Appel à articles pour le numéro 19 de la revue Images du travail, travail des images (septembre 2025)
Sol, sous-sol, hors-sol : terrains d’observation du travail
Très longtemps confiné aux sciences du vivant, à l’agronomie ou bien sûr à la science spécialisée de la pédologie, le sol est un objet dont les sciences sociales francophones se sont emparées depuis quelques années (Meulemans & Granjou, 2020). Cet intérêt s’est trouvé renforcé par le développement des travaux sociologiques autour de la question écologique, étayant l’idée que le sol constitue « une nouvelle frontière d’exploration et de connaissances » (Sugden, Stone & Ash, 2004). Les évolutions observables dans ce cadre portent autant sur les pratiques professionnelles en lien direct avec l’usage des sols que sur les méthodes visant à les analyser, par exemple en matière de cartographie des sols transformée par les évolutions technologiques du numérique (Kon Kam King, 2020). Par ailleurs, les enjeux écologiques tout autant qu’économiques[1] autour de la « gestion » au sens large des sols et des sous-sols ont accentué les dimensions politiques voire géopolitiques de ces sujets. Désormais investis par l’action politique (Fournil et alii, 2018) ou militante mais aussi par le travail juridique, sol et sous-sol conduisent à penser et produire à l’échelle des territoires nationaux[2] ou internationaux des normes porteuses de fortes transformations professionnelles. Enfin, on assiste à une réévaluation de la dimension anthropologique des sols, notamment avec l’intégration en 2006 de la catégorie de « technosols » dans le système de classification des sols de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture ou les débats pour apparenter les activités humaines à la production même des sols (Meulemans & Tondeur, 2022). Le développement des pratiques d’humusation (transformation du corps en humus) participe également d’une perception renouvelée des relations entre êtres humains, plantes, animaux, eaux et sols rejoignant les idées d’une « éthique de la terre » (Leopold, 1949).
Le prochain projet de la revue Images du travail, Travail des Images propose d’éprouver les transformations actuelles des sols et des sous-sols à l’aune des questions du travail (entendu dans son sens le plus large) et des différentes représentations visuelles auxquelles celui-ci peut donner lieu. Si le sujet du sol et du sous-sol permet d’envisager les évolutions de métiers traditionnels comme ceux de l’agriculture ou de la mine, ou encore de l’archéologie il ouvre aussi sur de nouvelles activités - qu’elles soient professionnelles (création de sols fertiles à partir de matériaux recyclés par exemple), citoyennes ou militantes - et permet une décentration du regard sur le travail qu’il conviendra de prendre en compte. La place du sol dans les représentations du travail montre des formes variables du rapport humain au sol ; tantôt il s’agit de fouler le sol, d’être en appui, de l’excaver ou d’en prendre possession, tantôt il s’agit d’en exposer la force majestueuse (au moyen de prises de vue aériennes) mais aussi la menace. Dans certaines configurations le sol est souffrant, dégradé et fragile. On ajoutera qu’à une iconographie déjà riche et diversifiée, sont venues s’ajouter d’autres images permises par des techniques d’exploration ou de visualisation qui modifient vision et connaissances des sols. Ainsi, les pratiques professionnelles des géomètres évoluent désormais avec l’apport de clichés produits par des drones. Ceci justifie d’ailleurs l’introduction dans le projet de l’idée du « hors sol » comme une dimension à part entière de l’analyse : si l’on songe aux géoglyphes de Nazca, il faut préalablement le survol la zone en avion P. Kosok pour en initier l’étude. Il s’agira donc d’explorer dans quelle mesure les images associées aux sols et aux sous-sols dans diverses activités humaines et contextes sociaux rendent compte ou non de rapports renouvelés au sol. On pourrait également envisager d’étendre la réflexion à la question du sol « au travail » en s’attachant aux nombreuses activités non humaines qui le rendent vivant et aux manières de les saisir (comme l’a abordé par exemple le projet collaboratif Matsutake Worlds).
Compte tenu de la diversité des activités qui convoquent les sols et les sous-sols, nous proposons trois axes autour desquels pourraient s’organiser les contributions.
