26-27 septembre 2022 – CESSMA (Paris)
D’un côté, l’organisation du travail rémunéré, de ses représentants et de ses collectifs parait plus que jamais menacée par la contraction économique et l’installation du télétravail, accélérées par la pandémie de Covid-19. Les multiples incidences de l’usage des techniques digitales au travail peuvent questionner le sens même du travail et des séparations entre les temps et les espaces de la vie professionnelle, sociale et familiale. L’organisation sociale du travail de care est également sous forte tension, accrue par la pandémie, dans les services professionnels publics ou privés et dans les espaces domestiques où il est réalisé sous une forme non rémunérée.
De l’autre côté, la construction politique de la crise environnementale comme urgence, climatique notamment, peut sembler prendre le dessus sur la crise du travail. Question sociale et question environnementale seraient en concurrence pour la reconnaissance de leur légitimité et pour l’accès aux ressources publiques. Ici aussi, le Covid-19 a pu apparaitre comme un accélérateur de ces tensions, dans des explications de la genèse de la pandémie focalisées sur les facteurs environnementaux, tels que les risques de zoonose causés par le déboisement, la destruction des habitats naturels ou la production animale à grande échelle.
Sans écarter les tensions dans le traitement politico-économique des questions du travail et de l’environnement, la Journée d’étude entend dépasser une lecture dichotomique de ces questions pour aborder les multiples dimensions de leurs constructions et déconstructions simultanées à l’heure du Covid. Ces constructions et déconstructions sont entendues sur le plan des processus réels, comme par exemple la transformation des rapports de travail sous l’effet de la destruction de ressources naturelles, mais aussi au plan idéel des constructions du travail et de l’environnement comme concepts économiques, politiques et moraux, inscrits dans des paradigmes techniques.
Nous invitons donc à des analyses de l’imbrication des constructions et déconstructions du travail et de l’environnement sur ces deux plans, réels et conceptuels, et dans leurs multiples dimensions. Les études de cas, donnant à voir empiriquement ces imbrications dans des contextes singuliers, seront particulièrement utiles à cette démarche, tout comme les analyses tenant compte des appartenances sociales dans l’appréhension de ces constructions et déconstructions et dans leurs impacts différenciés. Les modèles économiques – et notamment le néolibéralisme financiarisé dominant, associant exploitation du travail et de l’environnement, filets de sécurité plus ou moins étendus sous la responsabilité principale des femmes et marchés de compensation environnementale – constituent aussi une dimension transversale. Sur cette base commune, les contributions portant sur les trois axes d’analyse thématiques des techniques, du temps et de l’espace, des mobilisations et des luttes, seront particulièrement bienvenus. Seront privilégiées des réflexions qui combinent « travail » et« environnement », même si des analyses portant en priorité sur l’une ou l’autre thématique peuvent également être proposées.
Sciences, techniques, innovations
La place de l’innovation technique est devenue une question cruciale vis-à-vis des enjeux de l’environnement et du changement climatique. Cette question est aujourd’hui fortement polarisée par l’opposition conceptuelle entre high techs et low techs, qui correspondent à des perspectives divergentes en termes de développement durable. La « vision faible » promue par les pouvoirs institutionnels fait reposer la transition vers une « économie verte » sur le développement de technologies « propres » dans le cadre inchangé du capitalisme financiarisé. Le rôle des pouvoirs publics serait alors d’orienter les investissements par des politiques incitatives et de soutien financier. Divers mouvements porteurs d’une « vision forte », plus radicale, défendent au contraire l’idée d’une mutation nécessaire des systèmes productifs portée par des technologies frugales, maîtrisables par les producteurs et/ou usagers et peu consommatrices en énergie et en ressources naturelles.
