CfP: Les temporalités du nocturne

Call for papers, deadline 30 September 2022 (in French)
Revue Temporalités
 

Appel à articles « Les temporalités du nocturne » Temporalités n° 37 (2023/1)

Dossier coordonné par Véronique Marchand (Université de Lille, CLERSÉ) et Mélanie Roussel (Université de Lille, CLERSÉ)

Dans ce dossier, il s’agira de questionner explicitement la dimension ordinairement oubliée ou reléguée au second plan dans nombre de travaux de recherche qu’est le nocturne. Le champ de recherche des Night Studies ne s’est constitué que très récemment, dans les années 2010, rassemblant historiens, géographes, urbanistes, sociologues, anthropologues, philosophes, économistes, biologistes, spécialistes de la culture et de la communication, politologues, architectes, artistes et praticiens.

La colonisation progressive de la nuit par l’homme (Melbin, 1978 ; Gwiazdzinski, 2017) crée de nouveaux espaces de travail et de loisirs. C’est à partir de la seconde moitié des années 1990 que la nuit urbaine, spécialement en centre-ville, émerge dans les débats scientifiques sur la ville contemporaine au travers du concept d’économie de nuit, la Night-Time-Economy (NTE). La NTE, qui regroupe les activités économiques ayant lieu en soirée et la nuit, est issue d’une volonté politique des villes du nord de l’Angleterre de générer un espace urbain plus adapté aux pratiques et usages récréatifs des jeunes.

Pourtant travailler le soir, la nuit reste encore dans la plupart des pays de l’UE – pour ne parler que de l’UE – une exception à la loi ou aux conventions (Eurostat 2016). Le travail nocturne est néanmoins à présent au cœur de réels enjeux économiques notamment en milieu urbain. Depuis les années 2000, la littérature scientifique autour du « nocturne » et sur les politiques de la nuit ne cesse de s’étoffer (cf. Collectif CANDELA, 2017 ; Guérin, Hernandez, Montandon, 2018) permettant ainsi de mieux saisir comment la nuit est habitée, comment elle est administrée et comment elle peut être gouvernée, aussi bien en ville qu’à la campagne. C’est cette première dimension que ce dossier souhaite aborder.

Encadrer la nuit

Chartes de la vie nocturne, conseils de nuit émergent et introduisent par là même de nouvelles politiques publiques. Ces politiques temporelles naissent dans les années 1980 en Italie pour repenser et faciliter l’articulation des temps sociaux des femmes. Elles voient plus récemment le jour en France, en Belgique, aux Pays-Bas ou encore en Allemagne, il y a seulement une vingtaine d’années. Ces politiques ont deux objectifs majeurs : le premier cherche à rendre la ville plus fonctionnelle à travers l’organisation des services publics notamment des transports et le second tend au « bien-être temporel » relatif à une plus grande disponibilité temporelle de lieux, d’activités, etc. (Royoux et Vassallo, 2013 ; Boulin, 2003). La nuit est, à l’heure actuelle, un véritable enjeu de l’action publique au niveau local : lutte(s) contre les inégalités, les discriminations, développement de l’offre touristique des métropoles, équilibre entre les riverains, les acteurs de l’économie de nuit et ses usagers… Avec la COVID-19, des universitaires, des experts, etc. ont, d’ailleurs, interpellé les politiques notamment municipaux et intercommunaux, sur le « droit au temps » dans une tribune de Libération le 23 mai 2020, du fait de l’« accélération et la pénurie temporelle » et par là du risque d’une perte « des repères temporels » (particulièrement le brouillage des frontières travail et hors travail), un peu plus exacerbée avec la crise sanitaire. Elle met aussi en lumière les différentes échelles politiques – municipale, départementale, régionale, ou encore nationale – auxquelles sont soumis-e-s au quotidien les acteurs-trices de la NTE. Comment ces politiques impactent-elles ces professionnel-le-s ? Comment la nuit, en tant que temps et espace de travail, de fête et de repos, est-elle habitée ? Comment est-elle régulée aujourd’hui ? Comment les modes de régulations de la nuit ont-ils évolué au cours de l’histoire ? La nuit permet-elle davantage le développement d’activités considérées comme informelles et/ou « déviantes » ? Quels espaces échappent-ils aux différents processus de réglementation et d’encadrement de la nuit ? En quoi cette part d’informel diffère-t-elle dans le temps et selon diverses régions du globe ? Ce numéro vise à montrer la dynamique entre politiques publiques et acteurs-trices de la NTE. C’est sur le travail de ces derniers que portera le deuxième axe de ce numéro.

