Depuis leurs indépendances, et tout particulièrement au début du XXe siècle, les pays d’Amérique latine se sont caractérisés par une forte tension entre des régimes libéraux représentatifs et des régimes oligarchiques et autoritaires. Des caudillos aux dictateurs éclairés de la fin du XIXe, en passant par les expériences qu’on pourrait qualifier de populistes, l’Amérique Latine a vu l’émergence de ces hommes forts, bien souvent chefs militaires dans la région, dominant et exerçant leur pouvoir avec l’appui des forces armées lesquelles ont eu recours à des méthodes brutales niant par-là même la notion d’habeas corpus. Mais ils s’appuient et intègrent également dans leurs rangs des civils grâce à des liens clientélistes ou un système prébendier. Cette alliance a souvent été appelée « césarisme démocratique » (Vallenilla Lanz) ou « dictature démocratique » (Joseph Barthélémy) pour désigner les républiques d’Amérique latine du début du XXe, car ces régimes forts ont souvent été dirigés par des personnalités relativement instruites, cultivées et engagées dans la notion d’état moderne. Plusieurs exemples pourraient illustrer ces expériences : la dictature de Juan Vicente Gómez au Venezuela (1908-1935) ; la dictature de Federico Tinoco au Costa Rica (1917-1919) ; la dictature d’Augusto B. Leguia au Pérou (1919-1930) ; la dictature de Gerardo Machado à Cuba (1924-1933), la dictature de Carlos Ibañez del Campo au Chili (1927-1931) et Vargas au Brésil (de 1930 à 1945, avec le cadre autoritaire de l’Estado Novo de 37 à 45). Semblablement, on voit à nouveau émerger des gouvernements militaires dès l’après-guerre. Ainsi, dans les années 50, une nouvelle forme de régime militaire s’installe dans la région. Ces régimes reposent sur des personnalités soutenues par l’institution armée et même directement issues de ses rangs, qui développent des politiques industrielles, se déclarent favorables à l’investissement étranger, à la propriété privée comme moteur de développement et à l’établissement de relations étroites avec les États-Unis, mettant ainsi en œuvre une “modernisation conservatrice”. On pourrait citer entre autres, le régime de Marcos Pérez Jiménez au Venezuela (1948-1958), le régime d’Alfredo Stroessner au Paraguay (1954-1989), le régime de Gustavo Rojas Pinilla en Colombie (1953-1957) et le régime du Général Manuel Odría au Pérou (1948-1956).
Il en va de même dès le début des années 60 dans le contexte de Guerre froide, où l’Amérique latine est le théâtre de multiples coups d’état, souvent orchestrés par les États-Unis dont elle constitue la zone et d’influence et d’intervention, sous forme de la lutte contre l’ennemi communiste dans le continent. Les exemples les plus représentatifs de ces régimes étant Videla en Argentine (1976-1981) et Pinochet au Chili (1973-1990). Ainsi, l’Amérique latine offre un spectre très riche pour l’étude de ces régimes.
Par ailleurs, depuis les années 90, l’étude de ces régimes militaires, notamment les dictatures de Vargas au Brésil, de Pinochet au Chili et de Videla en Argentine, ont été particulièrement source d’intérêt, comme en témoignent les recherches historiographiques, surtout attachées à l’opposition entre dictature et culture –la littérature, l’art, l’humour, le cinéma- mais aussi sur les aspects répressifs de la dictature, la violation des droits de l’homme, la justice transitionnelle, la liberté d’expression et de la presse, entre autres aspects.
En revanche, la problématique liée à l’analyse du fonctionnement de l’état et des productions de sa bureaucratie sous les dictatures militaires, la matérialité de ces régimes a été très peu travaillée concernant les régimes les plus connus (Argentine, Brésil et Chili) et quasiment pas étudiée pour la plupart des autres régimes dictatoriaux de l’époque comme le Venezuela, le Paraguay, la Colombie, le Pérou, le Nicaragua, la Bolivie, le Panama, le Guatemala, entre autres. En dépit de la diversité des travaux qui ont abordé diverses dimensions de ces régimes dictatoriaux, de nombreux angles morts demeurent et rares sont les études qui abordent cette notion de matérialité de l’Etat sous la dictature.
Cette journée d’étude vise donc à explorer les différentes facettes de la matérialité de l’État dans les régimes autoritaires d’Amérique Latine de 1908, date de la prise du pouvoir du Général Juan Vicente Gómez au Venezuela, à 1989, date de la chute du régime d’Alfredo Stroessner au Paraguay, afin d’offrir des clés d’explication peu explorées concernant la physionomie de ces régimes mais aussi leur longévité qui ne peut être le seul fait de l’homme fort auquel ils sont souvent rattachés.
Les communications pourront aborder cette question sous l’angle du droit (législation, cadre juridique), du déploiement institutionnel ou de la modernisation de l’État et de ses institutions (création ou organisation d’une armée nationale, programmes éducatifs, de santé publique, d’infrastructure, entre autres), des dynamiques internationales (relations internationales), du rôles des fonctionnaires, des agents de l’État et des responsables de la gestion gouvernementale au quotidien, mais aussi des vecteurs de visibilité et de matérialité de ces régimes dans l’espace national, des pratiques commémoratives et de la construction d’un récit national, ou encore du rôle de l’État (État corporatiste, État social-bureaucratique, État développementaliste, État bureaucratique-autoritaire), mais aussi des modalités de la mise en place de leurs projets politiques.
Modalités de soumission
Les communications pourront s’effectuer en français, espagnol, portugais ou italien.
Les propositions, qui comprendront un résumé et un bref CV, sont à adresser à :
31 mars 2022 : date limite d’envoi des propositions de communication
30 juin 2022 : notification des propositions retenues
21 octobre 2022 : journée d’étude à l’université de Lille
Organisateurs
- Jean-François Lagu (Doctorant - Univ. Lille, ULR 4074 CECILLE)
- Carlos Garcia Macias (Doctorant - Univ. Lille, ULR 4074 CECILLE)
Comité scientifique
- Véronique Hébrard: Professeure d’histoire et civilisation de l’Amérique latine contemporaine, Directrice adjointe de l'ULR 4074 Cecille. Responsable du Master Etudes ibériques et ibéro-américaines. Membre associée UMR 8168 Mondes Américains
- Jean-François Lagu (Doctorant - Univ. Lille, ULR 4074 CECILLE)
- Carlos Garcia Macias (Doctorant - Univ. Lille, ULR 4074 CECILLE)