Comment différents acteurs (États, ONG, organisations internationales, associations locales, entreprises, experts, scientifiques etc.) interviennent-ils dans la mise en œuvre de cette diversité de modèles et de normes environnementales ? Quel rôle jouent-ils dans la production et la circulation des connaissances et des innovations techniques ? Qu’en est-il des nouveaux outils de la protection de l’environnement tels les paiements pour services environnementaux qui transforment le rapport entre travail, revenus et protection sociale ? A travers l’analyse de configurations précises, on cherchera à comprendre comment les dispositifs techniques façonnent les modes de mobilisation, de répartition et d’organisation du travail. Dans quelle mesure reposent-ils sur les rapports de genre et les transforment-ils ? Que modifient-ils dans l’organisation sociale d’une manière plus générale ?
La pandémie a précipité l’usage de techniques numériques dans l’exercice du travail. Le recours au télétravail a été massif et soudain, mais de manière très hétérogène selon les contextes nationaux, les secteurs d’activité et les catégories de travailleurs (intellectuels ou manuels, par exemple). Les confinements et l’interruption des déplacements ont aussi accéléré la progression du commerce en ligne et favorisé les plateformes de livraison qui reposent sur un processus d’ubérisation du travail.
Comment la digitalisation des modes de communication modifie-t-elle la nature du travail, les modalités d’encadrement, de contrôle et de mesure du travail ? Entraine-t-elle une plus grande autonomisation des salarié.es ou au contraire de nouvelles formes de sujétion ? Comment transforme-t-elle d’un côté les sociabilités de travail, de l’autre les capacités individuelles et/ou collectives de négociation, de revendication, de lutte ? Dans quelle mesure engendre-t-elle une atomisation des travailleurs et la dislocation des solidarités au travail ? Ces mutations techniques interrogent les inégalités de genre, à la fois dans l’espace des rapports professionnel, dans l’espace des rapports familiaux, et dans les articulations entre ces deux sphères.
Temps et espace
Une seconde manière d’explorer les transformations du travail et de l’environnement consiste à les examiner sous le prisme des rapports à l’espace et au temps.
« Réfugiés climatiques », « migrants » et « déplacés » environnementaux » sont les faces les plus visibles de ces recompositions. Les termes sont trompeurs car ils suggèrent un déterminisme environnemental qui masque des asymétries profondes, environnementales certes mais aussi sociales, économiques et politiques, construites dans la durée et qu’il convient d’explorer pour mieux saisir le visage de ces mobilités multiples. Présentées par certains comme le symptôme des dérèglements climatiques, un danger à circonscrire et dont il faudrait se protéger, ces mobilités apparaissent pour d’autres comme une opportunité. Ce sont d’ailleurs rarement les plus démunis qui sont concernés par ces mobilités. Les personnes en mouvement sont aussi des réservoirs potentiels de main-d’œuvre captive et docile permettant d’entretenir voire d’exacerber des logiques productivistes.
Il convient également d’interroger la transformation des perceptions de l’espace, du territoire et de la mobilité. Si pour certaines catégories de population, le mouvement est parfois la seule option, le confinement et les risques liés aux déplacements révélés par la pandémie de Covid ont clairement remis en question les imaginaires de la mobilité.
A cela s’ajoute la moralisation des conséquences écologiques de la mobilité agissant pour certain.es comme une contrainte individuelle à intégrer dans leurs modes de vie. Par nécessité, par pragmatisme ou par conviction, la revalorisation du « local » ou du « territoire » s’observe aussi bien dans des choix et politiques de production (relocalisation, circuits courts) que dans des choix individuels professionnels et de vie. Dans le même temps, le gigantisme de production se poursuit, notamment dans le domaine agroindustriel, où délocalisations massives et embauche de migrants visent précisément à externaliser les risques sociaux et environnementaux.
