CfP: Images, travail et handicap Revue « Images du travail-travail des images », n° 19 (French)

Call for Papers, deadline 1 March 2024

Ce numéro d’ITTI propose d’interroger ce que les images peuvent révéler du travail au prisme des droits et des expériences des personnes handicapées.

AAP pour le n° 19 de la revue « Images du travail, travail des images » (septembre 2025)

Argumentaire

A partir des années 1960, l’évolution de la législation sur le travail des personnes handicapées s’inscrit dans un mouvement international d’émergence de leurs droits porté par les disability studies (Ravaud, 1999). Il remet en cause le modèle individuel et biomédical du handicap pour le redéfinir comme « modèle social » imputant la production du handicap à la société (ses structures, ses organisations) et non plus à la personne. Au niveau international, deux séries d’acteurs institutionnels ont joué un rôle décisif. D’une part, l’OMS (Organisation mondiale de la Santé) défend une approche biomédicale du handicap, mais fait entrer la dimension environnementale en révisant ses classifications, concédant ainsi une avancée vers le « modèle social ». D’autre part, l’ONU (Organisation des nations unies), puis le Conseil de l’Europe, relaient les revendications plus radicales des mouvements militants adossées au travail conceptuel des disability studies, qui promeuvent le « modèle social » (Ravaud & Fougeyrollas, 2005).

En France, la loi 2005-102 du 11 février 2005, « pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » intègre des aspects de ce « modèle social ». Ainsi, c’est désormais au monde du travail de prendre les mesures nécessaires pour permettre aux personnes concernées une pleine « participation sociale », autour de deux piliers essentiels que sont l’accessibilité et la compensation. La politique publique en faveur de l’emploi et du travail des personnes handicapées articule des mesures de discrimination positive avec les quotas d’emploi à des mesures antidiscriminatoires « d’aménagements raisonnables » consistant à adapter les postes de travail en fonction des besoins des personnes (Lejeune et al., 2017). Dans le monde francophone occidental, les années 2000 ont été propices à des avancées législatives relativement convergentes. Le Québec, pionnier, disposait depuis la loi du 23 juin 1978 « assurant l’exercice des droits des personnes handicapées » d’un Office des Personnes Handicapées du Québec aux pouvoirs consistants, obligeant la société. La loi du 17 décembre 2004 qui révise celle de 1978, renforce les pouvoirs de l’OPHQ et implique plus fortement les organismes de droit commun. Sans recourir aux quotas d’emplois comme en France, elle instaure des plans pluriannuels d’intégration et de maintien dans l’emploi à l’égard desquels le gouvernement doit rendre des comptes[1]. En Suisse, une loi fédérale dite « Loi sur l’égalité pour les handicapés, LHand » est votée le 13 décembre 2002 par l’Assemblée fédérale de la Confédération. Elle prévoit un cadre légal antidiscriminatoire à l’embauche et encourage les mesures d’accessibilité aux lieux de travail. En Belgique, la loi du 10 mai 2007 « tendant à lutter contre certaines formes de discrimination » prévoit une politique générale antidiscriminatoire pour l’accès à l’emploi, les conditions de travail, le maintien dans l’emploi, passant notamment par des « aménagements raisonnables ». Plus récemment, sans précédent dans l’histoire des droits des personnes handicapées, le parlement belge approuve le 12 mars 2021 une révision de la Constitution consacrant le droit des personnes handicapées à une participation pleine et entière à la société.

Pour autant, 20 ans après la loi française du 11 février 2005, les caractéristiques et les conditions d’emploi des personnes handicapées sont loin d’être homogénéisées avec celles de la population générale (Agefiph, 2022). Les travailleurs et travailleuses handicapé·es sont plus âgé·es et moins diplômé·es. Leur accès à l’emploi est sensiblement plus difficile. L’éventail de leurs métiers est réduit et ils et elles sont sous représenté·es dans les emplois des catégories intermédiaires et supérieures et surreprésenté·es dans les emplois subalternes (Bernardi & Lhommeau, 2020). Des enquêtes en sciences sociales viennent documenter les divers processus qui perpétuent des logiques inégalitaires et discriminatoires (par exemple : Boudinet, 2021, 2021 ; Dessein, 2022 ; Gardien, 2006 ; Lejeune, 2019, 2021 ; Revillard, 2017 ; Roupnel-Fuentes, 2021 ; Segon, 2021 ; Valdes, 2022).

