CfP: Travail, emploi et relations professionnelles dans les organisations militantes

Call for papers, deadline 15 May 2018 (in French)

 

Travail, emploi et relations professionnelles
dans les organisations militantes

CHS XXe siècle (CNRS/Paris 1) – ISP (Paris-Nanterre)

Journée d’étude – Paris – Novembre 2018

La thématique de la « professionnalisation » est largement mobilisée dans l’analyse des transformations des activités politiques, syndicales ou associatives (Hély, Simmonet 2013 ; Offerlé 1999 ; Ubbiali 1997). Elle se concentre en grande partie sur la manière dont les pratiques et le recrutement des acteurs font valoir et projettent une légitimité fondée sur un critère de « professionnalité », autrement dit sur la maîtrise de savoirs et de savoir-faire spécifiques (Matonti, Poupeau 2004 ). Parallèlement, la sociologie du travail a également été mobilisée pour analyser l’engagement, les pratiques ou les divisions du travail militant (Nicourd 2009). L’objectif de cette journée d’étude sera de concourir à ce « décloisonnement » de l’histoire et de la sociologie de l’engagement (Sawicki, Siméant 2009), en observant les organisations militantes comme des lieux de travail à part entière, au sein desquelles s’établissent des relations professionnelles auxquelles peuvent s’appliquer les questionnements « classiques » de l’étude du travail.

S’agissant du champ politique, ce type de questionnement a notamment été mobilisé pour analyser l’entourage et les collaborateurs des élus (Bioy et alii 2015, Kerrouche 2009), en particulier autour de la figure des assistants parlementaires (Courty 2005 ; Michon 2014). Sans négliger les enjeux de la professionnalisation « édilitaire » ou « technocratique » (Cotta 1979 ; Phelippeau 2002), il s’agira ici de déplacer prioritairement le regard vers les organisations, comprises comme communautés de travail sujettes à une forme collective, et stabilisée dans le temps, d’encadrement institutionnel. L‘ambition est ainsi de mesurer de quelles manières un contexte général de transformations des pratiques militantes (politiques, syndicales, associatives) impacte les rôles attribués aux différentes catégories d’acteurs (dirigeants, militants permanents et non-permanents, professionnels salariés, élus-salariés, etc.). L’objectif sera ici d’englober toute la variété de statuts et de métiers, sans s’en tenir à la distinction constituée a priori entre militants appointés et salariés. Prise dans les interdépendances d’une communauté professionnelle, cette gamme de métiers est soumise aux évolutions des méthodes de travail comme aux formes d’action ou de mobilisation collectives. Ces logiques seront donc à envisager au regard des cadres – organisationnels, historiques, matériels, géographiques, etc. – dans lesquelles elles s’insèrent.

Pour ce faire, nous souhaitons accorder une attention particulière aux acteurs – tendanciellement invisibles et potentiellement dominés – qui « ne participent pas de l’identité collective » promue par les organisations (Avril 2014), par exemple les salariés affectés aux postes « techniques » ou « administratifs » qui contribuent à leur fonctionnement quotidien, qu’ils soient ou non issus des rangs militants (personnels administratifs, d’accueil, d’entretien, de gardiennage, de restauration, etc.). Les travaux présentés devront questionner les fonctions, l’influence et les pratiques – notamment « politiques » – de ces acteurs tout en interrogeant leur insertion dans le travail militant (Nicourd 2009). En retour, la mise en lumière de ces salariés « oubliés » doit également permettre de réinterroger des fonctions fréquemment étudiées par l’histoire ou la sociologie du militantisme. Qu’on pense, par exemple, à la figure du « permanent » comme représentation historiquement constituée qui met en tension les registres du militant et du professionnel comme deux pôles distincts voire antagonistes (Trempé 1977) : d’un côté, un modèle « originel », fondé sur l’engagement et éventuellement affecté par une « professionnalisation passive », et de l’autre le recours à des professionnels « de métier », identifiables à leur formation initiale, participant à l’introduction de méthodes managériales ou à l’affirmation de critères de professionnalité (Thomas 2013). Les recompositions de cette fonction, largement renseignées dans le cas des partis politiques (Boulland 2016 ; Leclercq 2011) ou des syndicats (Guillaume 2014 ; Mischi 2017), peuvent aussi être observée dans un monde associatif largement professionnalisé (Delage 2017 ; Neveu, 2015). Plus largement, cette tension entre différents pôles d’acteurs et donc entre différents registres de légitimation – « militante » ou « politique » d’un côté et « professionnelle » ou « technique » de l’autre – traverse une grande variété d’espaces militants, tels que les organisations patronales (Offerlé 2013) ou les partis « conservateurs » (Haegel 2012). On peut également considérer que, quels que soient les domaines d’intervention de l’organisation ou l’idéologie qu’elle participe à promouvoir, se pose la question du contrôle de l’engagement dans le travail par l’employeur (entendu au sens large).

