CfP: Travail, classes sociales et politiques publiques. Histoire et sociologie du capitalisme marocain

Call for papers, deadline 15 January 2022 (in French)

Appel à communication

 

Travail, classes sociales et politiques publiques

Histoire et sociologie du capitalisme marocain

 

Journées d’étude du Centre Jacques Berque

organisée par Antoine Perrier (CNRS, IREMAM, Aix-en Provence)

et Scott Viallet-Thevenin (Université Mohammed VI Polytechnique, Rabat)

 

Lieu : Centre Jacques Berque, Rabat

Date : lundi 30 mai 2022

 

La société marocaine est souvent associée à une série d’oppositions qui fondent son « dualisme », d’après l’expression du politologue Omar Saghi : entre démocratie et autoritarisme, puissante bourgeoisie et peuple pauvre, culture occidentalisée et conservatisme religieux, ports et montagnes, villes et campagnes. Au-delà de ces oppositions, la persistance de son système politique monarchique et d’un apparent consensus social frappent les observateurs des dernières décennies. Dans une perspective historique, l’isolement du Maroc, préservé de la domination ottomane, sa composante amazighe et la particularité de son régime politique chérifien nourrissent aussi son originalité.

 

En 2001, Abdallah Hammoudi estimait que la variable économique était insuffisante pour comprendre la stabilité du système marocain compte tenu de la « patience » des classes défavorisées : les évènements de 2011 ont pu donner le sentiment de contredire cette tolérance perpétuelle du dualisme marocain, suscitant ainsi une multiplication des travaux sur les conflits sociaux. Après 2011, la monarchie, sans déployer un investissement réel dans la correction des inégalités, a paru de nouveau absorber, dans sa longue tradition, les innovations dangereuses, renouant avec un équilibre qui fascine, depuis la période coloniale, anthropologues, historiens et juristes. Pour nuancer cette impression, politistes et sociologues ont offert une réflexion sur la diversité des mobilisations de la société marocaine face aux inégalités, les façons dont le pouvoir les légitime, le désengagement et la faible institutionnalisation de l’État social. Mohamed Tozy et Béatrice Hibou proposent enfin de se libérer des approches binaires par le feuilletage d’expériences sociales et politiques, saisies à travers l’imaginaire de l’État. 

 

Cette journée d’études, première étape d’un projet de recherche collectif, tout en poursuivant le même objectif d’un tableau moins manichéen de la société marocaine, propose d’emprunter un angle différent. Les travaux qu’elle réunira s’intéresseront, à partir d’une démarche empirique fondée sur des données sociologiques et historiques, à la production des richesses et à leur répartition sous l’angle du travail, des hiérarchies sociales, des mobilisations sociales et des politiques publiques. Cet intérêt porté aux origines des inégalités et à leurs dynamiques contemporaines voudrait tout d’abord aboutir à de nouvelles études autour de mutations sociales encore mal connues pour le Maroc : l’essor discuté d’une société salariale, une urbanisation sélective, les formes contradictoires de segmentation sociale, la naissance heurtée d’une classe moyenne, les mobilités sociales et géographiques. L’association entre histoire et sociologie permettra de comprendre et de nuancer le passage théorique d’une société d’ordre, où l’individu est déterminé par une appartenance (tribale, confrérique, lignagère…) à une société atomisée, mal insérée dans le capitalisme international, jugée « en retard » au regard de standards empruntés aux économies européennes.   

 

Ce faisant, les perspectives ouvertes par cette journée voudraient dépasser le paradigme du « rattrapage », qui considère le Maroc comme un pays rural, où le marché de l’emploi informel empêche la diffusion d’un salariat véritable et où les liens hiérarchiques, par le clientélisme ou la famille, sont souverains en matière économique. Il ne s’agit pas, pour autant, de nier les forces conservatrices qui travaillent la société marocaine, mais, pour éviter de les réduire à un modèle trop invariable, elles seront historicisées et surtout rapportées à l’échelle des individus. La journée voudrait particulièrement mettre en valeur les stratégies des individus face au marché de l’emploi, à la mobilité sociale et géographique, à leurs relations avec l’État pour mesurer le poids de l’interconnaissance et ses limites dans le cadre de l’économie marocaine contemporaine.   