Parallèlement, le changement de perspective qui s’est cristallisé dans la loi de 2005 a fait passer la personne handicapée du statut d’objet (de soins, d’aides) au statut de sujet (de son existence). Le « projet de vie » prévu par la loi en est l’instrument. Il doit être élaboré à partir de besoins formulés par la personne concernée ou, avec ou pour elle, par son représentant légal lorsqu’elle ne peut exprimer son avis. Il enjoint les professionnels du handicap à considérer la personne handicapée comme « actrice de son projet de vie » et à l’accompagner non plus à partir de ses déficiences, mais bien de ses capacités (Jacques, 2017). Plusieurs conséquences découlent de cette nouvelle propension des personnes handicapées à pouvoir s’affirmer en tant que personnes.

La première de ces conséquences est une visibilité accrue du handicap. Autrefois cantonné aux institutions ségrégatives et donc isolé du monde social (Pinell & Zafiropoulos, 1983), le handicap dans ses différentes formes se montre désormais. En témoignent, par exemple : le Festival National du Court Métrage Handica[2] ; la campagne publicitaire de CAP48[3] de 2010 affichant Tanja Klewitz, mannequin belge à qui il manque un avant-bras, posant « belle et handicapée »[4] en sous-vêtements ; les Jeux paralympiques donnant à voir des corps handicapés en tant que corps performants ; ou encore la promesse du président de la République de doter dès 2023 chaque département d’exosquelettes pour le réapprentissage de la marche des patients médullo- ou cérébro-lésés[5]. En contrepoint à ce coup de projecteur sur les corps handicapés, les « handicaps invisibles » sont également mis en lumière dans les discours : ils seraient la face immergée de l’iceberg dans la mesure où, selon les associations militantes, 80% des situations de handicap relèveraient de handicaps invisibles. À l’instar de l’étude fondatrice de Goffman (1975), les enjeux de visibilisation du handicap se révèlent ainsi décisifs (par exemple : Dalle-Nazébi & Kerbourc’h, 2013 ; Lejeune & Yazdanpanah, 2017 ; Segon, 2021).

Seconde conséquence de l’affirmation des personnes handicapées en tant que telles dans l’espace public, leurs revendications se structurent désormais au-delà des associations traditionnelles d’aide aux familles, sous la forme de groupements, de syndicats[6], de fédérations dirigés, encadrés, animés par les personnes handicapées. Un mouvement tel que « Ni pauvre, ni soumis » fondé en 2008 réunit par exemple une quarantaine d’associations et revendique la création d’un revenu d’existence décent pour les personnes handicapées qui ne peuvent pas ou plus travailler[7]. De plus, la normalisation du handicap produit de nouvelles normes partagées. À rebours d’une charge pour la société, le handicap se « désinsularise » et pourrait devenir pourvoyeur d’innovations potentiellement bénéfiques pour le plus grand nombre (Gardou & Poizat, 2007), en particulier dans l’environnement de travail.

L’entrée par les images du travail apparait ainsi particulièrement propice pour saisir les effets de la loi de 2005 sur le travail. Après deux décennies sous son égide, comment penser la relation entre handicap, travail et emploi, à partir des images du travail ? Une exploration rapide par les mots clés « handicap » et « travail » sur les moteurs de recherche généralistes est à première vue peu productive : prédominent des représentations du travail en col blanc, au bureau (tables, chaises, ordinateurs, tableaux, salles de réunion, etc.) et des représentations du handicap principalement par le fauteuil roulant qu’il s’agisse de personnes photographiées ou du pictogramme. Mais un regard plus attentif dessine une grande variété de pistes et de corpus envisageables autour de la thématique proposée, comme le révèlent quelques exemples. Un corpus médiatique (le média en ligne Konbini) montre des personnes concernées, face caméra, exprimant leurs aspirations et livrant leurs expériences des discriminations au travail[8]. Un corpus institutionnel (la FEBRAP : Fédération bruxelloise des entreprises du secteur adapté) rassemble des vidéos destinées aux employeurs et employeuses (par exemple comment communiquer avec des personnes déficientes intellectuelles) ou aux travailleurs et travailleuses (par exemple quel comportement adopter au travail), donnant ce faisant à voir des situations de travail concrètes. Enfin, dans un récent numéro de la revue ITTI, un article montre un bucheron en fauteuil après un accident de la route, révélant ce qu’il inflige à son corps pour continuer son activité comme avant, mais également des innovations techniques développées pour adapter sa pratique à sa situation (Plesse-Colucci & Schepens, 2023).

Les perspectives les plus contemporaines en sciences sociales aussi bien qu’historiques, articulées ou non avec des approches juridiques, les aires géographiques francophones aussi bien qu’au-delà, seront les bienvenues pour contribuer à cette réflexion. Les corpus mobilisés pourront être, sans exclusive : des corpus institutionnels publics (images issues des documents de communication des organismes militants, associations gestionnaires, événements et autres institutions dédiées au handicap), des archives privées ou publiques (par exemple l’Institut national de l’audiovisuel), des corpus publicitaires ou médiatiques, de la documentation iconographique technique (illustrant les matériels ou les plans adaptatifs, supplétifs, ergonomiques), des images produites dans le cadre de recherches.

