CfP: L’antiracisme à l’heure des mouvements Black Lives Matter et Rhodes Must Fall

Call for papers, deadline 30 November 2021 (in French)

 

Coordonnateurs du numéro

  • Cheikh Nguirane (Université des Antilles)
  • Steve Gadet (Université des Antilles)

Ce numéro de la revue Archipélies vise de façon générale à alimenter les réflexions sur l’antiracisme - thème qui cristallise de nombreuses interrogations - en réunissant des contributions ancrées dans les approches transnationales, panafricaines et/ou décoloniales. Il invite à porter un regard renouvelé sur les enjeux épistémologiques, les défis institutionnels et politiques de la lutte contre le racisme et donc sur les nouvelles dynamiques à l’œuvre dans les milieux politiques/académiques/militants et au sein des instances internationales.

 

Argumentaire

La conceptualisation de l’antiracisme dans le champ des sciences sociales révèle les différents enjeux épistémologiques et les défis institutionnels et politiques qui caractérisent sa difficile mise en œuvre, tant au niveau des instances gouvernementales que dans les sphères académiques et militantes. Depuis le début des années 1950, l’UNESCO mobilise d’éminents spécialistes dans la rédaction de textes scientifiques visant à définir un cadre opérationnel et juridique pour encourager les États à éradiquer le racisme structurel et les injustices sociales enracinées. Les mobilisations protéiformes des années 1960, notamment aux États-Unis, donnèrent lieu à une première adoption de mesures législatives et institutionnelles relatives à la lutte contre les inégalités structurelles historiquement héritées. Les décennies 1970-1980 inaugurent les actions anti-apartheid et le développement de politiques de gestion de la diversité dans bon nombre de pays d’Europe et d’Amérique du Nord – les initiatives antiracistes se concrétisent alors dans le cadre de législations antidiscriminatoires et de programmes développés par les collectivités locales et instances scolaires, conformément aux valeurs démocratiques libérales et en dehors du cadre des mobilisations des minorités ethnoraciales. Alors que l’antiracisme appelle à davantage de justice raciale, les tenants de ce que certains appellent le « mouvement du multiculturalisme » considèrent que les problèmes vécus par les personnes racialisées sont fondamentalement d’ordre culturel, et qu’une plus grande valorisation de la diversité culturelle permettrait de transformer la structure inégalitaire de la société et, par ailleurs, d’éviter le type de revendications survenues dans les années 1960.

 Au fil des années, l’antiracisme est devenu plus institutionnalisé – en se déployant dans tous les domaines relevant de droits fondamentaux tels que l’éducation, la santé, le logement, etc. Dans ce contexte, la lutte contre le racisme est passée des manifestations de rue aux formations proposées par les instances gouvernementales qui préconisent des solutions soigneusement élaborées pour s’attaquer au phénomène du racisme dans ses formes manifestes et non structurelles. De toute évidence, la croisade contre le racisme menée par les instances internationales et gouvernementales n’a pas suffi à instaurer des sociétés plus inclusives et à surmonter les divergences idéologiques et doctrinales au sujet des modalités de mise en œuvre de l’antiracisme. La Conférence mondiale de Durban (2001) organisée sous la houlette de l’UNESCO invitait encore les États et la communauté internationale à reconnaitre les séquelles de l’esclavage et du colonialisme (y compris les mutations du racisme) et à ainsi s’engager concrètement sur la voie de l’égalité et de la justice raciales. Loin de l’ère post-raciale que semblait annoncer l’élection historique de Barack Obama, tout comme en Afrique du Sud où l’élection de Nelson Mandela consacrait la fin du régime répressif de l’apartheid, nous assistons à la montée de mouvements politiques xénophobes et populistes dans toute l’Europe ainsi qu’en Amérique du Nord. La multiplication des preuves de violences policières à l’encontre des Noirs américains et l’émergence de formes particulières de racisme dans le monde entier sont le contrecoup des années dites « progressistes ». Tous ces phénomènes se sont produits dans un contexte de mise en œuvre de mesures d’austérité qui ont eu des conséquences disproportionnées sur les minorités racialisées, les migrants, et les réfugiés.

