La Société d’histoire de 1848 a le plaisir d’annoncer la tenue, les 19 et 20 juin prochains, de la première édition des Rencontres du XIXesiècle, organisées sous son parrainage.
Réunir, autour d’une thématique suffisamment large, les jeunes dix-neuviémistes (doctorants et jeunes docteurs), par-delà les frontières des écoles doctorales et des champs historiographiques : voilà ce à quoi aspirent les Rencontres du XIXe siècle, organisées par un comité issu de plus d’une dizaine d’institutions différentes. Avec justement, pour cette première édition, une réflexion autour de la rencontre, tant dans ses dimensions les plus concrètes que dans les sens métaphoriques qu’elle a pu revêtir au cours du XIXe siècle.
Petites et grandes rencontres du XIXe siècle
« Petites et grandes rencontres » : la distinction paraît datée, et fleure trop le choc de civilisations incommensurables, en même temps que le rejet pudique du corporel et de l’intime, pour paraître justiciable d’une véritable réflexion historienne. C’est, paradoxalement, ce qui impose de la mobiliser pour étudier le XIXesiècle, quitte à la prendre à rebrousse-poil. Car les hommes et les femmes de ce siècle, persuadé.e.s pour certain.e.s de vivre une époque parcourue d’amples lames de fond – depuis le souffle glorieux des idéaux de 1789 et la geste modernisatrice de la révolution industrielle jusqu’à la diffusion des utopies sociales et le progressif englobement colonial du monde –, thématisent eux-mêmes les grandes rencontres qui seraient au cœur de l’histoire : rencontre de la modernité, des cultures, des civilisations. Et c’est à leur époque que se joue la construction de cette sphère du personnel, de l’intime, où viennent se nicher la rencontre des corps et autres petites rencontres.
Le XIXe siècle peut donc être lu comme celui de “l’étagement” des rencontres, depuis celles où l’on ne rencontrerait que l’autre, dans ce qu’il a de plus intime, jusqu’à celles où se jouerait, par-delà l’identité des protagonistes, quelque chose de plus grand qu’eux. Aussi importe-t-il de prendre à bras-le-corps cette discrimination des rencontres entre petites et grandes, entre rencontres anodines, où rien ne se jouerait de grand, et rencontres investies d’une signification historique véritable ou supposée, érigées en choc des civilisations ou chargées de fédérer de vastes communautés. S’il ne veut pas se retrouver lui-même prisonnier de ces distinctions héritées du XIXe siècle – dont on sait combien il façonne encore nos manières de penser –, l’historien n’a d’autre choix que de les prendre elles-mêmes pour objet d’investigation. Toute une histoire du XIXesiècle s’est ainsi employée, dans le sillage de Michel Foucault, à réviser cette distinction : des travaux d’histoire du genre, notamment, ont su creuser ce qu’il y a de politique, de macro au creux même de la rencontre des corps ; tandis que l’étude des sexualités coloniales, d’Ann Laura Stoler au récent Sexe, race & colonies, s’est efforcée de réinscrire l’intime au cœur de la rencontre coloniale.
Remettre ces différentes formes de rencontre sur le même plan, c’est donc repenser le XIXe siècle à rebours des lectures qu’il a lui-même imposées de son histoire. Et, pour éviter de tomber dans le double piège d’une étude des rencontres qui occulte les corps, et d’une lecture qui ne voit plus qu’eux, pour dépasser en somme les petites rencontres comme les grandes, il importe de les ramener toutes à hauteur d’homme et de femme, à l’échelle d’une interaction ; c’est-à-dire, de leur appliquer les méthodes mises en œuvre par d’autres sciences humaines (et notamment la sociologie) pour penser ces situations de face à face. Il s’agit de retrouver dans la rencontre le lieu d’une mise en scène de soi et d’un déchiffrement de l’autre, ainsi que l’espace d’une négociation. De la réinscrire dans un espace : on ne se rencontre pas n’importe où, certains lieux sont dédiés à la rencontre et la forme que prennent les rencontres est en tout cas tributaire du cadre où elles viennent se lover (et n’est-ce pas un espace de rencontre indirecte que le papier des correspondances officielles, amoureuses ou commerciales ?). Dans une temporalité, aussi : une rencontre se prépare, s’organise, ou bien s’impose dans une soudaineté imprévue, puis se remémore et se narre, notamment quand elle endosse la forme rétrospective d’une première fois. Sans oublier les codes, les normes et les contextes de la rencontre, qui comptent autant que ses effets.
Cette approche à hauteur d’homme et de femme permet enfin de restituer, à condition de les manier avec prudence, une valeur heuristique à ces catégories de « grandes » et « petites » rencontres : on vit en effet une rencontre comme plus ou moins grande, significative, déterminante, on l’investit de charge émotionnelle, d’implications biographiques ou historiques, de significations. Est-ce la même chose que rencontrer le roi, un voisin, la guerre, la ville, la sexualité, la mer, le suffrage universel ou le tramway ?