Travail nocturne

Dans ce dossier, il sera donc également question du travail et de ses temporalités. En effet, nous souhaitons mettre en avant des travaux sur les conditions de travail et d’emploi ainsi que de formation de ces acteurs-trices de l’économie de la nuit, trop souvent absents des écrits, pourtant sans qui cette dernière ne pourrait exister. Nous attendons des contributions portant sur les activités de sécurité, de soin, de commerce, de transport ainsi que celles se rapportant au tourisme « nocturne », celles se faisant dans les bars, restaurants, espaces culturels, scènes musicales, cabarets, cafés-concerts, night-clubs, ainsi que celles qui flirtent avec la nuit afin de saisir pleinement les singularités ou non du travail nocturne, tels les brocanteurs/brocanteuses, agriculteurs/agricultrices et boulangers/boulangères qui commencent au petit matin lorsque nombreux sont encore endormis… Les professionnel-le-s de la nuit ou qui flirtent avec elle, interagissent-ils-elles, d’ailleurs, de manière identique le jour, à l’aube, au crépuscule, la nuit ? Cela permettra d’interroger les catégories administratives, juridiques que sont le « Travail de nuit » et le « Travail en soirée » qui diffèrent d’un pays à l’autre mais aussi des grandes enquêtes sur l’emploi et le travail comme l’enquête Conditions de travail. De plus, « Travail en soirée » et « Travail de nuit », se distinguent des temps des hommes qui, comme le rappelle Claude Javeau, se composent du temps cosmique (ou « physique »), biologique, social et psychique (2003) et par là même varient selon la saisonnalité, la géographie. L’enquête Emploi du temps, quant à elle, pourra aussi apporter des données pertinentes de par sa quantification de la vie quotidienne et, par là, du nocturne.

Ce sera également l’occasion d’analyser les frontières entre la nuit et le jour, entre travail et hors travail, celles d’aujourd’hui ainsi que celles d’hier. Entre la nuit et le jour, observe-t-on une continuité ou une rupture ? L’aube, l’aurore et le crépuscule, sont-ils des espaces et des temps différents ou intermédiaires, de passage ? Modifient-ils le travail ? Comment affectent-ils l’articulation vie privée, vie professionnelle ? La « diurnisation » de la nuit s’est-elle accélérée avec le numérique ? Comment ? Si ce phénomène de « diurnisation » relève principalement des espaces urbains, qu’en est-il des mondes ruraux ?

Écologie temporelle et environnementale

Si le travail de nuit peut offrir une plus grande autonomie et devenir une ressource contre la précarisation et pour élargir l’horizon temporel de travailleur-se-s (Bouffartigue, 2011), il n’en reste pas moins un temps opposé à notre horloge interne, au rythme dit circadien. Troubles métaboliques, psychiques, maladies cardiovasculaires (ANSES, 2016), mais aussi conséquences néfastes sur la vie personnelle, familiale et sociale, y sont régulièrement associés. C’est ce troisième aspect que nous souhaitons aborder dans ce dossier, celui de la question écologique au cœur du nocturne, « le temps, ou plus exactement la conjonction des temporalités [constituant] aussi un milieu ou de confort ou d’inconfort » (Grossin, 1996, p. 13). Il s’agira, ici, de questionner les recherches scientifiques et les actions promues au nom de l’écologie temporelle (cf. Munch, 2019 ; l’Association française ACHED pour la fin de l’heure d’été double), et de discuter notamment la relation entre le temps de sommeil et les facteurs comportementaux et psychologiques.

La question écologique du nocturne est aussi environnementale. Depuis les années 1950-1960, de nombreuses inquiétudes et réflexions émergent sur la « pollution lumineuse » en lien notamment avec l’arbitrage entre besoins temporels de lumière et d’obscurité naturellement présent la nuit (Challéat, 2019). Quelles sont les temporalités de l’« éclairer juste » selon les groupes sociaux et selon les territoires ? Les calendriers des uns et des autres sont-ils compatibles avec l’urgence environnementale de certains espaces ? Comment s’articulent-ils ?

Perception et imaginaire

La nuit est aussi un temps et un espace propices à un imaginaire et à une perception sensorielle spécifiques. C’est sur ce dernier point que nous nous pencherons dans ce numéro. Lumière déformante, jeux d’ombres, son amplifié ou absence de son, corps recroquevillés ou qui exultent, en quoi les corps et les affects se transforment-ils dans la pénombre et l’obscurité ? Comment les arts et la culture sont-ils vécus par les usagers et leur(s) créateur(s) ? Leurs relations se métamorphosent-elles ? Dans quels contextes la nuit peut-elle être conçue comme le moment de subversion du jour ? Comment, la nuit, était-elle perçue, appréhendée aux siècles précédents (cf. les travaux de Ginzburg ; Ménager 2005) ? Qu’est-ce que son illumination a produit sur les rapports au temps nocturne au cours de l’histoire (de Baecque, 2015) ? Comment l’écriture et les arts mettent-ils en scène la nuit ? En quoi son traitement dans la peinture, le théâtre, le cinéma, la littérature varie-t-il dans le temps et dans l’espace et, en particulier, selon que la scène se déroule en ville ou à la campagne ? Enfin, existe-t-il des pratiques et des perceptions exclusives au nocturne ?

