CfP: Les collections patrimoniales ont-elles un avenir ?

Call for papers, deadline 16 December 2019 (in French)

Cet appel à proposition d’articles pour un numéro thématique de la revue Culture & Musées intitulé « Les collections patrimoniales ont-elles un avenir ? » est sous la direction de Daniel Jacobi, Avignon Université.

Argumentaire

Depuis le dix-huitième siècle ont été amassées, inventoriées, étudiées et cataloguées d’innombrables collections patrimoniales. Soigneusement stockées et conservées, et en partie exposées au public par des monuments, des archives, des bibliothèques et surtout des musées, elles représentent un fardeau envahissant et d’autant plus coûteux que, depuis une cinquantaine d’années, la patrimonialisation n’a cessé d’élargir son domaine d’action.

En France où elles sont, pour une grande partie d'entre elles dit la loi, inaliénables et imprescriptibles, et partout ailleurs dans le monde, quelle est donc leur utilité au moment où, du moins en apparence, seules les grandes expositions temporaires, réalisées à grand frais pour de courtes périodes, sont susceptibles d’attirer un public nombreux ? Les collections, notamment celles que les musées par principe (selon la définition jusqu'il y a peu consensuelle, diffusée par l’Icom) sont obligés de détenir, représentent-elles encore pour ces derniers un avantage déterminant ?

Dialectiquement, et même si cette proposition semblera à certains sacrilège, ne faut-il pas envisager de se défaire des collections ? Ou, comme on le fait dans une bibliothèque, de les « désherber » périodiquement en mettant au pilon des pans entiers de collections, des séries, ou de multiples exemplaires identiques devenus encombrants, démodés ou inutiles ? Les musées doivent-ils accepter sans discussion les legs des collectionneurs ou les collections des différents musées qui décident de fermer ?

Les collections sont au cœur des politiques patrimoniales et muséales. Mais on n’en parle qu’assez peu. Il aura fallu que la loi impose aux établissements labellisés « Musées de France » la production d’un projet scientifique et culturel (ou son renouvellement) puisque le volet scientifique concerne surtout la gestion des collections, pour que les responsables des musées soient contraints de retravailler cette ardente obligation.

Les chercheurs contemporains en muséologie, dès la période où ils se sont davantage centrés sur les publics et les médiations, ont cessé de s’intéresser aux collections : elles demeurent en arrière plan de la réflexion muséologique comme une sorte d’impensé ou de non-dit. Certes, les musées ont des collections, mais ce ne sont plus elles qui constituent le levier de leur réputation internationale et le fer de lance de leur politique culturelle en direction des publics.

Il faut cependant remarquer que l’univers des collections, sur le plan professionnel, a vécu deux petites révolutions. Il a d’abord été décidé qu’il était indispensable au XXIe siècle qu’elles soient numérisées afin que leurs listes - et les fichiers correspondants - soient mises en ligne ou versées dans des bases de données générales ou spécialisées. Et par ailleurs, à l’occasion de déménagements ou de rénovations, on a décidé de les transférer en sécurité dans des réserves le plus souvent aménagées dans de nouveaux bâtiments, dans l’idéal visitables. C’est, entre autres, le cas du CNAM ou du MUCEM, mais aussi du Museon Arlaten et son CERCO, de Confluences, du Schaudepot du Campus Vitra, et bientôt du Louvre. De facto, la numérisation des collections et la transformation des caves et greniers en réserves dûment climatisées sont les deux seules innovations qui ont traversé le monde clos et opaque des collections patrimoniales.

Pourtant, on observe un certain frémissement dans la vie et surtout la politique scientifique et culturelle des grandes institutions patrimoniales. C’est le cas notamment du musée du Louvre qui a délibérément réorienté sa politique d’expositions temporaires en privilégiant la mise en valeur de ses propres collections. Mais d’autres tendances viennent secouer ou malmener le monde des collections patrimoniales. Faut-il conserver tous les vestiges archéologiques mis au jour lors de fouilles dites de sauvetage qui se sont multipliées ? Comment intégrer dans les réserves les objets qui n’ont pas de matérialité ou de présence physique telles les performances de l’art contemporain ou les résultats de collectes de témoignages oraux conduites par les musées des sciences et des techniques ou ceux d’ethnologie ? Faut-il choisir, et si oui au nom de quelle politique, entre les collections nobles et dignes et celles qui, parce qu’elles sont sales, dangereuses, honteuses et indignes, ne le mériteraient pas ?