 

Cette journée d’études vise à accueillir les enquêtes achevées ou en cours, fondées sur des corpus inédits (enquêtes de terrain, archives, données quantitatives, etc.) autour de cas pour fédérer les recherches au Maroc, en France et en Espagne en particulier sans exclure d’autres pays. Il s’agit à la fois de donner une visibilité, en les associant dans une démarche d’ensemble, aux travaux accomplis ces vingt dernières années sur les relations économiques et sociales au Maroc en ce début de décennie 2020, tout en identifiant les chantiers de recherche à partir de ses données.  

 

Tout en se concentrant sur le Maroc, cette journée pourra accueillir des propositions comparatives sur des thèmes équivalents avec la Tunisie, l’Algérie, la Mauritanie, la Libye dans le cadre d’un « grand » Maghreb, ou avec d’autres pays du Moyen-Orient d’une manière ponctuelle. 

 

Axes suggérés de la journée

 

Cette journée propose trois grands axes, sans prétendre à l’exhaustivité thématique :

 

a-     Le travail. Cet axe consiste à prolonger des réflexions en cours autour de l’essor du salariat, du système informel, et de la législation sociale, en inscrivant le travail dans un environnement large. Il s’agit de prolonger les intuitions de Paul Pascon : le travail salarié n’est pas la seule fonction sociale possible dans une société où la négociation interindividuelle, les soucis de statut social et les diverses formes de solidarité organisent un espace social dont le problème essentiel ne se résume pas au « sous-emploi ». Les propositions peuvent se pencher, à titre indicatif, sur un des thèmes suivants :  

  • Les formes anciennes du salariat agricole, la généralisation du salariat industriel puis tertiaire et ses particularités marocaines
  • Les statuts juridiques de la relation professionnelle et les moyens de formalisation (droit écrit, droit coutumier, contrats oraux, rôle de l’interconnaissance)
  • Temporalités du travail (au sein de la journée, de la semaine, de l’année), formes de polyactivité en milieu rural, les relations entre les individus et la conjoncture économique.
  • Travail et migration professionnelle (définitive, provisoire) entre villes et campagnes
  • Travail féminin dans toutes ses dimensions et les transformations du rôle des femmes au sein des familles, de la société locale, de la vie économique
  • La naissance du chômeur et les moyens d’intégration du marché du travail : mobilisation des capitaux personnels, du réseau d’interconnaissance, pour trouver et conserver un emploi
  • Les rapports entre travail et environnement social : le lien entre désaffiliation et chômage, entre rang social et activité professionnelle, les formes d’autorité que donnent ou non le travail

 

b-     Les hiérarchies sociales : l’impression d’immobilité de la société marocaine viendrait de son organisation historique en ordre (chorfas, oulémas, notables ruraux, bourgeoisie urbaine et une masse plus indistincte de pauvreté) qui résisterait aux changements économiques. Cette journée voudrait proposer des approches plus dynamiques de la segmentation sociale à partir de la question des ressources :

  • L’existence discutée d’une classe moyenne (émergence, morphologie)
  • Les multiples définitions de l’identification sociale entre possession de différentes formes de capitaux, sentiment d’appartenance, superposition de critères économiques avec des affiliations locales, tribales, confrériques, etc.  
  • Les hiatus possibles entre richesse économique et statut social et leur dynamique
  • Le rôle du système éducatif dans la recomposition des classes sociales
  • Les définitions et les manifestations de la pauvreté (économique, sociale) et son économie morale (qui est digne d’être aidé, par quels moyens, quels acteurs, quelles formes historiques et contemporaines de la charité etc.)
  • Les mobilités sociales voulues ou subies : déclassement, ascension sociale, disqualification sociale et marginalisation, etc.