Ce numéro souhaite rassembler des contributions de différentes disciplines, en histoire, géographie, urbanisme, sociologie, anthropologie, philosophie, économie, arts, science politique, sciences de la communication, sciences de l’éducation, etc. s’intéressant à la nuit autant en ville qu’à la campagne, aussi bien en Europe que dans le reste du monde.

Envoi des projets d’articles

Les auteurs devront envoyer leur proposition d’article aux coordinateurs du numéro Véronique Marchand (veronique.marchand@univ-lille.fr) et Mélanie Roussel (melanie.roussel@univ-lille.fr), avec copie au secrétariat de rédaction de la revue (temporalites[at]revues.org).

Cette proposition, composée d’un titre et d’un résumé d’une page en français ou en anglais du projet d’article (5 000 signes maximum), ainsi que du nom, des coordonnées et de l’affiliation institutionnelle de l’auteur ou autrice, est attendue d’ici le 30 septembre 2022.

Calendrier récapitulatif et échéances

Réception des propositions (résumés de 5 000 signes maximum) : 30 septembre 2022
Réponse des coordinateurs : octobre 2022
Réception des articles (50 000 signes maximum) : janvier 2023
Retour des expertises des évaluateurs : mars 2023
Version révisée : avril 2023
Sortie du numéro : juin 2023

Bibliographie

Bonfiglioli S., Rosso F., 1997. « Les politiques des temps urbains en Italie », Les Annales de la recherche urbaine, n° 77, pp. 22-29.

Bouffartigue P., Bouteiller J., 2012. Temps de travail et temps de vie. Les nouveaux visages de la disponibilité temporelle, Paris, PUF, Col. Travail Humain.

Boulin J-Y., 2003. « Les temps de la ville », Revue Projet, n° 273, pp. 64-72.

Candela, 2017. « Pour une sociologie politique de la nuit », Cultures et Conflits n°105-106, pp. 7-27.

 

Cauquelin A., 1977. La ville la nuit, Paris, PUF, Col. La politique éclatée.

Challéat S., 2019. Sauver la nuit, Paris, Premier Parallèle.

Chesneaux J., 1997. « Habiter le temps. Port Moresby et ses temporalités éclatées », dans Terrain, n° 29 : « Vivre le temps », pp. 19-30.

De Baecque A., 2015. Les nuits parisiennes. xviiie-xxie siècle, Paris, Le Seuil.

Jeanmougin H. et Giordano E., 2020. « La nuit urbaine. Un espace-temps complexe entre opportunités et inégalités », Émulations – Revue de sciences sociales, n° 33.

Ginzburg C., [1966], trad. 1980. Les Batailles nocturnes. Sorcellerie et rituels agraires en Frioul xvie-xviie siècle, Paris, Verdier.

Grossin W., 1996. Pour une science des temps. Introduction à l’écologie temporelle, Toulouse, Éditions Octarès, Col. Travail.

Guérin F., Hernandez E., Montandon A. (dir.), 2018. Cohabiter les nuits urbaines. Des significations de l’ombre aux régulations de l’investissement ordinaire des nuits, Paris, L’Harmattan.

Gwiazdzinski L., 2017. « La nuit ne disparaîtra pas. » Hémisphères, Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO), XII, p. 18-22.

Gwiazdzinski L., Maggioli M., Straw W. (dir.), 2021. Night Studies : Regards croisés sur les nouveaux visages de la nuit, Elya Éditions.

Javeau, 2003. Les temps de la vie quotidienne, Paris, PUF, Col. Que sais-je ?

Lovatt A., O’Connor J., 1995. « Cities and the Night-time Economy », Planning Practice & Research, vol. 10, n° 2, pp. 127-134.

Melbin M., 1978. « The Night as Frontier », American Sociological Review, vol. 43, n° 1, pp. 3-22.

Ménager D., 2005. La Renaissance et la nuit, Genève, Droz.

Munch E., 2019. « Pour une écologie temporelle de l’heure de pointe : enquête sur les choix d’horaires de travail en Île-de-France », Espace populations sociétés [Online].

Royoux D. et Vassalo P. (dir.), 2013. Urgences temporelles. L’action publique face au temps de vivre, Paris, Éditions Syllepse.

Straw W., Avril 2021. « À qui appartient la nuit ? », La vie des idées, par Catherine Guesde.

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