Nous sollicitons des contributions de professionnels et de chercheurs selon trois axes distincts :

Axe 1 Les recherches sur la gestion des collections

Sont attendues et souhaitées dans cet axe des propositions sur la gestion des collections, de la collecte au stockage et à la mise en sécurité en fonction de leurs caractéristiques intrinsèques. Le mouvement récent qui incite la population à coopérer a-t-il des effets sur la nature des collections ou leurs contenus ? Les questions de la numérisation, non pas en tant que technologie, mais parce qu’elle contraint à contrôler, revoir et reformuler les propriétés techniques et scientifiques des items collectionnés, sont également concernées. De même les tentatives de réalisation de collections sans recours à la mise en exposition sous la forme de catalogues, la mise à disposition d’interfaces conviviales (utilisables par des non spécialistes du domaine) ou d’une exposition virtuelle. Enfin, pourquoi certains secteurs de la culture résistent-ils à la collection : ainsi les films et les décors ne sont que peu collectionnés au motif qu’ils auraient toujours une valeur marchande ou d’usage supérieure. Quels en sont les effets en retour de ces innovations sur les collections ou la patrimonialisation ?

Axe 2 Les nouveaux usages des collections

Classiquement la collection assure deux rôles. Le premier, qui n'est pas le moindre, est d'être un puissant facteur de notoriété et par conséquent d'attractivité culturelle et touristique. Van Gogh, Gauguin, Léonard de Vinci, Klimt, Picasso ou Vermeer sont des stars indémodables. Il est donc indispensable qu'ils soient toujours mis en vue.

Le second, et il ne faut surtout pas l’oublier, relève de la mission éducative ou pédagogique, voire au-delà de la transmission de valeurs qui est assignée aux institutions patrimoniales. Et ce d’autant plus que les publics scolaires, dans de nombreux musées, sont la catégorie la plus importante de visiteurs. En outre, dans la plupart des enquêtes de publics, la motivation « apprendre » de beaucoup de visiteurs individuels reste importante. Or la collection, par sa permanence, permet de mettre en place des outils éducatifs plus riches que ceux réalisés pour les expositions temporaires : on investit plus et sur un plus long terme.

Les collections qui faisaient depuis longtemps l’objet d’un déficit d’attention ‒ autres que celles des musées des beaux-arts de la part des historiens d’art ‒, apparaissent dorénavant comme des ressources à exploiter. Par exemple, pour conduire des recherches originales sur la biodiversité et les espèces disparues (collections d’histoire naturelle et de paléontologie). Ou pour analyser et réexaminer des dépôts mal catalogués et non étudiés en profondeur avec des technologies récentes.

Elles représentent aussi des ressources sous la forme de prêt dans des institutions publiques ou des lieux d’enseignement. Ou encore pour servir de décor pour le cinéma ou la télévision. Certains artistes comme Annette Messagier les empruntent et les mobilisent pour des installations d’art contemporain et ainsi de suite…

La mise en valeur des fonds anciens est aussi un puissant vecteur d’étonnement et de renouvellement du contenu des expositions, sans oublier que ce sont des ressources concurrentes des bases commerciales d’images, très prisées des médias ou de l’édition papier. Les consultations à distance d’archives, de collections dûment vérifiées et indexées en langue naturelle deviennent des banques de données sans équivalent.

Axe 3 Les transformations de l’exposition permanente des collections

Il est d’usage de choisir dans les collections les chefs-d’œuvre, les spécimens les plus remarquables ou les plus représentatifs pour les présenter d’une façon permanente dans une exposition structurée et organisée selon une muséographie en accord avec les principes scientifiques consensuels des experts et des spécialistes du domaine. Cette tradition offre toutes sortes d’avantages. D’abord, elle facilite la reconnaissance du discours de l’exposition par les spécialistes et les connaisseurs. Mais c’est aussi un argument rassurant pour les visiteurs venus de loin et les touristes : ils sont sûrs de voir (ou revoir) sur place ce qui a motivé leur déplacement.

Pourtant, pour essayer de lutter contre la toute-puissance des expositions temporaires soutenues par une politique de communication agressive et efficace, plusieurs musées ont décidé de ne plus présenter d’exposition permanente ou de les renouveler régulièrement. Quel bilan peut-on dresser cette politique ?