 

c-     La place de l’État :  le Makhzen est souvent perçu comme une entité à la fois puissante et séparée de la société qu’il contrôle. L’omniprésence de l’État en matière politique aurait pour corollaire sa disparition dans la répartition des richesses, résumée à des formes à la fois centrales et diffuses de clientélisme. Cet axe voudrait s’intéresser aux moyens possibles de négociation et de transaction qui peuvent exister au-delà de la symbolique de la violence et de la servitude :

  • Histoire des politiques sociales de l’État marocain
  • Pensée et stratégie économique du Makhzen, de l’État colonial puis de l’État marocain, au-delà de son rôle de grand propriétaire
  • En dehors de l’économie patrimoniale ou de l’économie de rente, intervention de l’État dans la production de richesse ou leur répartition (transferts sociaux, législation sociale, législation du travail)
  • Mobilisation et réclamation des sujets marocains pour solliciter une intervention de l’État ou au contraire pour s’en défendre
  • Rôle des intermédiaires économiques (syndicats, entrepreneurs, professions organisées, corporations) dans les relations entre l’État et l’économie

 

 

Modalités de soumission et organisation pratique

 

Les propositions de communication doivent être adressées sous la forme suivante avant le 15 janvier 2022 :

-               Titre et résumé d’environ une page

-               Nom, prénom, affiliation et fonction de l’auteur

-               Adresse mail de contact

Elles doivent être envoyées à l’adresse suivante : jetravail.centrejacquesberque@gmail.com

 

La journée aura lieu le lundi 30 mai à Rabat, au Centre Jacques Berque (35 avenue Tariq Ibn Ziyad, Rabat, 10020).

Dans la limite des financements disponibles, les frais des participants pourront être pris en charge.

 

 

Bibliographie indicative

 

 

Muḥammad Astītū, Al-faqr wa-al-fuqarāʾ fī Maġrib al-qarnayn 16 wa-17 m. [La pauvreté et les pauvres au Maroc aux 16e et 17e siècles], Oujda, Muʾassasa al-naẖla li-l-kitāb, 2004.

 

Albert Ayache, Le mouvement syndical au Maroc, 3 vol., Paris, L’Harmattan, 1982-1993

 

Irène Bono, Béatrice Hibou, Hamza Meddeb, Mohamed Tozy (dir.), L’État d’injustice au Maghreb. Maroc et Tunisie, Paris, Karthala, 2015

 

Myriam Catusse, Le temps des entrepreneurs ? Politique et transformations du capitalisme au Maroc, Tunis, IRMC, 2008

 

René Gallissot, Le patronat européen au Maroc (1931-1942), Rabat, éditions techniques nord-africaines, 1964

 

Abdallah Hammoudi, Maîtres et Disciples, Paris/Rabat, Maisonneuve et Larose, Toubkal, 2001

 

Béatrice Hibou, Irène Bono (dir.) Le gouvernement du social au Maroc, Paris, Karthala, 2016

 

Béatrice Hibou, Mohamed Tozy, Tisser le temps politique au Maroc. Imaginaire de l’État à l’âge néolibéral, Paris, Karthala, 2020

 

Rémy Leveau, Le Fellah marocain, défenseur du trône, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1985

 

Nicolas Michel, Une économie de subsistances. Le Maroc précolonial, Le Caire, Institut français d’archéologie orientale, 1997

 

Omar Saghi, « Une exception marocaine ? », Les Cahiers de l'Orient, vol. 107, n°3, 2012/3, p. 151-153

 

Daniel Schroeter, Merchands of Essaouira. Urban Society and imperialism in southwestern Morocco, 1844-1886, Cambridge, Cambridge University Press, 1988

 

Aḥmad al-Tawfīq, , Al-muǧtama‘ al-maġribī fī-l-qarn al-tāsi‘ ‘ašr [La société marocaine au XIXe siècle], Rabat, Publications de la faculté des lettres et sciences humaines de Rabat, 2011

 

Paul Pascon, « Segmentation et stratification dans la société rurale marocaine », Bulletin économique et social du Maroc, n° 138-139, 1979, p. 105-119

__, Le Haouz de Marrakech, Rabat, éditions marocaines et internationales, 1983

Posted