Vingt ans après Durban, il existe encore au sein des sociétés multiculturelles telles que les États-Unis, le Canada, la Grande-Bretagne ainsi que l’Afrique du Sud des décalages entre les expériences vécues des minorités raciales et la volonté des États à développer des mesures concrètes pour instaurer la justice sociale. En témoigne le rapport COVID-19, racisme systémique et manifestations mondiales (2020) du Groupe de travail d’experts des Nations Unies sur les personnes d’ascendance africaine qui souligne les enjeux majeurs en termes d’inégalités d’accès aux soins de santé et à la justice soulevées par les violences policièreset la pandémie de Covid-19. Qui plus est, la mort de George Floyd sous le genou d’un policier blanc à Minneapolis a mis sur le devant de la scène politico-médiatique les dimensions historique et structurelle des inégalités raciales aux États-Unis tout en suscitant une forte prise de conscience mondiale sur la nécessité de renouveler l’engagement militant et les valeurs antiracistes. La Grande-Bretagne, les provinces canadiennes (notamment l’Ontario et la Nouvelle-Écosse où résident les descendants de loyalistes noirs et de réfugiés de la guerre anglo-américaine de 1812), le Brésil et la Caraïbe (qui comptent une population importante d’afrodescendants) sont aussitôt devenus l’épicentre de manifestations en solidarité avec le Black Lives Matter, et dans la poursuite de leurs luttes locales contre le racisme et en faveur de la démocratie raciale.

Dans la foulée de la campagne baptisée « Rhodes Must Fall » lancée en 2015 par des étudiants de l’Université du Cap en Afrique du Sud, les statues glorifiant les figures coloniales et esclavagistes sont parallèlement prises pour cibles partout dans ces régions du monde. Les mouvements engagés dans cette lutte soulèvent tous la question du legs colonial. Ils suscitent une prise de conscience historique quant à ces questions et une reconnaissance des inégalités structurelles, des injustices et des hiérarchies raciales persistantes léguées par l’esclavage et le colonialisme. Face à l’ampleur des manifestations, plusieurs institutions, notamment les universités britanniques, ont entamé des discussions visant à retirer ou non les statues héritées du passé esclavagiste ou colonial, et à intégrer dans leur curricula plus d’auteurs issus des minorités ethnoraciales. Toutefois, six ans après la première manifestation de Rhodes Must Fall en Afrique du Sud, les campagnes remettant en question l’utilisation des espaces publics comme lieux de mémoire ainsi que la domination du canon occidental dans les sciences humaines et sociales se heurtent toujours au scepticisme et à la résistance.

Ce numéro de la revue Archipélies vise de façon générale à alimenter les réflexions sur l’antiracisme – thème qui cristallise de nombreuses interrogations – en réunissant des contributions ancrées dans les approches transnationales, panafricaines et/ou décoloniales. Il invite à porter un regard renouvelé sur les enjeux épistémologiques, les défis institutionnels et politiques de la lutte contre le racisme et donc sur les nouvelles dynamiques à l’œuvre dans les milieux politiques/académiques/militants et au sein des instances internationales. Nous sollicitons des contributions émanant des champs de l’histoire (des idées), la civilisation, les Black/Cultural Studies, la littérature, la sociologie, la science politique ainsi que la géographie des migrations pouvant permettre d’appréhender l’antiracisme dans toute sa complexité et son évolution. Si la priorité est donnée aux propositions qui s’inscrivent dans les axes ci-dessous, l’appel reste ouvert à toute étude traitant de questions connexes liées à l’antiracisme.