Dans cet axe, on attend également des propositions à propos d’une tendance innovante en matière d’exposition. Au lieu d’exposer chaque objet-de-musée de façon isolée, sans document d’interprétation autre que la seule et traditionnelle étiquette autonyme, en laissant croire que le visiteur peut s’en délecter en se fiant à sa culture ou mieux à son « bon » goût, différents musées, un peu partout en Europe et ailleurs dans le monde, s’efforcent de les muséographier dans leur contexte historique et intellectuel.

Ainsi certains musées d’archéologie comme des musées d’art ont-ils décidé de mieux faire apparaître les beaux objets ou des œuvres cultes d’artistes mondialement renommés, non plus en majesté, mais en rapport avec leur contexte. Ce qui suppose de les accompagner de documents ou de résultats de travaux de recherche récents donnés à voir et à consulter aux publics avant ou après une pièce rare ou une œuvre célébrissime.

Conditions de soumission

Merci d’adresser vos propositions d’articles sous la forme de résumés (5000 à 7000 signes) par courriel à :

Daniel Jacobi (danieljacobi@orange.fr), avec copie à culture-et-musees@univ-avignon.fr et Marie-Christine Bordeaux (marie-christine.bordeaux@univ-grenoble-alpes.fr).

avant le 16 décembre 2019

Les résumés comporteront :

  • un titre,
  • 5 références bibliographiques mobilisées dans le projet d’article,
  • les noms, adresse électronique, qualité et rattachement institutionnel (université, laboratoire) de leur auteur.e., ainsi que des références bibliographiques pour chaque auteur.e (5 environ par personne)

Ils détailleront :

  • l’ancrage disciplinaire ou interdisciplinaire de la recherche,
  • la problématique,
  • le terrain ou le corpus,
  • la méthodologie employée
  • le cas échéant, une première projection sur les résultats

Calendrier

  • Octobre 2019 : diffusion de l’appel à propositions d’articles :
  • 16 décembre 2019 : réception des propositions (résumés)
  • Mi- janvier 2020 : réponses aux propositions (résumés)
  • Mi-avril 2020 : réception des textes complets
  • Mai-juin 2020 : expertise en double aveugle
  • Début septembre 2020 : réponses définitives aux auteur.e.s et propositions éventuelles de modifications
  • Novembre 2020 : réception des versions définitives
  • Novembre-décembre 2020 : début du processus éditorial
  • Juin 2021 : publication

Références bibliographiques

  • Baudrillard, J., « L’objet marginal – l’objet ancien », p. 103- 119, in Le système des objets, Gallimard, 1968.
  • Després-Lonnet, M., « La dématérialisation comme délocalisation du contexte interprétatif », Communication & langages, 173, p. 101-111, 2012.
  • Genette, G., Seuils, Seuil, 2002.
  • Haskell, F., La norme et le caprice ; redécouvertes en art : aspects du goût et de la collection en Fance et en Angleterre, 1789-1914, Champs, Flammarion, 1999.
  • Jacobi, D., « Exposition temporaire et accélération : la fin d’un paradigme ? », La Lettre de l’OCIM, 150, p. 15-24, 2013
  • Kaeser, M-A., « La muséologie et l’objet de l’archéologie ; le rôle des collections face au paradoxe des rebuts du contexte », Les nouvelles de l’archéologie, 135, p. 37-44, 2015.
  • Mairesse, F., « Le principe d’accumulation », à paraître
  • Melot, M., « L'art selon André Malraux, du Musée imaginaire à l'Inventaire général », In Situ, 1, 2001.
  • Pérec, G., Penser – classer, Hachette, 1985.
  • Pomian, K., « Collection : une typologie historique ». Romantisme, 112, La collection, p. 9-22, 2001.
  • Poulot,D., Une histoire des musées de France, XVIIIe-XXe siècles La Découverte, 2008.
  • Recht, R., Penser le patrimoine : mise en scène et mise en ordre de l’art, nouvelle éd. revue et augmentée, Hazan, 2008.
  • Tillerot, I., « Les enjeux de la collection au XXIe siècle », introduction, Museum International, 235, Sept 2007