Axe 1 : Collaborations, protection, re-valorisation
Au titre des nouveaux rapports au sol, la protection ou la conservation des sols se trouve affirmée et affichée aussi bien dans les pratiques professionnelle agro-responsables que dans les pratiques citoyennes, militantes, voire éducatives. À l’instar des savoirs et méthodes de production étudiés par l’ethno-pédologie (Rakoto Ramiarantsoa, & Nicolas Lemoigne, 2019), l’usage du sol semble mobiliser particulièrement les sens (toucher la terre, observer la couleur du sol, sentir l’odeur du compost). Dès lors, comment les images peuvent-elles figurer ce travail d’exploration et de soin : quels sont les environnements choisis, les éléments naturels présents dans le décor, les postures adoptées, les outils exposés ? Ce répertoire d’action réunissant à la fois des engagements ruraux et urbains, voit-on des différences de représentation dans les manières de faire ou les rapports au sol entre professionnels et non-professionnels ? Les questions de plaisir ou de jeu évoquées dans le cadre du compostage (Granjou et alii, 2020) sont-elles manifestes dans les opérations d’entretien ou de sauvegarde des sols ? L’idée du sol comme bien commun développée se traduit-elle spécifiquement par une représentation collective des activités ? Par ailleurs, de nouveaux métiers émergent à la faveur de recherches sur les « technosols » et des stratégies visant à ne pas urbaniser davantage de sols agricoles (Leyval, 2018). Ces nouvelles formes de sols engagent une multiplicité d’acteurs professionnels (biologistes, agronomes, forestiers, professionnels du bâtiment, etc.) et provoquent des usages sociaux et professionnels (écopâturage, agriculture urbaine) dont l’iconographie déjà foisonnante pourrait être analysée. On pourra également aborder ici la manière dont certaines pratiques agricoles ou d’exploitation forestière évoluent dans une ambition de protection des sols en alliant savoirs traditionnels, technologies.
Axe 2 : Exploitations, compétition
Cet axe pourrait traiter des questions du sous-sol, du travail de la mine à sa reconversion, des activités de construction d’infrastructures de transports souterrains (dans le cadre de grands projets urbains comme celui du Grand Paris Express), des activités d’enfouissement de déchets radioactifs à la surveillance et mise en sécurité des anciens sites miniers, de la connaissance des différentes pollutions. Plus largement, pourraient être évoquées ici les différentes activités relatives au traitement des déchets qui soulignent la double exploitation des travailleurs et des sols mais qui traduisent aussi l’évolution de l’ordure comme une nouvelle ressource (Cavé, 2020). Par ailleurs, une attention pourrait être portée à la documentation des lieux d’exploitation ou de pollutions qui donne matière à une visualisation de ces enjeux (carte de la pollution éternelle, carte des conflits environnementaux liés à l'exploitation du sous-sol) et alimente le travail de justice environnementale. Cela pourrait être également l’occasion de comprendre les liens entre sols et sous-sols, comme les effondrements d’habitations après abandon des mines, les installations au jour dynamitées alors que survivent les galeries souterraines, la muséification des sites… donnant naissance à d’autres formes de travail. Dans toutes ces situations, et d’autres, l’image (cartographique, picturale, photographique, filmique …) est un outil majeur pour une variété de métiers. On pourra aussi documenter les rites autour de ces activités du sous-sol, particulièrement accidentogènes (fête de la Sainte Barbe hier chez les mineurs et aujourd’hui chez les ouvriers du Grand Paris Express ; rituels autour du Tio dans les mines de Bolivie (Asbi, 2004).