Ce numéro d’ITTI propose d’interroger ce que les images peuvent révéler du travail au prisme des droits et des expériences des personnes handicapées, autour de deux axes principaux.

Axe 1 : la représentation du handicap au travail

Comment le handicap au travail est-il représenté ? Que disent ces représentations de la place et des droits des personnes handicapées dans la société ? Quelle place les représentations majoritairement centrées sur les handicaps visibles laissent-elles aux images d’autres handicaps en situation de travail ? Quelles innovations ou solutions techniques et humaines ont-elles émergé des préconisations législatives et comment sont-elles montrées ? Comment la compensation, l’accessibilité, les aménagements raisonnables, les approches capacitantes sont-elles (in)visibilisées ? Avec quelles intentions ou quels effets ?

Axe 2 : le point de vue des personnes handicapées sur le travail

Quel point de vue le handicap construit-il sur le travail ? Comment les personnes handicapées voient-elles le travail, ce qu’il est, ce qu’elles en font et ce qu’il leur fait ? Dans quelle mesure la situation de handicap révèle-t-elle certains aspects du « travail ordinaire » ? En quoi la représentation du travail du point de vue des personnes handicapées contribue-t-elle à leur appropriation d’un poste de travail, à leur insertion dans un collectif de travail ou encore à la construction d’une identité de travailleur ou de travailleuse ?

Trois entrées, sans exclusive, pourront contribuer à l’un ou l’autre axe :

  1. Travailleurs handicapés en action : personnes, parcours, contextes, collectifs, gestes et réalisations, compétences, militances.
  2. Accompagnements, compensations, mises en accessibilité en train de se faire : outils, environnements, postures, innovations.
  3. Permanence des exclusions professionnelles, représentations défectologiques, vecteurs d’inaccessibilité.

Modalités de contribution

Les propositions reposeront sur l’analyse d’images qui doivent pouvoir être reproduites dans l’article. L’auteur doit s’assurer de la disposition des droits d’utilisation et de diffusion. Les articles sont d’un format de 30 000 à 50 000 signes maximum. Dans un premier temps sont attendues des propositions d’articles sous forme d’un texte d’intention de 2000 à 3000 signes espaces compris, qui exposera l’inscription disciplinaire et les éléments centraux du cadre théorique de la recherche, le type d’images support et leur mode de production, la méthodologie du travail d’enquête présenté, les grands résultats.

  • Propositions d’articles : 1 mars 2024

  • Retour sur les propositions d’article : 1 avril 2024
  • Articles : 30 septembre 2024

Contacts pour toutes informations complémentaires et pour l’envoi des documents :

Coordinateurs

  • Fabienne Montmasson-Michel, MCF de sociologie, Université de Poitiers
  • Christian Papinot, PU de sociologie, Université de Poitiers

Évaluation

Processus d’évaluation en double aveugle détaillé dans les consignes aux auteur.es à l’adresse suivante : https://journals.openedition.org/itti/1353

Bibliographie

Agefiph. (2022). Tableau de bord national. Emploi-chômage des personnes handicapées — 1er semestre 2022. Observatoire de l’emploi des personnes. https://www.agefiph.fr/sites/default/files/medias/fichiers/2022-10/Agefiph-TB-2022_8G_0.pdf

Bernardi, V., & Lhommeau, B. (2020). Quelles sont les spécificités des professions occupées par les personnes handicapées ? Dares Analyses, 31. https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/pdf/dares_analyses_professions_personnes_handicapee.pdf

Boudinet, M. (2021). Sortir d’ESAT ? Les travailleur·ses handicapé·e·s en milieu protégé face à l’insertion en milieu ordinaire de travail. Formation emploi, n° 154(2), 137‑156. https://doi.org/10.4000/formationemploi.9294

Dalle-Nazébi, S., & Kerbourc’h, S. (2013). L’invisibilité du « travail en plus » de salariés sourds. Terrains & travaux, 23(2), 159‑177. https://doi.org/10.3917/tt.023.0159

Dessein, S. (2022). Juger l’employabilité des chômeurs handicapés à travers le prisme d’une logique de performance. Une analyse ethnographique et statistique du tri des usagers à l’entrée du service public Cap emploi. Revue des politiques sociales et familiales, 142‑143(1), 5‑21. https://doi.org/10.3917/rpsf.142.0005

Gardien, È. (2006). Travailleur en situation de handicap : De qui parle-t-on ? Pour une analyse des situations partagées. Reliance, 19(1), 50‑59. https://doi.org/10.3917/reli.019.59

Gardou, C., & Poizat, D. (2007). Désinsulariser le handicap : Quelles ruptures pour quelles mutations culturelles ? Erès.

