Avec le soutien de l’Ecole Doctorale de Science Politique de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et du Centre Européen de Sociologie et de Science Politique (CESSP) UMR 8209, CNRS
Colloque organisé par : Morgane Hauguel, Thomas Lépinay, Clément Lescloupé, Pierre Mayance, Evélia Mayenga, Guillaume Petit, Delphine Raccurt et Bérangère Rocalve
L’autonomie semble aujourd’hui le nouveau mot d’ordre politique : elle est mobilisée pour décrire aussi bien les politiques sociales (retour à l’emploi, parentalité, handicap, dépendance, urgence sociale, système de retraite et assurance chômage), les politiques de la ville ou de l’enseignement supérieur, la réforme de l’État ou encore les politiques territoriales. Qu’elle soit un but pratique, auquel s’articule une série d’outils et de transformation des modalités d’action, ou qu’elle constitue un objectif à atteindre, l'autonomie est tout autant une injonction contraignante qu'une ressource de légitimation de programmes d’action publique.
De l’autonomie (relative) du local (Koebel, 2010) à celle des universités (Musselin, 2017) ou de l’autonomie de nombre d’institutions publiques vis-à-vis du pouvoir central à celle des “cadres intermédiaires de la fonction publique” (Barrier et al. 2015 ; Divay, 2013), elle semble parée de toutes les vertus : efficacité, performance des administrations, indépendance, liberté, responsabilité ou encore dignité des publics. Elle peut se voir également revendiquée par différents groupes professionnels comme une nécessité à l’exercice de leur activité (Lipsky, 1980). Elle s’accompagne par conséquent de la promotion de nombre d’instruments d’action publique (Halpern, Le Galès, 2011) : le recours à la contractualisation à travers la politique de la ville, le contrôle des chômeurs à travers la politique du retour à l’emploi. Ces initiatives vont dans le sens d'une autonomie sous surveillance, tandis qu’à l’heure du néolibéralisme on va jusqu’à observer des transferts de compétences et de responsabilité au nom de l’autonomie, alors que le contrôle se recompose sous d’autres formes. C'est notamment le cas dans le domaine hospitalier, en vue de l’autonomie budgétaire (Pierru, 2012) ou pour les collectivités territoriales (Le Lidec, 2007).
Le répertoire de l’autonomie est ainsi mobilisé aux plus hauts sommets de l’État pour justifier la mise en œuvre de politiques publiques ou revendiqué par les acteurs eux-mêmes. Il est présent au sein de politiques sectorielles très différentes, marquées par des histoires singulières... Un des paradoxes apparents est que ce recours à l’autonomie comme solution omnibus se fait dans un contexte de rétrécissement des marges d’action et notamment des marges d’action financières. Et de fait, les dénonciations soulignent ce caractère ambivalent et trompeur du terme : l’autonomie budgétaire peut ainsi, comme dans le cas des universités, conduire indirectement à une remise sous tutelle (Henry, Sinigaglia, 2014). On peut ainsi retourner le propos : comme le faisait Robert Castel, à tous les niveaux, pour les individus comme les collectifs, « l’autonomie commandée n’est pas l’autonomie, mais un nouveau mode de domination ». (Castel, 2010).
Il apparaît ainsi nécessaire de questionner la notion elle-même, les contenus qu’elle affecte, les usages qui en sont faits par les différents groupes d’acteurs qui la revendiquent ou la dénoncent. L’autonomie produit-elle de l’émancipation, de la souplesse, de l’initiative, ou contribue-t-elle à nourrir d’autres formes de domination, dépolitisées et individualisées ?
Ce colloque se propose de réintroduire la question du pouvoir et des inégalités au cœur des projets, des revendications ou des programmes d’autonomie. Trois axes de questionnement le structureront :
1. Inventeurs et entrepreneurs d’autonomie
Hauts fonctionnaires, élus locaux en quête de nouveaux pouvoirs, acteurs associatifs, intellectuels et militants à la recherche de projets politiques alternatifs, experts gestionnaires à la recherche de nouveaux modes de management : les acteurs inventeurs ou entrepreneurs d’autonomie occupent des positions variées. Ce colloque est l'occasion de travailler sur les groupes qui à différents niveaux construisent et acclimatent parfois dans leurs espaces sociaux cette nouvelle conception de l’action publique ou selon les cas, ce nouveau projet démocratique. Il s’agit ainsi d’étudier les conditions historiques et sociales de la “mise en autonomie”. Comment l’absence d’autonomie, c’est-à-dire selon les cas la rigidité bureaucratique, la contrainte de l’Etat central, les pesanteurs sociales, est-elle mise en problème ? En mobilisant la sociologie des idées politiques, on pourra également interroger la notion d’autonomie comme catégorie politique, comme dans le cas de la 3ème voie de Tony Blair au Royaume-Uni, qui redéfinit le rôle de l’État et la place de l’individu dans le discours du Labour, ou son importance au sein des courants autogestionnaires (Petiot, 1990), socialistes (Castoriadis, 1975) et participatifs (Pateman, 1970 ; Hatzfeld, 2011).