Ces quelques termes, jetés pêle-mêle sans la moindre volonté d’inventaire ou d’exhaustivité, doivent seulement donner une idée du spectre large que recouvre ici la notion de rencontre(s) : le décloisonnement des mondes sociaux, celui qu’immortalisait Delacroix sur les barricades de 1830 comme celui des casernes de la conscription, y trouve tout autant sa place que la mise en relation accélérée des continents ; la rencontre des paysans français avec les enjeux politiques nationaux y côtoie les premières entrevues de diplomates occidentaux avec l’Empereur de Chine ; et l’organisation disciplinaire des rencontres savantes n’est pas plus étrangères à nos préoccupations que les formes renouvelées prises à la faveur des débats psychanalytiques par la rencontre des corps. C’est que cette journée, par-delà la réflexion qu’elle entend stimuler, aspire surtout à une autre rencontre : celle des jeunes dix-neuviémistes, doctorants ou jeunes docteurs, que leur dissémination en laboratoires et en champs disciplinaires empêche trop souvent de nouer un véritable dialogue, et de partager le fruit de leurs travaux et de leurs réflexions. C’est cet espace de discussion dix-neuviémiste que les « Rencontres du dix-neuvième siècle » se proposent de creuser.
Les Rencontres seront organisées à Paris (Maison de la Recherche, rue Serpente), sous le patronage de la Société de 1848, sur deux journées, les 19 et 20 juin 2019 : une première journée, sur le format d’une journée d’études, organisée autour du thème de la « rencontre » et une seconde matinée, plus méthodologique, où les participant.e.s seront invité.e.s, dans le cadre plus informel d’un atelier, à réfléchir ensemble aux questions de méthode afférentes au thème de la rencontre, et notamment aux archives mobilisables pour en retrouver les différentes dimensions et lui redonner vie. Le logement sera assuré de façon collaborative par les doctorant.e.s parisien.ne.s impliqué.e.s, et le repas du 19 juin au midi sera pris en charge, mais les frais de déplacement seront à la charge des participant.e.s et/ou de leur laboratoire de rattachement.
Les masterant.e.s sont invité.e.s pour leur part à nous envoyer, toujours sur le thème de la « rencontre », des posters en version numérique (au format A0), dont certains seront sélectionnés par le comité, et imprimés à nos frais, pour être affichés au cours des Rencontres.
Liste non exhaustive des thèmes et termes – non exclusifs les uns des autres – pouvant être abordés dans les communications :
Modalités de la mise en contact :
- Les supports de la rencontre : correspondances, traductions, discussions, duels, débats, transports, transferts, technologies.
- Rencontres demandées ou fortuites, directes ou indirectes, sans suite ou suivies, individuelles ou collectives, intimes ou publiques, officielles ou officieuses.
Lieux et temporalités de la rencontre :
- Les rencontres du lointain : voyages, exil, missions religieuses et ethnographiques, découvertes et explorations, campagnes militaires et champ de bataille.
- Les rencontres du quotidien : famille, ville, ruralité, quartier, cercles, salons, clubs, boutiques, expositions universelles, affaires, rencontres intimes.
Le regroupement d’agents mobilisés :
- Rencontres idéologiques, professionnelles, commerciales et scientifiques : confrontation, partage et diffusion des savoirs, des idées et des savoir-faire.
- Rencontres avec le Politique et l’État (administration, apprentissage de la compétition électorale, rencontres militaires ou diplomatiques, rencontres coloniales) et rencontres contre le Politique et l’État (mobilisations collectives, militantes, groupes de propagande, luttes non-conventionnelles, illégales, traite d’esclaves, piraterie, procès et rencontres juridiques).
MODALITÉS DE SOUMISSION
Les propositions de communication (de 2000 signes maximum) et les posters devront être envoyés à l’adresse rencontres19eme@gmail.com avant le 28 février 2019, accompagnées d’un court CV. Les propositions, comme les communications, peuvent être en français ou en anglais.
La liste des propositions retenues sera annoncée le 31 mars 2019.
Le colloque se tiendra à Paris les 19 et 20 juin 2019.
COMITÉ D’ORGANISATION
Lisa Bogani (Université Clermont Auvergne)
Lisa Castro (Université Toulouse Jean Jaurès)
Clément Fabre (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
Tatiana Fauconnet (École normale supérieure de Lyon)
Edoardo Frezet (Université Côte d’Azur)
Alexandre Frondizi (Université de Reims Champagne-Ardenne)
Anthony Hamon (Université Rennes 2)
Viera Rebolledo-Dhuin (Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines)
Nicolas Tardits (Université Paris Ouest Nanterre)
Pietro Giovanni Trincanato (Université Paris-Est Créteil et Università degli Studi di Milano)
Benoît Vaillot (EHESS / European University Institute / Université de Strasbourg)