Ce projet de colloque international entend étudier l'importance du thème de la mort des révolutionnaires et de ses représentations dans les mythologies révolutionnaires du XVIIIe siècle à nos jours, bien sûr par-delà les frontières nationales. Les approches seront donc volontairement comparatistes et internationales, faisant la part belle aux divers processus d'héroïsation et à la transmission de toute une culture révolutionnaire, dans les récits, les mémoires, les images, etc.
Argumentaire
« Que le peuple soit sauvé, et je fais volontiers le sacrifice de ma vie ». Cette phrase de Dartigoeyte, représentant du peuple montagnard, insérée dans son Opinion (…) sur la défense de Louis Capet, présentée devant la Convention nationale le 3 janvier 1793, combien d’autres révolutionnaires l’ont alors faite leur ? Deux semaines plus tard, l’assassinat de Le Peletier de Saint-Fargeau ouvrait une sinistre liste, celle des membres de cette Assemblée décédés d’une mort non naturelle, exécutés, suicidés, assassinés, morts en mission, morts en prison ou en déportation, tous tombés en raison de leurs engagements politiques. La Convention nationale fut également la première Assemblée législative a créé un temple civique destiné à abriter les restes des « grands hommes », ce Panthéon ouvert en avril 1791 pour accueillir la dépouille de Mirabeau et où Le Peletier entra à son tour le 24 janvier 1793, trois jours après l’exécution du roi détrôné. Si le culte des « grands hommes » possède naturellement des antécédents bien avant 1789, tandis que l’idée de martyre plonge ses racines aussi bien dans l’Antiquité que dans différentes traditions religieuses, la Révolution française inaugurait là une mémoire collective de l’immortalité voulue pour des révolutionnaires décédés au nom de la fière devise « La Liberté ou la mort ». Toute une mythologie de ces morts glorieuses a été transmise au XIXe siècle, à travers de nombreux autres exemples, parfois politiquement opposés mais relevant de logiques proches, l’exécution collective de vingt représentants du peuple girondins le 31 octobre 1793, celle de Danton puis Maximilien Robespierre et de leurs coaccusés en 1794, ou encore le « spectacle d’apparat » offert par la tentative de suicide collectif des martyrs de prairial en 1795. Une mémoire militante et bien sûr l’historiographie ont permis des transferts culturels par-delà les frontières étatiques et entre les mouvements révolutionnaires. Des révolutions de 1830, 1848 et 1871 aux révolutions, ou tentatives de révolutions, du XXe siècle, l’idée qu’un révolutionnaire doit par avance accepter de tout sacrifier à son engagement militant, y compris sa vie s’il le faut, s’est très largement diffusée et surtout a été l’objet de véritables mythes dont le corps de Che Guevara assassiné en Bolivie peut apparaître comme une véritable icône planétaire, y compris via ses détournements purement commerciaux.
« Qu’eût valu une vie pour laquelle il n’eût pas accepté de mourir ? Il est facile de mourir quand on ne meurt pas seul », écrit André Malraux dans La Condition humaine. Cette autre phrase, de même combien de révolutionnaires l’auraient-ils reniée, dès lors qu’ils étaient justement imprégnés par toute une culture du sacrifice de soi au service d’une cause ? Les exemples ne manquent pas de vies brisées, de la révolution mexicaine à la révolution russe, du mouvement spartakiste aux combats des antifascistes italiens, des révolutions chinoises aux combats de libération nationale dans les colonies, des luttes irlandaises toujours recommencées siècle après siècle à celles des Basques, des résistances palestiniennes aux résistances sud-africaines. La liste en serait longue et presque fatalement non-exhaustive, rassemblant pêle-mêle des révolutionnaires français et Wolf Tone, Baudin puis les Communards fusillés ou tombés les armes à la main, les anarchistes de la « propagande par le fait », Zapata et Pancho Villa, Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht, Sacco et Vanzetti, Trotsky, Lumumba, Guevara, Malcolm X, des Algériens du FLN, Fernand Iveton et Maurice Audin, Ben Barka, des dirigeants palestiniens assassinés par les services secrets israéliens, Thomas Sankara, Chris Hani et Dulcie September , Bobby Sands et neuf autres grévistes de la faim n’ayant jamais fléchi dans leur détermination…
Le présent colloque n’entend ni devenir l’occasion d’une sorte de martyrologe, ni se borner à un déroulement chronologique qui serait par trop appauvrissant. Le centre de ses thématiques sera consacré à l’importance de cette question dans les mythologies révolutionnaires et aux transferts entre révolutions par-delà les frontières. Les approches devront donc nécessairement être thématiques et de nature comparatiste, aucune limite géographique n’étant par ailleurs retenue. De la même manière, il va de soi qu’aucun type de mort non naturelle ne sera privilégié (assassinats, exécutions, « disparitions », suicides, grèves de la faim, morts au combat…). Dans une optique comparatiste, chaque session sera introduite par un rapporteur qui permettra d’esquisser une approche synthétique. Les éléments ci-dessous permettront d’orienter les propositions de communication, tout en ne se voulant pas davantage un cadre contraignant :
- Les funérailles: militantes, secrètes, à « grand spectacle » tel le Panthéon, créatrices de lieux de culte et de pèlerinage militants…
- L’entretien du culte des héros morts dans la littérature, le théâtre, la poésie…
- Les images: gravures, dessins et toiles, photographies, films…
- Un enjeu historiographique? Les réflexions d’auteurs du XIXe siècle sur l’économie du sang des hommes (par exemple pour les martyrs de prairial), les significations politiques de certaines interprétations historiographiques...
Conditions de soumission
Les propositions de communication sont à envoyer aux deux adresses suivantes, accompagnées d’une notice bio-bibliographique
michel.biard[@]univ-rouen.fr
jean-numa.ducange[@]univ-rouen.fr
avant le 1er octobre 2018.
http://grhis.univ-rouen.fr/grhis/?event=appel-a-communication-mourir-en…