Ces inventeurs d’autonomie vont se trouver pris dans des débats renouvelés au fur et à mesure que les politiques d’autonomie gagnent de nouveaux secteurs d’action publique : l’autonomie est alors associée aux politiques de désengagement financier de l’Etat et à une mise en indicateurs des activités. Cette transparence, contrepartie de l’autonomie, est en réalité synonyme de nouvelles contraintes pour les acteurs et organisations concernés. Dans bien des cas, les questions de responsabilité tant des institutions que des publics, accompagnent une autonomie ressentie comme une injonction (Duvoux, 2009). L'introduction dans le registre politique de notions telles que la responsabilité ou le mérite individuels, pourrait en effet expliquer certaines reconfigurations du rapport à l’État, et l'émergence de ces nouvelles injonctions à l'autonomie.
2. L’ambivalence des instruments de l’autonomie
Les politiques de l’autonomie s’appuient sur une série d’outils qui concernent à la fois les institutions ou publics mais aussi ceux qui sont chargés de garantir cette autonomie. Tant dans les politiques institutionnelles que dans des secteurs spécifiques de politiques publiques, un certain nombre d’outils sont les supports de cette politique d’autonomie. On peut penser au développement de la contractualisation, aux dispositifs “d’entreprise de soi” (Abdelnour, Lambert, 2014 ; Gorz, 2001) mais aussi aux “bonnes pratiques” professionnelles, qu’il s’agisse de l’accompagnement des publics (Baudot, Revillard 2014) ou de la participation des bénéficiaires, transformés en partenaires (supposés) des pouvoirs publics. Fortement présent dans les politiques sociales (Serre, 2011) et médico-sociales, ce mouvement s’accompagne d’injonctions gestionnaires pour les associations, comme dans la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale.
3. Autonomie et reconfigurations des pouvoirs et des légitimités : émancipation ou domination néolibérales ?
La mise en autonomie irait de pair avec une reconfiguration des pouvoirs au sein des administrations et de leurs publics. Cela en est d’ailleurs parfois une des finalités explicites. L’autonomie redessine-t-elle les façons d’agir et de voir des agents, comme dans le cas des auto-entrepreneurs (Abdelnour, 2013) ou des « travailleurs » associatifs (Hély, 2009) ? Est-elle un des objectifs des mouvements sociaux, souvent présentés sous le vocable de l’empowerment (Bacqué, Biewener, 2013 ; Talpin, 2006)? L’autonomie peut ainsi s’entendre par le bas, dessinant une opposition entre des injonctions à la participation et des dynamiques d'empowerment (Carrel, 2013). Ces usages militants ou citoyens de l’autonomie entrent en confrontation avec les injonctions descendantes de différentes autorités ou institutions (Balazard, Fisher, 2016). On pourra ainsi également s’intéresser aux résistances et aux subversions de ces injonctions.
On le voit, l’autonomie, qu’elle soit une revendication, un programme, une émancipation ou une activité de contrôle, a potentiellement produit de nouveaux acteurs porteurs de légitimités différenciées. Depuis les années 1980, le mouvement de réforme de l’État met ainsi en prise des acteurs revendiquant une plus grande autonomie, principalement gestionnaire (freedom to manage) (Hood 2000, Bezes 2009, Le Galès 2008). C’est encore le cas des consultants dans la politique hospitalière (Pierru 2012). Comment les configurations bureaucratiques, institutionnelles ou politiques sont-elles remodelées par ces transformations ? Les acteurs peuvent en effet se saisir de cette autonomie, en redessiner les contours et en redéfinir la nature, comme dans le cas des intercommunalités passées “de l’autonomie fonctionnelle à l’autonomie politique” (Le Saout 2001). Ces changements n’affectent du reste pas que les dirigeants, mais aussi les “petits soldats” de l’autonomie (les métiers du secteur social, éducatif, médico-social et du service à la personne).
Nous entendons ainsi, dans ce colloque, à la fois montrer la diversité ancienne des projets d’autonomie, et questionner la manière dont ils tendent aujourd’hui à s’aligner sur des politiques de transformation et de rationalisation de la domination bureaucratique.
Paris, semaine du 18 juin 2018 (dates et lieux à venir)
Calendrier
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La date limite de réception des propositions est fixée au 12 mars 2018.
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Les propositions de communication (3 à 5000 signes, accompagnées d’une courte biographie et de 3 à 5 mots-clefs) doivent être déposées sur le site dédié au colloque : http://autonomie-2018.sciencesconf.org
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Le colloque se tiendra à Paris sur deux jours, la semaine du 18 juin (dates et lieux à venir).
Comité d'organisation
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Hauguel, Morgane, doctorante en science politique (CESSP-CRPS)
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Lescloupé, Clément, doctorant en science politique (CESSP-CRPS)
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Lépinay, Thomas, doctorant en science politique (CESSP-CRPS)
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Mayance, Pierre, doctorant en science politique (CESSP-CRPS)
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Mayenga, Evélia, doctorante en science politique (CESSP-CRPS)
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Petit, Guillaume, docteur en science politique (CESSP-CRPS)
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Raccurt, Delphine, doctorante en science politique (CESSP-CRPS)
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Rocalve, Bérangère, doctorante en science politique (CESSP-CRPS)