Colloque à l’Université de Lorraine, Metz, 15-17 janvier 2026
Ce colloque propose d’étudier les formes d’émergence, de structuration et de régulation des marchés du travail intellectuel en France, en Allemagne et plus largement en Europe et à l’international, entre le milieu du XVIIIe et le milieu du XXe siècle. L’objectif est de proposer une approche variée, d’histoire sociale et politique, mais aussi économique et culturelle pour comprendre les luttes de définition autour de ce qu’est une profession intellectuelle, les débats autour de l’ouverture ou au contraire de la fermeture des carrières ou encore les mécanismes d’économisation du travail intellectuel afin d’enrichir l’étude historique des conceptions qu’avaient les contemporains des années 1750-1940 du marché du travail intellectuel.
Argumentaire
L’histoire des intellectuels comme groupe social, de plusieurs professions intellectuelles, des carrières universitaires ou encore des savants et travailleurs de la science, constitue un domaine historiographique varié et riche, pouvant se prévaloir de plusieurs décennies de travaux. L’histoire du marché du travail intellectuel s’inscrit dans ces processus d’émergence et d’affirmation des « professions », de redéfinition du rôle de l’éducation (supérieure) dans les trajectoires sociales et de la place de l’université et du savoir dans la société. Cette histoire du marché du travail intellectuel, sur la longue durée du XVIIIe au XXe siècle, de ses modalités d’émergence, de sa structuration et des formes de sa régulation restent toutefois encore largement à étudier et à écrire.
Cette manifestation scientifique a pour finalité de développer ce champ de recherche en faisant dialoguer des chercheuses et chercheurs en histoire et dans d’autres sciences humaines et sociales. Sa première ambition est la présentation et la discussion, lors du colloque, de recherches nouvelles issues de travaux individuels. Les organisateurs ambitionnent par la suite de développer à l’issue de ce colloque un groupe de recherche collectif.
L’objectif est de proposer une approche variée, d’histoire sociale et politique, mais aussi économique et culturelle, qui permette de relier des champs de recherche directement connectés mais le plus souvent séparés dans l’historiographie (enseignement supérieur ; professions ; collectifs de pensée ; travail ; politiques publiques notamment ici du marché de l’emploi ; mouvements sociaux, ici de travailleurs intellectuels qui se regroupent en associations professionnelles et en syndicats, etc.) afin de comprendre comment s’est imposée la logique de marché au milieu intellectuel. Cette manifestation favorise des études sur la France et l’Allemagne, en donnant une importance centrale aux analyses comparées et/ou de connexions et de transferts et entre les deux pays, entre les années 1750 et 1940. Les organisateurs souhaitent également inscrire l’espace franco-allemand dans un cadre européen et international plus large, grâce à l’analyse d’organisations supranationales, de réflexions ou mobilités individuelles ou collectives, ou encore de congrès internationaux.
C’est à la fin des années 1930 que l’expression « marché du travail intellectuel » commence à être réellement employée, par les spécialistes de questions universitaires et d’emploi intellectuel, qui s’inquiètent du devenir professionnel des jeunes diplômés dans un contexte de « chômage intellectuel ». Mais dès le milieu du XVIIIe siècle, alors que les cursus et formations menant à des professions – dans l’administration et au-dehors – sont en construction et que des clubs et sociétés se réunissent, de manière formelle ou non, pour mettre en contact relais institutionnels, entrepreneurs et savants ou techniciens en recherche d’emplois et de partenaires, les enjeux de la demande et de l’offre d’emplois nécessitant des savoirs particuliers touchent particuliers, communautés et pouvoirs publics à l’échelle régionale, nationale et même transnationale.
Pour lancer et enrichir l’étude historique des conceptions qu’avaient les contemporains des années 1750-1940 du marché du travail intellectuel en France ou en Allemagne, les communications du colloque traiteront notamment des questions et thématiques suivantes :
- À partir de quand et comment l’emploi « intellectuel » a été traité dans une logique de « marché », concurrentiel, et plus ou moins régulé ? La problématique de l’adéquation entre formation et emploi intellectuels n’est pas nouvelle : des craintes sur la « surproduction » de diplômés sont exprimées en Europe dès l’époque moderne et le « prolétariat intellectuel » est dénoncé par de nombreux auteurs au cours du XIXe siècle. Qui promeut une régulation de ce marché et à quelle échelle ? Quels sont les promoteurs, les acteurs et les résistants de l’ouverture de ces marchés à la concurrence nationale ou internationale, les finalités qu’ils poursuivent, les obstacles qu’ils rencontrent ? Selon quelles modalités, changeantes selon les époques, s’opère la connexion entre deux ou plusieurs marchés du travail nationaux, dans des contextes de circulations choisies ou subies, encouragées ou entravées ? Retrouve-t-on une production législative et juridique dans ce domaine similaire entre France et Allemagne ou d’autres pays ? Quels effets ces aspects ont-il produit sur les carrières et la construction de groupes professionnels ? On peut penser ici notamment à la lutte contre le charlatanisme par les médecins à partir du XIXe siècle et la revendication de normes et restrictions plus fortes pour l’accès aux professions médicales. La limitation de l’accès à certaines professions aux seuls ressortissants nationaux et les débats, notamment parlementaires ou au sein des communautés professionnelles, que cette demande a produit sont une autre piste d’exploration possible.
