CfP: Les âges du travail, du Moyen Âge à nos jours

Call for papers, deadline 30 June 2022 (in French)

Appel à communication : Les âges du travail, du Moyen Âge à nos jours

Colloque international, 17-18 novembre 2022, université Gustave Eiffel

Argumentaire

 

            En 1854, un grand industriel normand, Pouyer-Quertier, déclare vouloir importer en France une pratique courante, selon lui, outre-Manche : « poussé comme un cheval de course, il (l’ouvrier-fileur) fournit une carrière de dix années au plus au bout desquelles l’income-tax doit être là pour le secourir ». Formé très jeune et opérationnel vers 18 ou 19 ans, le fileur serait donc soumis à un rythme de travail pour lequel il faudrait conjuguer la force musculaire et l’endurance que l’on attribue à un adulte dans la force de l’âge, mais aussi la compétence qu’il a bien fallu acquérir avant d’être opérationnel. Arrivé à la trentaine, il serait usé et incapable de poursuivre sa tâche. S’il s’agit là, fort probablement, d’une manifestation du cynisme dont Pouyer-Quertier est coutumier, du moins pose-t-il sans fard la relation qui peut exister entre l’âge et les fonctions que l’on peut occuper dans l’univers productif.

            S’il ne s’agit là que d’un exemple situé dans une usine du XIXe siècle, rarement, l’âge est une donnée indifférente. Cela est une évidence dans les sociétés occidentales actuelles : après une formation scolaire d’une durée variable, l’entrée dans le monde de la vie active se fait à des âges variés. Dès lors se déroulent des « carrières » marquées par différentes étapes plus ou moins conditionnées par l’âge et l’expérience professionnelle. La retraite clôt un cycle de vie et en ouvre un autre, où l’emploi n’est plus central. Qu’en est-il pour les périodes plus anciennes ? C’est une question qui reste mal connue. Pour rester dans le monde de la filature du XIXe siècle, à chaque poste de travail correspond ainsi un âge. Aux jeunes enfants sont confiées des tâches d’assistance, aux adultes les plus vaillants des fonctions d’exécutions, aux plus âgés, pour une minorité, les missions de surveillance, pour une majorité, des travaux périphériques plus ou moins légers et moins rémunérés. On fait l’hypothèse que, de manière générale, aux âges de la vie correspondent des activités et des rémunérations qui évoluent, selon les époques et la nature des activités productives.

En même temps, les transformations contemporaines du travail dans les économies capitalistes et les cycles continus de la division internationale du travail au niveau mondial, entrainant la restructuration de certains secteurs au profit d'autres dans certaines zones géographiques, renouvellent deux problèmes en ce qui concerne les âges de travail. Le premier concerne les frontières entre l'âge de l'apprentissage et l'âge du travail : l’époque récente voit se renouveler des conflits d’intérêt autour des modalités et des conditions d’entrée dans le monde du travail (apprentissage, scolarité, stages, bénévolat, etc. ), ainsi qu’à propos des processus de formation tout au long de la vie professionnelle dans lesquels le travailleur est appelé à régénérer ses compétences pour ne pas être expulsé du marché du travail. Ces types de processus mettent en jeu aux différents âges l’articulation entre les sphères de la formation et du travail. Deuxièmement, la mise en cause de l'État social en Europe a fait apparaître de plus en plus clairement qu’une grande partie du travail de soins est effectuée par des personnes ne faisant officiellement plus partie de la population active, ou en marge de l’activité professionnelle. C’est le cas des grands-parents envers leurs petits-enfants, d’adultes envers des personnes dépendantes ou en situation de handicap. Une part des services sociaux est gérée et supervisée par des personnes formellement extérieures au marché du travail, mais dont la présence est indispensable pour fournir ces services qui, autrement, ne seraient pas réalisés. Une perspective historique peut aider à comprendre ces deux moments d’ambivalence : des apprentis qui n’étaient plus jeunes, mais qui se sont pourtant formés à un nouveau métier dans le cadre des multi-activités de l’ère préindustrielle ; des personnes âgées constamment au travail (dans des hospices ou des foyers) qui ont contribué au travail manufacturier ou à des services à l’époque du "welfare before welfare".

Cette première rencontre sera l’occasion de défricher une question qui, si elle n’est pas entièrement nouvelle, n’a été abordée que de manière incidente pour les périodes anciennes. L’âge n’a que fort rarement été pris réellement en considération comme un critère, si ce n’est déterminant, au moins important dans les situations de travail. Il s’agit donc d’évaluer la pertinence de ce questionnement et son évolution pour une longue période allant de la fin du Moyen Âge à l’époque actuelle. Les communications peuvent porter autant sur certaines périodes de la vie (enfance, âge adulte, vieillesse) que sur des types d’activités qui requièrent des capacités jugées comme spécifiques à une tranche d’âge, ou bien encore sur des trajectoires de vie au travail.

