Travail et travailleur·se·s au Maghreb (XIXe-XXIe s.)
Journée d’étude
20 octobre 2020
Organisation : Annick Lacroix (IDHES, Paris Nanterre), Antonin Plarier (IREMAM, Aix-Marseille Université)
Cette journée d’étude a pour ambition de réunir des chercheuses et des chercheurs en sciences sociales s’intéressant à la question du travail dans le Maghreb du XIXe au XXIe siècle. Malgré le renouvellement stimulant des approches sur les sociétés coloniales, une histoire du travail au Maghreb reste encore à écrire. Contrairement à la France métropolitaine, rares sont les études qui ont cherché à établir le salaire moyen ou à définir le niveau de vie, même pour une période particulière ou une région donnée du Maghreb. Les catégories socio-professionnelles n’ont pour ainsi dire pas été retravaillées ni adaptées à la situation maghrébine, comme si le clivage binaire entre colonisateurs et colonisés suffisait à résumer toutes les hiérarchies de la réalité sociale. Si l’investissement fourni au cours des décennies 1960 et 1970 par l’histoire sociale a produit de belles enquêtes sur les populations rurales, les travaux sur les secteurs secondaires et tertiaires se sont centrés sur les syndicats ou les mobilisations ouvrières, présentant souvent la question sociale comme un préambule à l’engagement nationaliste[1]. Loin de refouler les conflits au travail, il s’agit désormais d’en comprendre les racines économiques et sociales ; de décrypter la manière dont les statuts juridiques et les hiérarchies de tous ordres s’articulent avec des inégalités de salaire et des formes de pénibilité du travail, pendant la colonisation mais aussi en amont et en aval de cette période.
Que sait-on des mines et des mineurs au Maghreb ou des travailleurs du rail ? Comment les rapports de domination liés au genre, à la classe, à la race s’expriment-ils dans la sphère du travail ? Plus généralement, quelles sont les modalités d’apparition d’un marché du travail au Maghreb et comment est-on passé d’une société de fellah-s à une population active de plus en plus salariée, urbanisée et féminisée ? Peut-on transposer à cet espace l’analyse du sociologue Robert Castel sur la mise en œuvre d’une société salariale en Europe occidentale[2] et quel rôle ont joué la colonisation et les migrations dans la structuration de ce marché du travail de part et d’autre de la Méditerranée ?
Cette journée vise à comprendre les processus originaux de développement d’un salariat coexistant avec d’autres formes de travail tout au long de la période considérée. À cet égard, la question du travail contraint – internements, ateliers de travaux publics, corvées, détachements pénitentiaires …–, qui ne se limite pas au XIXe siècle, pourrait être revisitée à l’aune de récentes études[3]. Des propositions de communication centrées sur des secteurs professionnels, des entreprises ou des lieux du travail salarié fourniraient autant d’éclairages bienvenus ; de même que les travaux qui chercheraient à saisir les populations au travail avec les outils les plus classiques de l’histoire sociale (enquête orale, méthodes quantitatives, exploitation des sources démographiques et des archives d’entreprise), assumant des questionnements sociologiques attentifs aux pratiques, aux trajectoires et aux interactions. On s’intéressera également aux rythmes et aux cadences auxquels les travailleur·se·s sont soumis, à leurs expériences professionnelles ordinaires, aux discriminations qu’ils et elles peuvent rencontrer.
La périodisation proposée enjambe volontairement le découpage classique de l’historiographie pour interroger dans la durée les mutations du travail dans les sociétés du Maghreb. Ce décloisonnement chronologique permet d’abord de prendre la mesure des continuités avec la période moderne et de rappeler que les populations maghrébines n’ont pas attendu la prise d’Alger en 1830 pour échanger, circuler et travailler[4]. De même, alors que la demande sociale est forte au Maghreb pour dresser un inventaire historique des indépendances, les travaux historiens manquent encore sur la seconde moitié du XXe siècle. Les contributions des sociologues, anthropologues, géographes ou politistes, qui les précèdent sur ce terrain, seront donc bienvenues pour nourrir des échanges interdisciplinaires durant cette journée.
Les propositions de communication, comprenant un titre provisoire et limitées à 3 000 signes espaces compris, sont à envoyer avant le 15 mars 2020 simultanément aux adresses suivantes : alacroix@parisnanterre.fr et antonin.plarier@gmail.com
[1] Emmanuel Blanchard et Sylvie Thénault, « Quel ‘‘monde du contact’’ ? Pour une histoire sociale de l’Algérie pendant la période coloniale », Le Mouvement Social, n° 236-3, sept. 2011, p. 3‑7.
[2] Élisabeth Longuenesse, Myriam Catusse et Blandine Destremau, « Le travail et la question sociale au Maghreb et au Moyen-Orient », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 105-106, 2005, p. 15‑43.
[3] Alessandro Stanziani, Le Travail contraint en Asie et en Europe, XVIIe-XXe s., Paris, MSH éditions, 2010.
[4] Isabelle Grangaud et M’hamed Oualdi, « Tout est-il colonial dans le Maghreb ? Ce que les travaux des historiens modernistes peuvent apporter », L’Année du Maghreb, 10, 2014, p. 233‑254. Alain Sainte-Marie, « Aspects du colportage à partir de la Kabylie du Djurdjura à l'époque contemporaine », Cahiers de la Méditerranée, hors-série n°1, 1976.