Le fonctionnement « ordinaire » des structures sera particulièrement scruté. Les réponses apportées aux conjonctures militantes amèneront à penser les adaptations et les remaniements successifs de l’organisation institutionnelle. La prise en considération d’importations extérieures, telles les pratiques de « managérialisation », permettra d’introduire des formes de comparaison renseignant, par exemple, une circulation des savoir-faire entrepreneuriaux (Boltanski et Chapiello 1999). A ce titre, les politiques de recrutement mises en œuvre dans ces réseaux seront aussi à prendre en considération au travers d’une études des catégories mobilisées (« expert », « militant », « technicien », etc.), des critères d’embauche (diplôme, expérience salariée, parcours militant, etc.) ou des dispositifs de sélection (service dédié, relations de cooptation, dispositif localisé ou centralisé, etc.). A cet égard, les propositions mobilisant une analyse des trajectoires sociales, notamment appréhendées sous l’angle prosopographique ou sociobiographique, seront particulièrement appréciées (Pudal, Pennetier 2017).

L’objectif de cette journée d’étude interdisciplinaire sera de combiner les apports de recherches issues de l’histoire, de la science politique et de la sociologie. Si la notion de « professionnalisation » tend plus volontiers à caractériser des évolutions récentes, nous faisons l’hypothèse qu’une approche par les notions de travail, d’emploi et de relations professionnelles peut permettre d’interroger à nouveaux frais des configurations historiques plus anciennes, depuis la fin du XIXe siècle ou le début du XXe siècle. De même, les travaux portant sur différents espaces nationaux seront également bienvenus, notamment dans une perspective comparatiste.

Ce premier cadre posé, trois axes pourront guider les propositions :

  1. La gestion institutionnelle des personnels

En premier lieu, il s’agira d’identifier comment les organisations gèrent leur personnel salarié, militant ou professionnel. Disposent-elles de services ou de responsables dédiés à ces questions ? Différents cas de figures peuvent apparaître : « direction du personnel », service de « ressources humaines », « secteur promotion des cadres », « section d’organisation », etc. Comment ces services ou ces responsables s’insèrent-ils dans le fonctionnement et le dispositif internes ? Dans quelle mesure leur gestion repose-t-elle sur des distinctions entre postes « techniques » et « politiques » ? Quels sont les critères et les mécanismes des recrutements ? Comment articulent-ils critères professionnels et critères militants ? L’analyse des types de fonctions et d’emplois autant que des caractéristiques du personnel pourra être développée. Il s’agira aussi d’envisager l’emploi au sein des organisations militantes en fonction des questions que soulève toute forme d’activité professionnelle : cadre légal et juridique, types de contrat de travail, rémunérations, conditions de travail, droits et avantages sociaux, etc. De même, une étude de l’administration concrète des « rétributions du militantisme » (Gaxie 2005), appréhendée sous l’angle d’une gestion de la promotion professionnelle empruntant à divers modèles d’encadrement, devrait permettre de saisir les spécificités des politiques du personnel. Par-delà une vision prescriptive et unilatérale, il conviendra de saisir ces normes comme le produit d’une négociation entre les prises de positions des différents acteurs de l’organisation (Lagroye, Offerlé 2010). Cet axe vise également à questionner les modèles de professionnalisation prescrits ou latents, ainsi que les éventuelles résistances qui leur sont opposées. Aussi, l’explicitation des concurrences internes (entre services, dirigeants, organisations, etc.), rapportées au statut des acteurs impliqués et/ou aux tensions historiquement cristallisées, permettra de mettre en lumière la gestion des « territoires professionnels » (Abbott 1988) réservés aux différentes catégories de personnel.

  1. Collectifs de travail et Interactions professionnelles

Pour ce second axe, la priorité sera donnée à des contextes militants qui permettent d’observer les organisations comme « système de travail » (Hughes 1996) qui font interagir diverses catégories d’acteurs, y compris, à côté ou autour des militants-dirigeants (Wagner 2005). De manière générale, il s’agira d’interroger des espaces d’interactions, dans lesquels se définit le « faisceau de tâches » associé aux différents postes et à une hiérarchie des « rôles » (Hughes 1996). On se concentrera en particulier sur des lieux de travail qui, à l’image par exemple des sièges centraux des organisations, fonctionnent comme « cadre d’exercice et d’apprentissage d’une pratique professionnelle, c’est-à-dire aussi comme expérience quotidienne d’un monde d’interactions et de sociabilité » (Aldrin 2007). De manière générale, seront privilégiés les observatoires concrets de l’activité et des rapports sociaux entre salariés, permanents et professionnels, soumis à une organisation du travail commune. Ces environnements pourront être approchés sous différentes dimensions (relations genrées ou intergénérationnelles, conflits culturels, etc.).