Quelques pistes peuvent constituer des éléments de questionnement :   

1)    Comment les enfants glissent-ils du monde du jeu à celui des occupations contraintes, avant et après l’instauration de l’obligation scolaire ? La rupture est-elle progressive ou brutale, systématique ou liée à l’appartenance de chacun à un milieu de vie, en conformité avec la législation (quand elle existe) ou non ? Quels ont pu être selon les époques et les milieux sociaux l’âge défini pour l’apprentissage et selon quelles modalités celui-ci s’effectuait-il ? La jeunesse est-elle un critère d’embauche ou un élément dissuasif ? En quoi le genre peut-il être croisé avec la précocité et les formes d’entrée dans la vie active ? Ainsi, à la mine de charbon du XIXe siècle, n’est-ce pas à l’articulation de l’âge et du genre que s’opère la distinction de la main-d’œuvre entre le fond et la surface ?

2)    Si les jeunes adultes s’engagent de facto dans une période active au long cours, comment apprécier le cycle de vie au travail des femmes par rapport à celui des hommes ? Cessent-elles vraiment, comme on l’a longtemps cru, d’avoir une activité rémunérée après le mariage ou quand elles sont chargées d’enfants ? Ou peuvent-elles, comme les hommes, escompter de nouvelles opportunités de leur nouveau statut ? Comment apprécier les incidences de la pluriactivité sur leur maintien au sein de la « population active », ou le travail à domicile comme un facteur d’effacement ? Quelles sont les femmes qui (re)prennent une activité visible lorsque leurs enfants sont plus ou moins autonomes ?

3)    Plus largement, existe-t-il des entrées tardives dans un métier ? Quelles sont les bifurcations qui s’opèrent, autant qu’on puisse en juger au hasard de la reconstitution des parcours de vie ? Quand tel est le cas, l’âge est-il un facteur explicatif du passage d’un métier à l’autre ? Enfin, y a-t-il un âge pour conquérir son indépendance ?  

4)    Quant aux « vieux » travailleurs, ils sont encore plus mal connus que les jeunes gens ou les femmes. Il s’agit bien évidemment de mesurer l’impact du travail sur le corps et sur le vieillissement (ou l’usure) du corps et de tenter de cerner comment le travail « définit » les âges des travailleurs selon la profession et les lieux, voire aussi comment il peut également façonner la perception que le travailleur a de son propre âge. Dans ces parcours de vie, il convient également d’étudier comment on passe des fonctions les plus exigeantes physiquement à des tâches plus légères ou, ce qui doit être rare, plus valorisées et rémunérées en conséquence. En un mot, peut-on faire la part entre des parcours ascendants et des parcours descendants (ou, pour reprendre les mots de Bourdieu, de carrière négative) dans le registre des rémunérations et des reconnaissances ? Comment appréhender, ce faisant, la notion de « carrière » dont on peut se demander d’ailleurs quand et dans quels domaines elle apparait ? Comment penser la relation entre les notions de vieillesse et d’invalidité ?

5)    Enfin, les travailleurs cessent-ils de l’être un jour dès lors que la mort ne les fauche pas prématurément ? Avant que les retraites ne se généralisent, peut-on s’arrêter de travailler, et dans l’affirmative, selon quelles modalités et dans quels contextes ? Y-a-t-il des activités où chaque transition serait moins brutale que dans d’autres ? Les mondes paysan, artisanal, commerçant s’opposeraient-ils à des univers plus rigides, ceux de la mine ou de l’usine (entendu au sens large et ancien de ce mot), par exemple ?

            Du Moyen Âge, à partir du moment où l’âge apparaît dans les sources, jusqu’à nos jours, où les incidences de l’âge jouent encore un grand rôle dans les parcours de vie au travail, ce colloque s’efforcera de faire de ce critère, non pas un déterminant exclusif, mais une variable à reconsidérer à nouveaux frais, en le liant notamment à la question des rémunérations. Les débats en cours à propos du recul de l’âge de la retraite sont là pour montrer combien la question est d’actualité.

 

Les propositions de communication (1500 signes maximum) sont à envoyer AVANT LE 30 JUIN 2022 à : corine.maitte@u-pem.fr

Comité d’organisation :

·       Andrea Caracausi (Padoue)
·       Thierry Arnal (UPHF)
·       Corine Maitte (ACP-UGE)
·       Nicoletta Rolla (chercheuse associée ACP)
·       Matthieu Scherman (ACP-UGE)
·       Didier Terrier (chercheur associé à ACP)
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