Axe 3 : Explorations, révélation, sublimation, transformation
Cet axe pourra réunir un large éventail de situations où s’opère un double mouvement de « révélation », d’une part lorsque les sols livrent les traces d’une activité humaine mise à jour par les archéologues, les historiens, les pédologues ou encore par certains pratiquants de l’urbex, d’autre part lorsque le travail scientifique aussi bien que l’activité artistique ou le geste militant contribue à montrer la valeur essentielle des sols. Quelles sont les représentations en situation de travail des différentes disciplines scientifiques directement intéressées par les sols ou les sous-sols, comment les professionnels de ces disciplines utilisent-ils les images dans leurs différentes activités ou quelles images produisent-ils en vue d’affiner la connaissance scientifique ou d’enrôler plus largement les pouvoirs publics ou les acteurs sociaux à la préservation des sols ? Par exemple, depuis l’Antiquité, le travail minier a suscité des représentations artistiques sur tous les continents, suivant en cela les innovations de supports au fil des siècles (gravures rupestres, bas-relief, sculptures, lithographies, peintures, photographies, affiches, films, productions numériques…). On pense ici par exemple à la démarche de l’archéologie apparentée par Leroi-Gourhan à un travail « d’archive du sol » qui a donné lieu en 2022 à une exposition des Archives nationales du monde du travail « Du cœur à l'ouvrage : dans l'intimité des archéologues », au travail de pédothèque du conservatoire européen des sols ou encore à des opérations telles que l’initiative « 4 pour 1000 » conduite par des chercheurs de l’Inrae. Enfin, un abondant corpus d’œuvres utilise les éléments du sol, représente le sol ou les choses au sol, adopte à dessein le cadre naturel comme lieu d’exposition, mobilise le spectateur sur les chemins, ou propose une œuvre-paysage. Le Land Art et dans une certaine mesure l’Arte Povera se distinguent en tant que mouvements au sein de l’art contemporain mais de nombreuses autres pratiques esthétiques actuelles - qu’elles se revendiquent ou non de l’art écologique - peuvent aussi être interrogées, notamment dans les relations qu’elles construisent avec les disciplines des sciences humaines et sociales.
Les propositions de contributions pourront émaner des différentes sciences sociales qui alimentent la revue : ethnologie, archéologie, géologie, histoire, histoire de l’art, sociologie mais le projet trouvera un réel bénéfice à réunir les contributions de géographes bien sûr, de pédologues ou spécialistes de cartographie ; mieux encore il pourra être une occasion de faire discuter les chercheurs de manière pluridisciplinaire.
Les articles attendus reposeront sur l’analyse d’un corpus d’images (productions iconographiques). Ces images devront être reproduites dans l’article. Rappelons que Images du travail, Travail des images est une revue scientifique entièrement numérique, gratuite et ouverte. L’auteur devra à ce titre s’assurer de la disposition des droits d’utilisation et de diffusion des images mobilisées dans le texte. Les articles sont d’un format de 30 000 à 50 000 signes maximum. Dans un premier temps, sont attendues des propositions d’articles, soit un texte d’intention de 3000 à 5000 signes avec une sélection d’images significatives et quelques références bibliographiques.
Les propositions d’article devront parvenir à la rédaction de la revue avant le 27 mai 2024
Le numéro est prévu pour septembre 2025
Contacts pour toutes informations complémentaires et pour l’envoi des documents :
Dominique Maillard, dominique.maillard@cereq.fr
Nadège Mariotti, nadege.mariotti@univ-lorraine.fr
Gwenaele Rot, gwenaele.rot@sciencespo.fr
La revue Image du travail, Travail des images : imagesdutravail@gmail.com
Références bibliographiques (indicatives)
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Barbier, M.N. (1956). Les mines et les arts à travers les âges, Paris : Ateliers ICA.
Cavé, J. (2020). La ruée vers l'ordure. Conflits dans les mines urbaines de déchets, Rennes : Presses universitaires de Rennes.
Allens (d.), G.& Andrea Fuori, A. (2017). Bure, la bataille du nucléaire, Paris : Seuil, Reporterre, 2017.
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Fournil J., Kon Kam King J., Granjou C. & Cécillon L. (2018). Le sol : enquête sur les mécanismes de (non) émergence d’un problème public environnemental VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement. Volume 18, numéro 2, septembre 2018. https://doi.org/10.4000/vertigo.20433
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[1]. On pense ici aux terres rares.
[2]. Cf. les différentes propositions de loi portées actuellement en vue d’audit de la terre pour des locations ou des ventes ou l’idée d’inscrire les sols comme patrimoine dans le Code rural et de créer une Haute autorité chargée d’un diagnostic de la qualité des sols.