De même, on questionnera les conflits du travail, pris au sens large des multiples tensions qui affectent l’espace professionnel (Thuderoz 2014) ou, plus spécifiquement, au sens des protestations et des mobilisations portant sur les conditions de rémunération, de travail ou de statut (Groux 1998 ; Quijoux 2014). En contexte militant, ceux-ci possèdent une résonnance particulière. A ce titre, les modes de résistances collectifs ou individuels pourront être appréhendés au travers de leurs effets sur les relations internes à la structure militante, ainsi que par leur influence sur les trajectoires professionnelles des salariés (Giraud 2014). De la même manière, on explorera la légitimité de l’action revendicative au regard du « cadrage » dont elle est l’objet par les directions politique ou administrative. Qu’elle soit dénoncée comme une opposition « déloyale » ou, à l’inverse, qu’on la présente comme porteuse d’une force régénératrice de l’investissement professionnel, elle participe à expliciter les injonctions contradictoires à l’œuvre dans ces sphères militantes professionnalisées.

  1. Frontières entre les registres militants et professionnels 

Un troisième axe invite à saisir les superpositions et/ou les contradictions entre légitimités militante et professionnelle. Plusieurs aspects de la question peuvent être privilégiés qu’il s’agisse de la codification de statuts sociaux, de la valorisation des compétences ou encore d’une «  fabrication des carrières » mobilisant conjointement les deux registres (Gayral, Guillaume 2011). Une fois encore, malgré la solidification de ces catégories dans l’entendement militant, il convient de penser la porosité de leurs frontières et leur reconfiguration dans le temps. L’intérêt porté aux trajectoires hybrides constituées de multiples transferts entre positions « techniques » et « politiques», et parfois au principe de reconversions professionnelles ou militantes, peuvent en ce sens constituer un matériau d’analyse pertinent (Rimbert 2009). Ce type de cas invite également à saisir les rapports subjectifs à l’activité. La question d’un double positionnement, « à la cause » et à « la situation professionnelle », encourage à penser la pluralité des identités – « virtuelles ou réelles » – au travail (Goffman 1975 ; Becker 1965). Il convient de rappeler, par exemple, en quoi l’incapacité à négocier une position équilibrée entre ces différents registres engendre de véritables frustrations ou souffrances dont on ne distingue pas toujours si elles relèvent de maux « professionnels » ou « militants » (Leclercq 2011 ; Pudal, Pennetier 2017). En ce sens, la mobilisation de justifications « vocationnelles » à l’engagement professionnel sera à considérer en tant que telle, mais aussi au regard des conditions sociales de possibilité déterminant son apparition et/ou son hybridation (état du marché du travail, héritage familial, vieillissement social, etc.). La prise en considération des sociabilités plurielles (Thibault 2013) des espaces de socialisation hétérogènes (Lahire 1998) ou encore des insertions extra-professionnelles (Mischi 2017) doit ainsi permettre de mieux comprendre le « travail du poste » (Muel-Dreyfus 1983) réclamé à ces personnels.

Modalités d’envoi des propositions de communication

Les propositions, d’une longueur maximum d’une page, devront reposer sur des données empiriques. Elles incluront une présentation de l’objet d’étude et préciseront l’axe dans lequel elles souhaitent s’inscrire prioritairement. Elles devront être envoyées aux adresses suivantes :

paul.boulland@orange.fr ; n.simonpoli@gmail.com

Calendrier provisoire

– Date limite d’envoi des propositions de communication : 15 mai 2018

– Réponses aux contributeurs : 15 juin 2018

– Envoi des textes de communication : 12 octobre 2018

– Tenue de la journée d’étude : novembre 2018

Organisateurs : Paul BOULLAND (CNRS, Centre d’Histoire sociale du XXe siècle) ; Nicolas SIMONPOLI (Université Paris-Nanterre, Institut des sciences sociales du politique).

Membres du comité scientifique :

Christelle Avril (EHESS, IRIS) ; Frank Georgi (Paris 1, Centre d’Histoire sociale du XXe siècle) ; Baptiste Giraud (Aix-Marseille, LEST) ; Isabelle Lespinet-Moret (Paris 1, Centre d’Histoire sociale du XXe siècle) ; Cédric Lomba (CNRS, CRESPPA-CSU) ; Julian Mischi (INRA, CESAER) ; Romain Pudal (CNRS, CERAPS) ; Anne-Catherine Wagner (Paris 1, CESP).

 

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