Goffman, E. (1975). Stigmate. Minuit.

Jacques, M.-H. (2017). La ‘’relation au bénéficiaire’’ dans les ‘‘nouveaux métiers du handicap’’ : une relation de clientèle ? In M.-H. Lechien, F. Neyrat, & A. Richard, Sociologie de la relation de clientèle. Pulim, 179-193.

Lejeune, A. (2019). Travailler avec un handicap. Idéal d’inclusion et inégalités face au droit. Savoir/Agir, 47(1), 53‑62. https://doi.org/10.3917/sava.047.0053

Lejeune, A. (2021). Postface. Handicap et inégalités. Formation emploi, n° 154(2), 197‑203. https://doi.org/10.4000/formationemploi.9383    

Lejeune, A., Hubin, J., Ringelheim, J., Robin-Olivier, S., Schoenaers, F., Yazdanpanah, H., Fillion, E., & Thivet, D. (2017). Handicap et aménagements raisonnables au travail : Importation et usages d’une catégorie juridique en France et en Belgique [Rapport de recherche]. Mission de recherche Droit et Justice ; CERAPS, Université de Lille. https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01625329

Lejeune, A., & Yazdanpanah, H. (2017). Face au handicap : Action syndicale et cadrages juridiques. Politix, n° 118(2), 55‑76. https://doi.org/10.3917/pox.118.0055

Pinell, P., & Zafiropoulos, M. (1983). Un siècle d’échecs scolaires : 1882-1982. Éditions ouvrières.

Plesse-Colucci, A., & Schepens, F. (2023). Quand la photographie révèle l’innovation technique. Images du travail, travail des images, 15, Article 15. https://doi.org/10.4000/itti.4298

Ravaud, J.-F. (1999). Modèle individuel, modèle médical, modèle social : La question du sujet. Handicap. Revue de sciences humaines et sociales, 81, 64‑75. https://hal.science/hal-02264281/document

Ravaud, J.-F., & Fougeyrollas, P. (2005). La convergence progressive des positions franco-québécoises. Santé, Société et Solidarité, 4(2), 13‑27. https://doi.org/10.3406/oss.2005.1047

Revillard, A. (2017). La réception des politiques du handicap : Une approche par entretiens biographiques. Revue française de sociologie, Vol. 58(1), 71‑95. https://doi.org/10.3917/rfs.581.0071

Roupnel-Fuentes, M. (2021). La formation pour prévenir la désinsertion professionnelle des travailleur·s·es handicapé·e·s ? Formation emploi, n° 154(2), 113‑135. https://doi.org/10.4000/formationemploi.9416

Segon, M. (2021). Révéler, dévoiler, c’est décidé, je le mets ! Candidater en signalant son statut de « travailleur handicapé ». Formation emploi, n° 154(2), 65‑86. http://doi.org/10.4000/formationemploi.9270

Valdes, B. (2022). Les référents handicap dans la fonction publique, des missions variées dans un contexte encore peu professionnalisé. Revue française des affaires sociales, 1, 109‑131. https://doi.org/10.3917/rfas.221.0109

Notes

[1] Gouvernement du Québec. (2019). Stratégie nationale pour l’intégration et le maintien en emploi des personnes handicapées 2019-2024. Gouvernement du Québec. https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/emploi-solidarite-sociale/publications-adm/rapport/STRAT_snph_2019-2024_MTESS.pdf

[2] Dreyer, P., & Raymond, V. (2006, mai 4). La représentation des personnes handicapées au cinéma : Quels regards pour quels enjeux ? Handicap.fr. https://informations.handicap.fr/a--1935.php

[3] Événement de collecte de dons via la RTBF (radiotélévision belge francophone) pour les recherches médicales sur les handicaps.

[4] Mallaval, C. (2010, octobre 8). Belle et handicapée : En Belgique, l’affiche qui ose. https://www.liberation.fr/vous/2010/10/08/belle-et-handicapee-en-belgiq…

[5] Dal’Secco, E. (2023, janvier 26). Macron promet de déployer 2 exosquelettes par département. Handicap.fr. https://informations.handicap.fr/a-macron-deux-exosquelettes-par-departement-34337.php

[6] Par exemple l’union professionnelle des travailleurs indépendants handicapées (UPTIH), créée en 2008 et devenue H’up entrepreneurs en 2018.

[7] http://www.nipauvrenisoumis.org/

[8] https://www.youtube.com/watch?v=jqP2xKHoeIE&ab_channel=Konbini

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