L’augmentation de la part de travail de care non rémunéré sous l’effet de la pandémie interroge aussi l’organisation genrée des espaces et des temps domestiques. Quelle est la nature de ce travail (domestique, de soin aux personnes dépendantes ou non, membres de la famille ou non, mais aussi d’agriculture tournée vers l’autosuffisance, travail de care socio-environnemental concrétisant un continuum entre ces deux dimensions) ? Dans quelles structures (famille nucléaire, élargie, réseaux de parenté ou d’affinité) est-il organisé ? Dans quelle mesure les modalités des interventions étatiques et leur numérisation croissante allègent, alourdissent ou transforment le travail domestique et le travail de care ? N’assiste-on pas à l’émergence de formes inédites de tâches et de compétences, désormais indispensables dans l’accès aux droits de base ?
Mobilisations et luttes
Le contexte est à la fois propice à l’émergence de nouvelles mobilisations et luttes, tout en fragilisant l’existence même de collectifs. La pandémie et les confinements successifs ont de toute évidence déstabilisé les collectifs existants, en les privant de moments de rencontres, dont le rôle relationnel, affectif et émotionnel est crucial dans la construction et le maintien d’objectifs et d’identités partagés.
Concernant les luttes axées sur la défense de l’emploi et du travail, au contexte pandémique, dont les effets sont probablement structurels et dans la durée, s’ajoutent l’affaiblissement historique des mouvements syndicaux et les effets de la ré-organisation du travail. Télétravail, plateformes de travail et émergence ou résurgence de nouvelles formes de tâcheronnage atténuent les possibilités de création ou de maintien de solidarités. Il convient de prendre toute la mesure de ces effets et leur diversité.
Il convient aussi d’interroger le déplacement des objets et des champs de luttes et de mobilisations : l’urgence environnementale se substitue-t-elle aux luttes pour la défense de l’emploi et du travail, qu’elles soient syndicales ou non ? Assiste-t-on au contraire à une convergence ? Les deux scénarios sont certainement valables et se déclinent différemment selon les contextes, les conceptions sous-jacentes de la « nature », l’ampleur de l’urgence, et le degré de dépendance matérielle des populations à l’égard de leur environnement. Ces facteurs sont eux-mêmes indissociables de différenciation de lieux, de classe, de genre, de génération et probablement d’autres formes de différentiation.
L’absence de « classe écologique » (Latour, 2022) est-elle valable en tous lieux ? Pour comprendre l’état des mobilisations et des luttes, ne faut-il pas décentrer le regard et s’intéresser, non pas à l’absence de convergence des luttes, mais aux lieux où précisément cette convergence est en train d’émerger ? Il faut certainement se tourner vers les Suds globalisés, tout simplement parce que la dépendance vis-à-vis de l’environnement y est telle que les populations n’ont pas le choix : les mobilisations socio-environnementales ne sont pas une question de conscience ou d’idéologie, mais de survie.
Saisir la diversité des mobilisations et des luttes suppose aussi d’en avoir une conception élargie : bien au-delà de mouvements à forte visibilité dans l’espace public, on observe un fourmillement de mobilisations discrètes, à bas bruit, dont le rôle est néanmoins crucial dans la survie de populations et de territoires directement menacés. Du fait de leur assignation sociale pour le care en même temps que de leurs limites d’accès à l’espace public, les femmes sont sur-representées dans ces mobilisations discrètes et de proximité. Observer les ruptures genrées de participation dans l’espace public est alors une condition pour une analyse spécifique des agendas de revendications différenciés selon les sexes.
Coordination
- Laurent Bazin : bazinlaurent@wanadoo.fr
- Isabelle Guérin : isabelle.guerin@ird.fr
- Isabelle Hillenkamp : isabelle.hillenkamp@ird.fr
Propositions
Les propositions de contributions (résumé de 1000 signes) sont à envoyer aux trois coordinateurs/trices
avant le 15 juin 2022.
Elles seront examinées par les coordinateurs des journées d'étude et une réponse sera adressée aux auteurs par email pour le 15 juillet 2022.
La modalité présentielle est privilégiée. Quelques connexions en mode hybride pourront être envisagées.