéraïsme théorique

Ce premier axe de recherche est dédié aux dimensions théoriques de l'opéraïsme italien et à ses liens avec les mobilisations ouvrières de l'Autunno caldo. Si l'opéraïsme n'a jamais constitué un courant de pensée homogène et dogmatique, pendant les années soixante, ses représentants ont produit un grand nombre de textes riches de réflexions, d'idées et de suggestions nées principalement pendant les luttes et durant les con-richerche conduites aux côtés des ouvriers. Il s'agissait surtout d'analyser, à travers une relecture critique de Marx, les transformations du capitalisme avancé, ses répercussions sur les conditions de travail des ouvriers et les possibilités d'organisation et de résistance de la classe ouvrière. Dans quelle mesure le travail théorique des opéraïstes, réunis autour de revues comme Quaderni rossi ou Classe operaia, a-t-il influencé les luttes ouvrières des années soixante et plus spécifiquement celles de l'année 1969 ? Comment ce moment de conflictualité accrue, dont ils avaient souhaité l'avènement, a-t-il été lu par les opéraïstes ? De quelle façon les concepts opéraïstes d’« ouvrier masse », d'« autonomie », de « refus du travail » ou de « composition de classe » permettent-ils d'analyser les mobilisations de l'Autunno caldo ?

Axe 2 : L'Autunno caldo et la gauche révolutionnaire

Le deuxième axe de recherche concerne les aspects pratiques de l'influence opéraïste sur les luttes de l'Autunno caldo. L'activité opéraïste a été depuis le début parcourue par une forte tension entre théorie et pratique, et la nécessité de l'intervention politique au cœur des luttes est apparue rapidement comme une question cruciale. Les questions liées à l'« organisation des masses », aux rapports avec le mouvement ouvrier officiel, aux formes de lutte les plus efficaces se sont précisées au cours des différentes expériences opéraïstes des années soixante jusqu'à l'automne 1969. Ainsi, il s'agira de voir de quelle façon les« répertoires d'action » adoptés par les différents groupes de la contestation de cette séquence politique s'inscrivent dans la continuité des mobilisations opéraïstes des années précédentes. Quel a été le rôle des intellectuels opéraïstes dans l'organisation des grèves ? Comment se manifeste nouvellement la tension entre « entrisme » et « autonomie » pendant l'Autunno caldo ? Comment et sous quelles formes spécifiques la gauche révolutionnaire se propose-t-elle en tant qu’alternative aux syndicats et partis de la gauche ? Un dernier aspect à traiter est celui de l’engagement militant des ouvriers qui, après la rencontre avec les groupes de la gauche révolutionnaire (Potere Operaio, Lotta Continua mais aussi avec les Brigades rouges, nées, justement, dans les usines milanaises lors des luttes des CUB – Comitati Unitari di Base) font le choix de quitter l’usine et d'entrer pleinement dans l’action politique.

Axe 3. Activisme syndical des ouvriers

Le troisième axe se propose d'élargir le champ d'investigation. Malgré leur importance considérable dans les luttes, les « groupes révolutionnaires » restent résolument minoritaires. Il sera donc intéressant de déplacer notre regard vers l'opéraïsme de la gauche syndicale, interne et transversale aux organisations historiques traditionnelles (Cgil, Cisl, Uil), qui devient dominant entre 1968 et 1969, en imposant avec force un « syndicat des Consigli » qui a été le véritable promoteur et protagoniste de l'Autunno. La saison se conclut en effet avec la signature du « Contratto Nazionale dei Lavoratori » entre syndicats et entreprises. La victoire de 1969 tient en tout premier lieu aux luttes des travailleurs (au sens large, et donc pas seulement l'ouvrier masse de la grande industrie fordiste) qui se sont battus pour un autre type de représentation politique et surtout syndicale, plus démocratique (les délégués et les « Consigli »), plus autonome (le syndicat comme sujet politique) et plus unitaire (la Federazione lavoratori metalmeccanici). Elle dépend ainsi surtout de cette « nouvelle gauche » qui provenait du mouvement ouvrier « officiel » et qui, en grande partie, reste dans ce mouvement ouvrier « officiel » en le radicalisant. Il sera intéressant d'interroger la dialectique complexe entre ces jeunes mouvements et les institutions (associations, partis, syndicats), entre anciennes et nouvelles gauches – plus ou moins réformistes (dans un sens radical) et plus ou moins révolutionnaires.

Axe 4. Après l'Autunno caldo : héritage juridique, économique et culturel

Quels effets l'Autunno caldo a-t-il produits ? Ce moment d'intense conflictualité sociale a vu la revendication de nouveaux droits concernant les conditions de travail dans les usines (horaires de travail, représentation, santé, égalitarisme des rémunérations, condition féminine...). L'ensemble de la structure industrielle italienne a été durement touchée par la force de l'Autunno caldo. Quelles répercussions, économiques et juridiques, ces mobilisations ont-elles eues sur les entreprises – par exemple Fiat ? Il s'agira notamment d'examiner les résultats juridiques et législatifs des luttes de l'Autunno caldo (nouveauté de l'accord signé le 8 janvier 1970, création des Consigli di fabbrica, adoption du Statuto dei lavoratori en mai 1970...). La réaction des chefs d'entreprise par rapport à la question opéraïste présente elle aussi un grand intérêt : il suffit de penser au fichage interne des ouvriers militants, d'ailleurs souvent approuvé par les syndicats traditionnels. Un deuxième aspect concerne les productions culturelles liées à l'Autunno caldo. Nous chercherons à comprendre comment cet événement a représenté une source d'inspiration pour le cinéma, la musique et la littérature. Quels éléments historiques a-t-on sélectionnés pour évoquer cette séquence ? Quels points de vue et quelles représentations a-t-on privilégiés ? Avec quels effets ?Nous voudrions enfin examiner la question de l'héritage politique de l'Autunno caldo au XXIe siècle. Que reste-t-il aujourd'hui des luttes, des revendications de l’époque ? Dans un monde industriel qui a radicalement changé depuis les années 60, des élans ouvriers autonomes par rapport aux syndicats officiels sont-ils encore présents ? Existe-t-il une force qui puisse encore modifier le monde du travail ou tout a-t-il disparu après la restructuration voulue par le patronat dès les années 80 ? Que reste-t-il de ces ouvriers qui, pendant des mois, ont combattu dans la rue pour leurs droits et ceux des autres ?

Modalités de soumission

Les propositions de communication devront comporter environ 300 mots, une bibliographie succincte et une courte notice biographique. Les langues de communication sont le français et l’italien.

Elles sont à envoyer avant le 1er mai 2019

aux adresses suivantes :

christophe.mileschi@u-paris10.fr

elisa.santalena@univ-grenoble-alpes.fr

Les décisions du Comité Scientifique seront communiquées au plus tard le 15 mai 2019.

Comité scientifique

- Leonardo Casalino (Université Grenoble-Alpes)

- Olivier Forlin (Université Grenoble-Alpes)

- Christophe Mileschi (Université Paris-Nanterre)

- Oreste Sacchelli (Université de Lorraine)

- Elisa Santalena (Université Grenoble-Alpes)

- Marco Scavino (Università degli studi di Torino)

- Marie Thirion (Université Grenoble-Alpes)

- Ada Tosatti (Université Paris 3, Sorbonne Nouvelle)

- Steve Wright (Monash University, Australia)

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