  • L’impératif de la lutte contre le racisme est constitutif des organisations antiracistes mais ces dernières agissent en fonction des contextes socio-politiques et des ouvertures institutionnelles dont disposent leurs acteurs. Au regard des vagues de mobilisation entrainées par les mouvements Black Lives Matter et Rhodes Must Fall, cet axe invite à porter un (nouveau) regard critique sur les politiques publiques de lutte contre le racisme, la portée et les effets tangibles des actions menées par les organisations internationales telles que l’UNESCO et l’ONU. Comment convertir au mieux la dynamique suscitée par les mouvements Black Lives Matter et Rhodes Must Fall en un changement significatif et durable ?
  • Dans son essai fondateur intitulé « La fin de l’antiracisme », Paul Gilroy démontre comment les orientations théoriques qui sous-tendent les mouvements antiracistes au Royaume-Uni, et donc leurs revendications, ont subi des transformations radicales entre l’après-guerre et l’établissement du consensus néolibéral dans les années 1980 – l’émergence d’un cadre conceptuel forgé par des professionnels de l’antiracisme qui entravent la mobilisation de masse en faveur d’une conception normative qui évince du débat les formes peu perceptibles du racisme qui imprègnent le fonctionnement des institutions et les interactions sociales. Nous encourageons ainsi des propositions qui explorent les tendances émergentes de la recherche sur l’antiracisme ainsi que les controverses sémantiques – en mettant l’accent soit sur l’antiracisme classique ou moral (souvent intégré dans le discours libéral) qui évacue toute perspective groupale ou raciale en faisant peser les inégalités sur les seuls individus, soit sur l’antiracisme différentialiste/militant qui s’inscrit dans une longue tradition de luttes pour l’égalité. Il serait aussi intéressant d’appréhender à la fois l’engouement universitaire qu’ont suscité les mouvements Black Lives Matter et Rhodes Must Fall ainsi que les tensions entre la recherche sur l’antiracisme et le militantisme antiraciste, deux sphères perçues comme étanches mais qui ne cessent de se croiser.
  • L’éducation, porteuse d’enjeux politiques et épistémologiques, est un espace privilégié pour comprendre les implications de l’antiracisme puisque c’est en son sein que se forgent, en partie, les représentations et les imaginaires. À la fin de son mandat, l’administration Trump a publié un décret interdisant la formation à la sensibilité raciale dans les instances gouvernementales et l’utilisation de fonds publics pour financer toute initiative antiraciste et programmes d’enseignement conçus à partir de la théorie critique de la race (Critical Race Theory) ou du projet curriculaire 1619 (1619 Project). Au Royaume-Uni, l’ancienne Commission pour l’égalité raciale est aujourd’hui rebaptisée Commission pour l’égalité et les droits de l’homme. En outre, le rapport (Mars 2021) du gouvernement de Boris Johnson sur la race et les disparités ethniques publié dans le sillage des manifestations Black Lives Matter partage les mêmes préoccupations que le rapport de la Commission 1776 de Trump (Janvier 2021) – s’opposant tous deux aux discours qui mettent en lumière les conditions sociales produites historiquement et qui sont à l’origine des inégalités contemporaines. Il serait intéressant de s’interroger à la fois sur les efforts et réticences des systèmes éducatifs à s’ouvrir aux courants antiracistes critiques ou à intégrer les expériences réelles des groupes ethno-raciaux. Enfin, quelles sont les mesures éducatives à promouvoir pour l’instauration d’une nouvelle ère de justice sociale ?
  • L’indifférence face aux manifestations de racisme n’étant plus une option, de nombreuses entreprises et institutions américaines et ailleurs, ainsi que des célébrités, se sont empressées de proclamer leur soutien à Black Lives Matter en adoptant une forme d’activisme (antiraciste) performatif. L’antiracisme est devenu, grâce au pouvoir des réseaux sociaux, un badge d’honneur pour les entreprises désireuses de soigner leur image de marque dans le cadre de cette nouvelle normalité américaine émergente. Le flot de promesses et de déclarations antiracistes de grandes entreprises s’est souvent accompagné de dons aux organisations traditionnelles de défense des droits civiques telles que la NAACP, et d’autres groupes luttant contre les inégalités raciales. Cet axe invite à s’interroger sur les récupérations politiques, les pièges de la société capitaliste et les stratégies d’édulcoration des discours antiracistes. En d’autres termes, comment les mouvements/organisations antiracistes contemporains intègrent l’héritage intellectuelle de la contestation noire ?

Calendrier

  • Les propositions de résumé (environ 800 mots) comprenant un titre, des mots clés, et une courte biographie de l’auteur devront parvenir à l’adresse suivante : ua@gmail.com

au plus tard le 30 novembre 2021.

  • Les premières versions des articles retenus (entre 30 000 et 70 000 signes, espaces inclus) seront attendues pour le 25 mars 2022.
  • Publication : courant Juin 2022.
  • Langues de rédaction : Les articles peuvent être rédigés dans les trois langues acceptées par la revue Archipélies : français, anglais et espagnol.

Comité scientifique

  • Philippe Howard, Concordia University
  • Audrey Célestine, Université de Lille
  • Maboula Soumahoro, Université de Tours
  • Valentina Migliarini, University of Birmingham
  • Babacar Dieng, Université Gaston Berger
  • Didier Destouches, Université des Antilles
  • Ibra Sène, The Wooster College
  • Jaime Aragon Falomir, Université des Antilles
  • Babacar Faye, HUMA, South Africa
  • Daniel Joseph, DePauw University

Bibliographie

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Célestine, A. & Martin-Breteau, N. (2016). Un mouvement, pas un moment » : Black Lives Matter et la reconfiguration des luttes minoritaires à l’ère Obama. Politique américaine, 28, 15-39. https://doi.org/10.3917/polam.028.0015.

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