- Quelles sont les évolutions significatives dans ce qui est défini comme « emploi intellectuel » ? Quels sont les lieux où ces définitions du travail intellectuel sont promues et débattues (revues professionnelles, culturelles/littéraires, généralistes ; institutions de définition de la légitimité intellectuelle et savante…) ? Quelles sont les institutions en capacité de négocier et de faire accepter ces définitions ? Selon quels critères cherchent-elles à définir le travail intellectuel ? Quels sont les experts amenés à se prononcer pour produire ces définitions ? Des réseaux particuliers parviennent-ils à investir de manière privilégiée ces marchés du travail intellectuel ainsi définis et structurés, à exiger leur régulation ou à tirer profit de réformes envisagées et mises en œuvre ? Quelles sont les frontières du « travail intellectuel » (emploi artistique, emploi technique qualifié…) dans les années 1750-1940, et dans quelle mesure les regards croisés entre pays contribuent-ils à les faire évoluer ou les consolider ? Ces questions permettront, là aussi, de traiter des effets de ces luttes de définition sur les positionnements professionnels au sein d’un champ donné.
- Le sujet pourra également être abordé d’un point de vue de la terminologie usitée. Comment s’est imposée l’expression « marché du travail intellectuel » et ses équivalents dans d’autres langues ? Quelles ont été les expressions antérieures, parallèles ou concurrentes (« marché des talents »…) ? Comment toutes ces appellations circulent-elles entre les espaces nationaux et linguistiques ? Quels lieux et moyens sont privilégiés pour confronter les conceptions et définitions du marché du travail intellectuel, au sein d’un espace local, national ou supranational (sociétés savantes, syndicats professionnels, organisations internationales, revues et autres publications…) ?
Ces questions seront traitées dans le cadre de quatre panels : 1) Émergences du marché du travail intellectuel en contexte national et transnational ; 2) Expertises et régulations du marché du travail intellectuel ; 3) Carrières intellectuelles et construction des groupes professionnels sur le marché du travail ; 4) Le marché du travail intellectuel comme espace de conflits.
Modalités de soumission
Les propositions de communication, d’environ 300-500 mots, répondront directement à l’une ou plusieurs des questions et thématiques mentionnées et mentionneront leur possible l’inscription dans un ou plusieurs des quatre panels. Elles doivent être accompagnées d’un CV (liste de publications incluse). Proposition et CV doivent être envoyés en un seul document PDF à l’adresse suivante : coll.mti.iam [@] gmail.com,
avant le 4 mai 2025.
Les jeunes chercheuses et chercheurs (doctorant·e·s, post-doctorant·e·s…) sont tout particulièrement invité·e·s à soumettre une proposition de communication.
Les langues française et allemande seront utilisées à titre principal, de manière égale, chacun pouvant décider de parler dans sa propre langue ou dans l’autre. Nous accepterons l’anglais pour les participants ayant un niveau linguistique plus limité dans l’autre langue afin de faciliter les discussions ; ou pour, éventuellement, selon les propositions en réponse à cet appel à communications, intégrer des chercheurs d’autres espaces linguistiques.
Informations utiles
- Les frais de transport et d’hébergement seront, dans la mesure du possible, pris en charge par les organisateurs.
- Pour toute question, vous pouvez vous adresser au comité d’organisation à l’adresse mail indiquée.
Comité scientifique et d’organisation
- Antonin Dubois, MCF en histoire contemporaine, Université de Lorraine, UFR SHS Metz
- Daniel Fischer, MCF en histoire moderne, Université de Lorraine, INSPE Sarreguemines
- Joëlle Weis, directrice du domaine de recherche « Littérature numérique et sciences culturelles » au Trier Center for Digital Humanities, Universität Trier
- Tobias Winnerling, coordinateur d’études et Privatdozent en histoire moderne, Heinrich-Heine-Universität Düsseldorf
Bibliographie sélective
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Christophe Charle, La République des universitaires (1870-1940), Paris, Seuil, 1994.
Christophe Charle, Les intellectuels en Europe au XIXe siècle. Essai d’histoire comparée, Paris, 2e éd., Seuil, « Points Histoire, 2001.
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William Clark, Academic Charisma and the Origins of the Research University, Chicago, University of Chicago Press, 2006.
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Christian von Ferber, Die Entwicklung des Lehrkörpers der deutschen Universitäten und Hochschulen 1864-1954, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1956.
Daniel Fischer et Isabelle Laboulais, « Faire profession de traducteur à la fin de l’Ancien Régime », dans Liliane Hilaire-Pérez et Catherine Lanoë (dir.). Les sciences et les techniques, laboratoire de l’histoire. Mélanges en l’honneur de Patrice Bret, Paris, Presses des Mines, p. 147-162.
Julius Gerbracht, Studierte Kameralisten im deutschen Südwesten. Wissen und Verhalten im späten Ancien Régime, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2021.
Paul Gerbod, La Condition universitaire en France au XIXe siècle. Étude d’un groupe socio-professionnel, professeurs et administrateurs de l’enseignement secondaire public de 1842 à 1880, Paris, Université de Paris - Faculté des lettres et des sciences humaines, 1965.
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