Contact

Daniel Jacobi

danieljacobi@orange.fr

Avignon Université 74 rue Pasteur 84029 Avignon

Tel : 06 89 04 92 97

La revue Culture & Musées

Revue scientifique à comité de lecture, Culture & Musées publie des travaux de recherche inédits sur les publics, les institutions et les médiations de la culture. Les contributions, regroupées autour d’un thème ou une problématique, font de chaque livraison un ouvrage collectif chargé d’approfondir une question vive et qui est placé, à ce titre, sous la direction d’un scientifique spécialiste choisi par le comité de rédaction. Ce dossier thématique est accompagné d’une rubrique « Varia », accueillant des articles sur d’autres thèmes, proposés à la revue par leurs auteurs. En seconde partie, la rubrique « Travaux et notes de recherche » rend compte de recherches en cours, de travaux originaux (mémoires, thèses, études et recherches). La rubrique « Expériences et points de vue » présente des réflexions, livre des expériences, ouvre des débats sur des questions suscitées par l’évolution des savoirs et des pratiques. Dans « Lectures » sont présentés des comptes rendus de publications et « Visites d’expositions » propose de renouveler l’exercice de la critique dans une perspective muséologique. La revue s’adresse aux professionnels, aux chercheurs et aux étudiants, ainsi qu’à toutes les personnes intéressées par l’évolution actuelle du domaine des musées et de la culture.

Depuis 2010, la revue possède une dimension internationale puisqu'elle est indexée à l'INIST et sur les bases Arts and Humanities Citation Index et Current Contents/Arts and Humanities (Thomson Reuters). Elle est également indexée par l’HCERES et la section 71ème du CNU (Sciences de l’information et de la communication). Elle est publiée avec le soutien de la Direction générale du patrimoine – Département de la politique des publics du ministère de la Culture et de la Communication, du CNRS-InSHS et de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Direction

  • Eric Triquet, Avignon Université, directeur de publication
  • Marie-Christine Bordeaux, Université Grenoble Alpes, directrice de rédaction
  • Dominique Poulot, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, directeur de rédaction
  • Isabelle Brianso, Avignon Université, directrice-adjointe de publication

Comité de rédaction et de lecture

  • Pascale Ancel, Université Grenoble Alpes
  • Florence Andreacola, Université Grenoble Alpes
  • Serge Chaumier, Université d’Artois
  • Jacqueline Eidelman, conservatrice générale du patrimoine, École du Louvre
  • Catherine Guillou, Direction des publics du Centre Pompidou
  • Daniel Jacobi, Avignon Université
  • Emmanuelle Lallement, Université Paris 8
  • Joëlle Le Marec, Sorbonne Université
  • Jean-Marc Leveratto, Université de Lorraine
  • François Mairesse, Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3
  • Anik Meunier, Université du Québec à Montréal
  • Marie-Sylvie Poli, Avignon Université
  • Vincent Poussou, Direction des publics et du numérique de la Réunion des musées nationaux-Grand Palais
  • Anne-Catherine Robert-Hauglustaine, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Musée de l’air et de l’espace
  • Olivier Thévenin, Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3
  • Yves Winkin, Université de Liège

Comité scientifique international

  • Suay Aksoy, présidente de l’ICOM (Turquie)
  • José Azevedo, Université de Porto (Portugal)
  • Julie Bawin, Université de Liège (Belgique)
  • Howard S. Becker, San Francisco (États-Unis)
  • André Desvallées, conservateur général honoraire du patrimoine
  • Vera Dodebei, Université de Rio (Brésil)
  • John Durant, directeur du Musée Massachusetts Institute of Technology (États-Unis)
  • Emmanuel Ethis, Avignon Université (France)
  • Noémie Etienne, Université de Vienne (Autriche)
  • Jean-Louis Fabiani, Central European University (Vienne-Budapest)
  • André Gob, Université de Liège (Belgique)
  • Holger Höge, Université d’Oldenbourg (Allemagne)
  • Yves Jeanneret, Sorbonne Université (France)
  • Raymond Montpetit, Université du Québec à Montréal (Canada)
  • Françoise Rigat, Université de la Vallée d'Aoste (Italie)
  • Xavier Roigé, Université de Barcelone (Espagne)
  • Bernard Schiele, Université du Québec à Montréal (Canada)
  • Philippe Verhaegen, Université de Louvain-la-Neuve (Belgique)
  • Françoise Wasserman, conservatrice générale honoraire du patrimoine (France)
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